Le programme gouvernemental s'inscrit globalement dans la continuité. Le chef de gouvernement s'est engagé à poursuivre les réformes déjà lancées et à porter un intérêt aussi bien à l'entreprise qu'au volet social. Le scepticisme est affiché par l'opposition qui reproche à El Othmani l'absence de mesures effectives portant sur la mise en œuvre de ses engagements. Décryptage... Pendant une heure et demie, le chef de gouvernement Saâd-Eddine El Othmani a présenté au Parlement un programme gouvernemental quinquennal dans la continuité des orientations de son prédécesseur. Les chantiers en cours seront poursuivis et les engagements menés par le précédent exécutif mis en œuvre, comme la poursuite de la réforme des retraites et celle de la compensation qui aboutiront progressivement à une décompensation totale, comme l'avait promis Benkirane. En gros, pas de grandes surprises. Plusieurs mesures annoncées figuraient déjà dans la déclaration gouvernementale de 2012 sans avoir été concrétisées lors du précédent mandat. Lecture critique Une lecture comparative des deux programmes -exercice auquel Les Inspirations ECO s'est prêté- révèle pratiquement une transcription de certains passages de la déclaration gouvernementale de Benkirane, d'il y a plus de cinq ans. On peut citer, entre autres, celle ayant trait à la réforme de l'administration. El Othmani reprend, à titre d'exemple, l'engagement de Benkirane relatif à la mise en place d'une charte de la déconcentration administrative et une autre des services publics qui n'ont pas encore vu le jour bien qu'elles soient déjà élaborées depuis fort longtemps. Par ailleurs, le nouveau chef de l'Exécutif véhicule des messages positifs à l'adresse des syndicats et du secteur privé, comme l'avait fait son prédécesseur. Il promet d'ouvrir une nouvelle page avec les partenaires sociaux et économiques sur la base de la concertation et du rapprochement des points de vue. Il s'engage à institutionnaliser le dialogue social en tenant des réunions régulières et fructueuses. Pour certains parlementaires relevant des syndicats, c'est du «déjà entendu». Ceux-ci se disent sceptiques «jusqu'à preuve du contraire». Maintenant, El Othmani est très attendu sur le dossier social. Il est appelé à œuvrer pour apaiser les tensions et nouer des relations sereines avec les partenaires sociaux. Autre réaction: «Le gouvernement reste prudent et ne prend pas beaucoup de risques au niveau des chiffres», souligne aux Inspirations ECO un membre du gouvernement. Sur le volet du chômage, à titre d'exemple, l'engagement porte sur un taux de 8,5% à l'horizon 2021 alors que le précédent Exécutif s'était engagé à le réduire à 8% en 2016 sans pouvoir atteindre cet objectif. Par ailleurs, El Othmani a omis de se prononcer sur les postes budgétaires que le gouvernement compte créer. En effet, aucun engagement n'est affiché à ce niveau-là. Une «lacune» vertement critiquée par les députés et les observateurs qui mettent l'accent sur la plus haute importance du dossier épineux de l'emploi. En ce qui concerne la croissance, le gouvernement s'engage à réaliser un taux entre 4,5% et 5,5%. Un engagement réaliste ? Rappelons que Benkirane avait promis de porter le taux de croissance à 5,5% en 2016, mais encore une fois cet engagement ne s'est pas concrétisé. Le taux de croissance annoncé dans la déclaration gouvernementale dépend de bon nombre de préalables dont la saison agricole et la conjoncture internationale ainsi que le renforcement de l'économie nationale. Le gouvernement entend visiblement garder la même orientation économique en poursuivant la réalisation des programmes en cours et en lançant de nouvelles réformes. Sur ce point, aussi, certains engagements sont identiques à ceux du précédent gouvernement. Le nouveau chef du gouvernement promet au secteur privé de pallier aux difficultés à travers bon nombre de mesures comme la simplification des procédures et la réforme du foncier... Des mesures qui si elles venaient à être appliquées auront des retombées on ne peut plus positives sur le secteur privé et l'économie nationale. Le président du groupe de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) à la Chambre des conseillers, Abdelilah Hifdi, affiche son optimisme à cet égard. «Plusieurs points positifs sont enregistrés. Il s'agit notamment des engagements portant sur les délais de paiement, la révision du Code du travail...», relève-t-il. D'un point de vue plus global, pour plusieurs membres de l'opposition approchés, l'oral d'El Othmani a beaucoup versé dans les généralités et les déclarations d'intention. La principale critique relevée a trait à l'absence de mesures effectives pour concrétiser les engagements. En gros, on estime que le programme gouvernemental est ambitieux, mais ne dispose pas des clés qui assureront sa mise en œuvre. Les premiers 100 jours sont on ne peut plus déterminants. Le gouvernement compte élaborer un plan d'exécution du programme après son adoption par le Parlement. Ce plan devra être opérationnel avant la fin du premier trimestre. À ce titre, l'opposition affiche son scepticisme tout en reprochant aux composantes de la majorité le manque de concertations préalables avec l'opposition avant l'élaboration du programme gouvernemental. Certains héritiers d'Allal El Fassi, par exemple, se disent déçus que El Othmani ne se soit pas concerté avec le parti de l'Istiqlal qui a annoncé son soutien au gouvernement. Néanmoins, et sauf coup de théâtre, les parlementaires du parti de la balance comptent voter pour le programme gouvernemental. Tant que le conseil national du PI ne s'est pas réuni, les députés et conseillers de l'Istiqlal doivent se conformer à la décision du Parlement du parti ayant trait au soutien au gouvernement, mais tout peut changer dans les prochains jours. Il reste que la semaine prochaine s'annonce décisive. On s'attend à des interventions musclées des différents groupes de l'opposition dans les deux chambres lors de la discussion du programme gouvernemental en séances plénières dès lundi. En dépit des critiques, l'équipe gouvernementale de son côté affiche la mine des grands jours car elle est assurée du vote des députés de la majorité. Abdelkrim Benatik Ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé des Marocains résidant à l'étranger et des affaires de la migration Le programme gouvernemental est le reflet des orientations et des préoccupations des composantes de la majorité. Nous avons pris du temps pour son élaboration en commençant par la discussion des grandes questions ayant trait à divers domaines : l'économie, le volet social, la préservation des grands fondamentaux... Nous sommes parvenus à un consensus. Les ambitions sont certes grandes, mais nous pouvons les réaliser. Les chiffres annoncés sont, en effet, réalisables hormis quelques exceptions qui pourraient être dues à des contraintes particulières. Les engagements du gouvernement demeurent logiques». Mustapha El Khalfi Ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement et la société civile, porte-parole du gouvernement Le programme gouvernemental est réaliste, répondant aux besoins tant de l'entreprise que des citoyens. Il contient des objectifs chiffrés notamment sur le plan économique et social. Ce sont des engagements sur la base desquels des efforts seront déployés. Plusieurs mesures sont destinées aux couches démunies et pauvres ainsi qu'à la classe moyenne. L'entreprise est présente en force dans la déclaration gouvernementale. Le gouvernement, à travers ce projet, veille, d'une part à la poursuite des réformes et au lancement de nouvelles réformes d'autre part. Le souci du temps se pose mais des mécanismes seront proposés pour accélérer de réalisation du programme». Mohamed Achrourou Président du groupe parlementaire du PAM à la Chambre des représentants Après la déclaration gouvernementale du précédent gouvernement en 2012, les Marocains nourrissaient de grands espoirs qui se sont, malheureusement, évaporés. Aujourd'hui, l'actuelle déclaration gouvernementale déçoit davantage les Marocains car il apparaît clairement que le taux de sa réalisation ne dépassera pas 20%. Le gouvernement devait expliquer comment son équipe compte atteindre ses engagements. Les taux de croissance ou du déficit annoncés ne seront pas réalisés dans les circonstances actuelles. En effet, l'économie marocaine demeure toujours tributaire de la pluviométrie. Le gouvernement est appelé à chercher de nouvelles ressources et à adopter de nouvelles orientations et stratégies». Khadija Zoumi Parlementaire de l'UGTM à la Chambre des conseillers Le chef de gouvernement a versé dans les généralités sans citer de chiffres ou de délais pour la mise en œuvre des engagements. Il s'agit d'un programme copieux. C'est bien de procéder, à titre d'exemple, à l'appui direct aux couches démunies et à l'augmentation des indemnités familiales, de porter un intérêt particulier aux handicapés. Encore faut-il mettre en œuvre lesdits engagements. Par ailleurs, le chef du gouvernement a annoncé la relance du dialogue social et s'est engagé à nouer des relations avec les syndicats sur de bonnes bases. Néanmoins cet engagement devra être traduit concrètement sur le terrain. Avant d'évaluer ce gouvernement, il faut attendre les premiers 100 jours». Amal El Amri Présidente du groupe parlementaire de l'UMT à la Chambre des conseillers «La déclaration gouvernementale manque d'un fil conducteur montrant la couleur politique du gouvernement. S'agit-il d'une orientation en faveur de l'entreprise ou des salariés et du volet social ? La ligne n'est pas claire. La déclaration gouvernementale est une compilation de mesures. Nous avons été surpris par quelques annonces comme la révision du Code du travail alors qu'il fallait une concertation préalable avec le mouvement syndical. Certes, le chef de gouvernement a annoncé son intention de relancer le dialogue social, mais cette initiative vient en retard car il fallait tenir officieusement une rencontre avec les syndicats pour connaître leurs priorités».