«Adjugé !». Ce mot seul, lancé sur un ton solennel par une voix à la fois grave et enjouée, prête au rêve. Un rêve enveloppé toutefois d'ambiguïté. C'est l'univers si particulier des ventes aux enchères des œuvres et des objets d'art. Secteur peu connu au Maroc, cette importante composante du marché de l'art est pourtant florissante. En moins de dix ans, les quelques maisons de ventes qui détiennent le marché ont pu changer la donne. L'art n'est plus cloisonné dans sa condition «abstraite». C'est un plaisir à vivre, une activité génératrice de bénéfices et même une valeur refuge qui peut servir en les temps noirs de crise. Mais que savons-nous des ventes aux enchères ? De leur mode d'emploi et leur processus ? Eclairage Elitiste, fermé... le monde feutré des ventes aux enchères n'a jamais été facile à discerner pour le commun des mortels. Encore moins pour le grand public novice en la matière. Pour commencer, il est d'usage de programmer les grandes ventes pendant la rentrée, vers la fin d'année et au mois de mai. Ce sont des périodes propices pendant lesquelles le «consommateur» est plutôt porté sur l'achat. Le gros des œuvres et des objets proposés à la vente provient en général des collections privées. Les hôtels de vente signent ainsi des contrats avec les dépositaires soumettant leurs œuvres à la vente. Ces dernières seront proposées à la vente avec un prix de réserve que le propriétaire prend le soin de définir. «C'est le prix au dessous duquel il refuse de vendre», précise Aziz Daki, critique d'art et grand habitué des ventes aux enchères. Une fois que la vente a eu lieu, le «prix marteau» annoncé juste avant le «adjugé» crucial sera «sans les frais». Par frais dans ce milieu, on veut dire le pourcentage accordé aux maisons de vente. «Les prix sont fixés en accord avec le dépositaire par rapport au marché de l'art, en fonction de la qualité, de la rareté et de l'état de conservation de l'œuvre. Nos taux de commission sont de 16% du prix acheteur auprès du vendeur et de 17,5% auprès de l'acheteur. Ces taux étant dégressifs à partir d'un certain montant», précise Miriam Choukri de la maison Eldon & Choukri. Pour Hicham Daoudi, président de la Compagnie marocaine des œuvres et objets d'art (CMOOA), d'autres pourcentages sont en vigueur : «Nos pourcentages sont assez variables. Ils changent selon le prix de vente et vont de 24 à 28% du prix marteau». Chère authenticité Mais, avant d'en arriver là, une œuvre se doit d'être authentifiée. Tout objet ou toile proposés à la vente doivent avoir un certificat d'authenticité qui est normalement délivré par les galeries d'art à l'achat ou par des experts assermentés. «Notre problème au Maroc c'est qu'on ne respecte pas toujours cette réglementation fondamentale», lance un fin observateur. D'après Aziz Daki, « le faux serait le plus redoutable mal rongeant le marché de l'art marocain ». A côté des problèmes liés à la propriété des œuvres, le faux vient en tête des anomalies d'un marché qui est pourtant bien portant. «Nous travaillons en collaboration étroite avec un cabinet d'experts assermentés. Une fois que l'œuvre nous est confiée, nous l'examinons afin d'en déterminer l'origine, la date, la matière et l'auteur», affirme Miriam Choukri. Même son de cloche du côté de la CMOOA, qui, au bout de huit ans d'existence, a développée une grande expertise en la matière. «Nous avons une équipe spécialisée en authentification reconnue au niveau international», confirme Daoudi. Une fois les lots composés, les maisons ont l'habitude d'annoncer leurs ventes bien avant. Le public et les acheteurs potentiels peuvent découvrir les collections à travers les expositions publiques, les catalogues, mais aussi sur le web, sur les sites Internet des hôtels de ventes. Le jour J, l'ambiance est plutôt fébrile et le suspense est à son summum. «C'est une ambiance assez spéciale qu'il faut découvrir sur le tas», décrit Choukri. Une ambiance bien animée que le commissaire priseur a la lourde charge de créer et de raviver. Si, chez nous, la «fonction» de commissaire priseur n'existe pas en bonne et due forme, les auctioneers ou les crieurs marocains font l'affaire et même très bien. Chez Eldon & Choukri, c'est une femme, Nadia Choukri, qui se charge d'animer les ventes «sur le modèle anglo-saxon». Un choix émancipé qui tranche avec la grande tendance de ramener des commissaires français. «C'est la grande mode. Ca fait surtout chic et in», nous lance avec un clin d'œil un collectionneur habitué des ventes aux enchères. Profils et marché Qui sont les clients des ventes aux enchères ? D'après les responsables des maisons marocaines, il n'y a pas vraiment de profil type. «Si ce n'est qu'ils aiment tous l'Art. Du particulier qui cherche à meubler et décorer son intérieur, au collectionneur passionné, en passant par l'investisseur et le professionnel», explique Choukri. «L'investisseur» n'est pas un mot qui s'est glissé par erreur. Contrairement à d'autres secteurs, le marché de l'art se porte bien. «Comme partout ailleurs, la crise n'a pas d'incidence sur notre marché. Les œuvres d'art ont toujours été une valeur refuge sûre», rajoute Choukri. Selon Daoudi, « les profils varient selon les courants : la création contemporaine séduit les jeunes entrepreneurs et hauts cadres de 35 à 40 ans. Quant aux grands orientalistes, c'est une génération qui vieillit en toute beauté en dégustant l'art et en constituant des collections à thème. «N'empêche que le marché marocain est tout jeune et reste assez ouvert et curieux», ajoute-t-il. Des propos confirmés par les records réalisés lors des différentes ventes. En tête, on trouve Miloud Labyed, Mahi Bine Bine, Hassan El Glaoui, Jilali Gharbaoui, Ahmed Cherkaoui, Ouardighi, Saladi, Ben Allal, Mohammed Idrissi ... autant de grands noms de la peinture marocaine qui ont la côte. Les chiffres réalisés le confirment bien.