Les Citoyens, un mouvement qui souhaite fédérer les forces vives et les initiatives porteuses de progrès pour la Nation, donne son avis sur la situation à El Hoceima. Ce mouvement est composé de personnalités du monde politique, économique et de la société civile. Depuis plus de sept mois, la région du Rif, et notamment la ville d'El Hoceima, connaît une série de manifestations et de sit-in, pour revendiquer des droits économiques, culturels et sociaux. À l'exception de quelques heurts et accrochages avec les forces de l'ordre, ce mouvement a maintenu un esprit pacifique et civique, reconnu par tous les acteurs et observateurs, y compris par les autorités publiques. Néanmoins, les événements du Rif nous interpellent sur des questions et problématiques qui vont au-delà des besoins légitimes d'une ville ou d'une région. Il s'agit surtout de la nature du modèle politique et économique, de la qualité de notre gouvernance et de la solidité du lien national que nous voulons pour le Maroc. Les revendications exprimées par les manifestations du Rif ont mis en relief l'ampleur des inégalités qui subsistent et se creusent entre les différentes couches sociales, mais également entre les villes du pays. Malgré l'effort consenti depuis une dizaine d'années, orienté vers davantage de régionalisation et de décentralisation, pour faire oublier la malheureuse distinction entre «un Maroc utile» et «un Maroc inutile», des pans entiers de la population marocaine ressentent qu'ils appartiennent à des localités marginalisées, oubliées et laissées-pour-compte. Les habitants d'El Hoceima, à travers leur mouvement, nous rappellent cette réalité et tout le chemin qu'il reste à parcourir. Le Hirak a révélé les problèmes dont souffre cette province : un taux de chômage très élevé (22% de la population), une faible formation (3% de la population disposent d'un niveau d'éducation supérieure), un enclavement géographique, une faible couverture médicale (1 médecin pour 2 000 habitants), une maigre activité économique basée sur la pêche maritime et les transferts des proches vivants à l'étranger. Le retard dans la mise en application de «El Hoceima, ville phare de la Méditerranée», programme annoncé en 2015 pour développer la province, a accentué le sentiment de marginalisation et d'exclusion chez les habitants. Cette situation doit nous interpeller sur l'efficacité de la gouvernance nationale et locale, l'action et la représentativité des élus locaux et régionaux et l'implication réelle du pouvoir exécutif dans la réalisation des chantiers de développement humain et économique à El Hoceima. Les manifestations du Rif ont également révélé la faiblesse des corps intermédiaires et des espaces de médiation au Maroc. Les partis politiques, les élites nationales et locales, ont été incapables de jouer leurs rôles de canaux d'encadrement, de débat et de conciliation entre les citoyens et l'Etat. La gouvernance gouvernementale et notamment la cohésion des équipes ministérielles, qui ont tendance à gérer les dossiers en «silos» a également montré ses limites. Les manques d'engagement sur les projets et sur des délais à tenir, et d'information des citoyens ont également été des facteurs potentiels de crispation. L'émergence de figures nouvelles à la tête du mouvement contestataire du Rif, et n'appartenant à aucune formation politique, a démontré les limites des capacités des partis et le déficit de confiance et de crédit dont pâtissent les élites politiques au Maroc. Un aveu d'impuissance inquiétant et menaçant. Ce que nous apprenons aussi, après les sept mois de manifestation à El Hoceima, est que le Maroc a besoin d'un supplément de cohésion nationale. Le récit collectif qui nous rassemble au sein d'une même nation, multiple et unie, souffre de lacunes et de trous de mémoire. En brandissant les portraits de l'émir Abdelkrim El-Khattabi et des symboles de la résistance rifaine face au colonialisme, les habitants d'El Hoceima font appel à une histoire oubliée ou occultée qu'il faudrait réhabiliter et intégrer. La mémoire de cette région garde les traces de souvenirs douloureux et de graves erreurs commises par l'Etat dans le passé (les événements de 1958 et de 1984) qu'il faut soigner et soulager. Le travail effectué à partir de 2004 par l'Instance Equité et Réconciliation, pour regarder en face cette mémoire endeuillée du Rif, mérite d'être prolongé pour en finir définitivement avec les effets de certaines phases sombres de notre histoire. Pour sortir de cette crise, l'approche du total sécuritaire qui confie au Ministère de l'Intérieur la gestion du mouvement social d'El Hoceima ne peut pas être la solution. Les arrestations successives et les interpellations des figures du Hirak ne font qu'envenimer la situation. Elles aggraveront les sentiments d'injustice et d'humiliation déjà exprimés chez les habitants de la province. Il faut rappeler que la Constitution de 2011 a accordé une place particulière à la garantie de l'exercice des libertés civiques et politiques et que le respect de la loi doit prévaloir dans toute action menée par les autorités publiques. La gestion de cette crise nécessite des réponses et des ressources politiques, économiques et symboliques. Il est encore temps de les déployer et de les mettre en œuvre, avant qu'il ne soit trop tard. Les citoyens www.lescitoyens.ma