Dans un contexte où la problématique du chômage des jeunes devient un enjeu national majeur et où les entreprises, privées et publiques, nationales et internationales, se défendent de ne pas trouver «chaussures à leur pieds» en termes de ressources humaines, il devient impératif d'opérer une synchronisation entre le «produit du circuit de la formation» et le marché du travail à travers une revalorisation des compétences et un accompagnement des jeunes. Dans ce sens, les initiatives florissent. La dernière en date concerne un nouveau programme pour l'emploi des jeunes, initié par la fondation EFE Maroc (Fondation de l'Education pour l'Empoi), et baptisé «Al Morad». Ce dernier est en effet placé à la jonction entre sortie d'école et entrée dans le mode du travail, dans le but de valoriser les aptitudes des candidats à s'intégrer plus facilement sur le marché. Souvent, en effet, les programmes de formation des jeunes diplômés sont jugés inadaptés aux nouveaux besoins des entreprises. Le projet Al Morad a été présenté la semaine dernière au siège de la CGEM. «L'enveloppe globale définie pour le lancement du projet Morad est de 5 millions de dollars, répartis entre MasterCard Foundation à hauteur de 3 millions de dollars, le reste étant pris en charge par un ensemble de bailleurs de fonds», a annoncé Nawfal Fassi-Fihri, directeur général d'EFE Maroc. A noter que c'est la première fois qu'un intervenant de la taille de la fondation Mastercard s'implique autant dans un projet pareil. Elaboré autour de la thématique cible de l'employabilité des jeunes, le projet Al Morad vise dans ses grandes lignes à renforcer l'insertion de près de 15.000 jeunes Marocains, dits à «opportunité limitée, dans le monde du travail», pour une période de 3 ans, de 2011 à 2014. Cette insertion passe par un programme de formation adapté pour satisfaire au mieux la demande des entreprises, et confectionné selon le module retenu. Ainsi par exemple, pour le module «Force de vente», EFE Maroc a mandaté la prestigieuse Harvard Business School pour lui fournir un programme de formation à la mesure des attentes du marché du travail sur ce segment. Cette formation comprend deux sessions, une sur les techniques de vente, la seconde étant axée sur l'Information Computer Technology. L'aspect comportemental est également pris en compte et fait l'objet d'une formation distincte, intitulée Workplace Success. Enfin, EFE Maroc offre une session de formation de 20 heures pour précisément informer sur les techniques de recherche d'emploi, avec pour objectif sous-jacent «l'amélioration de la réussite de l'entretien d'embauche». Capitaliser sur les capacités personnelles Pour mener à bien sa «politique de la main tendue», comme l'a définie pour la circonstance Reeta Roy, présidente de la MasterCard Foundation, et pour assurer, sur les trois prochaines années, l'employabilité de 15.500 jeunes Marocains et l'insertion professionnelle de 2.000 autres, 4 axes de travail ont été définis, élaborés essentiellement autour de la formation, du partenariat de proximité, de l'engagement civique et de la duplication régionale de l'expérience casablancaise. Le premier axe est donc dédié «aux jeunes issus de milieux socioéconomiques défavorisés», qui se verront offrir une formation de «haute qualité», à la mesure des difficultés qui limitent leur accès au marché du travail. Il leur sera proposé de fait et à l'issue des sessions de formation des offres d'emploi qui compléteront ainsi le dispositif global qui leur est proposé. Le second axe, de facture plus académique, est dédié aux étudiants des universités et membres des maisons de jeunes de quartier. En intervenant avant l'obtention des diplômes universitaires ou juste après auprès des maisons de jeunes, ce dernier vise à résorber en amont les distorsions induites fort souvent par l'inadaptabilité des enseignements théoriques aux attentes pratiques et opérationnelles imposées par les entreprises sur le marché du travail. Ce travail en amont, comme les formations citées plus haut, inclut une composante comportementale essentielle, qui cherche à développer in extenso les capacités personnelles des jeunes et/ou étudiants, en favorisant leur savoir-être et «leur développement interprofessionnel et personnel». Si les deux premiers axes se focalisent foncièrement sur l'aspect formation et accompagnement, le troisième axe est plutôt de nature à favoriser l'épanouissement personnel des candidats, en élargissant leur profil au delà du monde professionnel, à leur environnement social immédiat. Selon Hicham Lakhmiri, directeur associé d'AmalJob, le travail associatif renforce chez les jeunes diplômés «l'idée d'engagement, de rapport pragmatique et réaliste au monde et aux choses et est même de nature à les responsabiliser davantage». À ses yeux, s'il est aujourd'hui une tâche, qui plus est «gratuite, non contraignante et altruiste» à promouvoir auprès des jeunes, c'est cette ouverture d'esprit, qui améliore en outre leur connaissance des droits et des obligations de chacun, et qui facilitera par conséquent leur intégration dans un monde du travail très exigeant en termes de «capacité à travailler en groupe». Régionaliser l'expérience pour monter en puissance Le dernier axe est d'ordre opérationnel et renseigne en outre sur les ambitions régionales de la Fondation. Confinée jusqu'à présent à la seule région casablancaise, l'expérience EFE Maroc devrait en effet être étendue à d'autres zones géographiques, notamment en ce qui concerne le module de formation «Finding a job is a job», un programme de formation spécifique, élaboré en collaboration avec Manpower, qui vise à former les candidats à la recherche efficace d'un emploi (plus de 100 jeunes formés dans la région casablancaise). Outre Casablanca, trois régions ont ainsi été choisies. Il s'agit de Fès, Tanger et Marrakech, trois zones géographiques qui ont en commun le fait d'être, avec Casablanca, les trois pôles de croissance majeurs de notre économie nationale. Le choix repose, selon Fassi-Fihri, sur l'idée que «la réussite des dispositifs mis en place est tributaire en partie de la dynamique et de l'élasticité des marchés de travail», en précisant «que cette dernière est elle même fonction du niveau de concentration des activités économiques, là ou la croissance favorise l'emploi». 1.460 jeunes devraient donc être formés et accompagnés à Casablanca en 2011, 3.720 à Tanger-Tétouan en 2012, 5.150 à Marrakech-Tensift en 2013 et 5.170 dans la région de Fès en 2014. La mission que s'est donnée l'EFE Maroc pour les trois prochaines années a reçu la confiance et le soutien de nombreux acteurs du secteur public comme du secteur privé, au premier rang desquels on retrouve le ministère de la Jeunesse et des sports et les Universités Hassan II et Aïn Chock Casablanca pour la partie publique, mais également des entreprises du secteur privé, à l'instar de Ynna Holding, Microsoft, des associations privées comme la CGEM ou l'AFEM (Association des femmes chefs d'entreprise au Maroc), et Manpower. Ce partenariat public-privé, en favorisant l'extension des activités de la Fondation à des sphères, certes différenciées mais fortement complémentaires pour la réussite du projet Al Morad, confère à ce dernier une densité et une efficacité nécessaires à son efficience opérationnelle et à sa cohérence thématique. EFE Maroc s'est vu conviée par exemple à participer à la deuxième édition du «Sommet mondial des jeunes», et a même représenté le Maroc au 7e forum mondial de l'Unesco sur la jeunesse. Cette ouverture mondiale fait face à une autre plus locale, où EFE Maroc fait suivre une formation à une cinquantaine de jeunes issus du village de Dâr Bouazza. Nawfal Fassi Fihri, Directeur général EFE Maroc Les Echos quotidien : Quels sont les critères adoptés pour sélectionner les jeunes à la recherche d'emploi ? Nawfal Fassi Fihri : Nous avons des critères et des processus propres de sélection. Nous ciblons donc les jeunes des quartiers défavorisés, de moins de 29 ans, qui n'ont pas d'emploi et qui en cherchent un. Nos relais privilégiés sont les maisons de jeunes. Nos ambitions sont également à la mesure des difficultés constatées, puisque nous comptons atteindre un million de jeunes d'ici les années à venir à travers toutes les universités. Il faut dire que notre objectif ne va pas se limiter en fait au seul niveau des trentaines de maisons de jeunes avec lesquelles nous travaillons déjà ou encore des régions que nous avons repérées au démarrage. Il y a eu un avant «Al Morad». Y aura-t-il un après et comment se profilerait-il ? Tous les projets passés et à venir d'EFE Maroc s'inscrivent dans la continuité de nos actions. Toutefois, le projet Al Morad représente un programme pilote qui a vocation à être déployé sur d'autres régions autres que Casablanca. Dans le cadre de notre partenariat avec le ministère de la Jeunesse et des Sports par exemple, nous avons convenu de travailler avec trois maisons de jeunes dans les régions ciblées, lesquelles auront la charge de dupliquer l'expérience auprès d'autres maisons de jeunes sur leur territoire de localisation. Ce modèle de territorialisation étendue s'applique aussi aux universités. Il faut avouer qu'EFE Maroc ne peut pas tout faire et qu'elle adopte précisément cette approche systémique pour pouvoir compter sur le concours de ses partenaires et/ou bénéficiaires institutionnels. Cibler des régions à forte croissance ne biaise-t-il pas la réussite de votre modèle d'employabilité des jeunes ? L'application du modèle EFE nous impose de suivre la tendance. Pour qu'un modèle réussisse, il faut répondre efficacement aux besoins constatés. Pour cela, nous intervenons de manière à répondre aux offres d'emploi là où elles s'expriment le mieux, en fournissant au marché du travail des jeunes candidats compétents. Cette démarche est en fait une réponse aux réclamations du marché qui nous renvoie souvent la question du manque de compétences au Maroc ou de l'inadaptabilité de celles-ci aux besoins réels et actuels des entreprises qui recrutent sur le marché du travail. EFE agit pour réduire ces écarts. Y a-t-il encore des points à améliorer dans votre modèle ou des obstacles que vous n'arrivez toujours pas à lever ? EFE Maroc s'est toujours focalisée sur le monitoring et l'évaluation. Nous avons mis en place tout un processus de suivi de nos actions, pour continuer à améliorer leur conduite et leur contenu. En ce qui concerne le présent projet Al Morad, nous avons décidé de le faire accompagner par des experts sur toute la période de son application. Le but est certes de suivre in itineris l'évolution de nos actions de terrain, mais aussi de disposer à la fin du programme d'une évaluation ex post des mesures cadres du projet, de manière à capitaliser dessus pour élaborer les futurs programmes de notre Fondation.