Le moins que l'on puisse dire de la relation entre le gouvernement Benkirane I et le patronat, c'est qu'elle s'est caractérisée tout au long des cinq années qui viennent de s'écouler par une défiance partagée. Ce sentiment irraisonné a été lourd de conséquences: une perte de confiance des entrepreneurs dans l'avenir, une absence de prise de risques, une hausse exagérée de l'épargne bancaire oisive, une baisse des investissements, une chute des créations d'emplois, une inquiétante décélération du crédit bancaire et un reflux de la consommation des ménages en biens durables. Il faut aujourd'hui en sortir, et vite! La confiance doit être rétablie pour relancer les moteurs de la croissance. Pour y parvenir, le gouvernement Benkirane II doit intégrer le fait que les entreprises, et les PME plus particulièrement, constituent le moteur le plus puissant qui permettra de redynamiser la croissance économique et de créer massivement des emplois. C'est le premier des six axes (cf. tribune parue dans les Inspirations ECO du 17 octobre 2016) que doit prioriser la politique économique du prochain gouvernement. C'est en soutenant les chefs d'entreprises, les entrepreneurs, les dirigeants des grandes entreprises, des PME, des ETI, des TPE, les travailleurs indépendants, les auto-entrepreneurs, les commerçants, les artisans, les professions libérales, les agriculteurs et tous ceux qui produisent de la richesse, que le gouvernement pourra créer un environnement propice à la croissance. Si les entreprises marocaines réussissent, l'économie nationale réussira à son tour en retrouvant le cycle vertueux de la croissance et du plein emploi (taux de chômage autour de 5%). Cela suppose de renforcer la compétitivité de nos entreprises et de transformer radicalement la culture de nos chefs d'entreprises, de nos salariés et de nos syndicats: lorsqu'une entreprise remplit ses carnets de commande, ses perspectives s'éclaircissent, sa trésorerie s'améliore, ses profits augmentent, elle recrute pour faire face à un surcroît d'activité, les salariés ont plus d'opportunités, peuvent changer de travail et ne craignent plus de perdre leur poste, le dialogue social se développe dans un climat apaisé. C'est ce pari de la confiance dans l'avenir, dans les relations entre les partenaires, dans ses propres capacités à créer de la richesse, que doit réussir le gouvernement Benkirane II. Il n'y parviendra pas sans réformes structurelles audacieuses touchant au droit du travail, à la fiscalité ou aux coûts des facteurs de production. Il ne relèvera pas le challenge de la croissance sans se résoudre à appliquer les dix grandes décisions suivantes: 1. Signer un pacte de confiance et de coopération entre les chefs d'entreprises et le gouvernement. 2. Inclure dans le contrat de travail les modalités conventionnelles (prédéfinies et progressives) du licenciement pour libérer l'embauche, supprimer les éléments de rigidité et d'instabilité du Code du travail, le recentrer sur les normes sociales fondamentales et renvoyer les autres dispositions à la négociation au niveau de l'entreprise ou des branches avec une prééminence du référendum décisionnaire des salariés. 3. Relever le premier seuil social de 10 à 50 salariés pour favoriser la croissance des PME. 4. Développer le statut de l'autoentrepreneuriat, en allégeant les formalités administratives, en octroyant des avantages bancaires et fiscaux et en créant une caisse d'assurance chômage équilibrée et spécifique qui fait supporter une partie du coût de la protection de la perte d'activité par les donneurs d'ordre. 5. Améliorer les prestations sociales pour perte d'emploi (augmenter le plafond de l'indemnité à trois fois le salaire minimum légal et porter la période d'indemnisation à 12 mois), infliger des sanctions pour insuffisance de recherche d'emploi et engager une réforme en profondeur de la formation professionnelle pour orienter les chômeurs vers des filières présentant de réelles opportunités d'embauches. 6. Simplifier les normes administratives, rendre les processus de décision transparents et généraliser le e-Gouvernement à l'horizon 2020, pour empêcher tout découragement de l'initiative privée et prévenir la corruption. 7. Créer un écosystème réglementaire, fiscal et social, favorable non seulement à la création d'entreprise, mais aussi à son développement et à sa transmission. 8. Réduire le coût du travail et les charges sociales sur les bas salaires et les emplois peu qualifiés, pour redonner des marges de compétitivité prix à toutes les entreprises. 9. Baisser radicalement le poids de la fiscalité sur les PME & TPE et accorder des avantages fiscaux aux grandes entreprises qui innovent, investissent et recrutent (barème progressif de l'impôt sur les sociétés avec un premier seuil à 5% et un taux marginal de 25%, exonération des profits réinvestis, amortissements accélérés, provisions réglementées, crédit d'impôt recherche ...). 10. Remplacer la taxe professionnelle par un nouvel impôt local ne frappant plus directement l'investissement mais reposant sur une assiette comptable mixte et prenant en compte chiffre d'affaires, valeur ajoutée, excédent brut d'exploitation ou résultat net. Les résultats attendus de cette politique économique sont considérables. L'électrochoc fiscal de croissance serait financé par une augmentation du taux normal de la TVA de 2%, sans toucher aux taux réduits s'appliquant aux produits de première nécessité. Le renforcement de la compétitivité des entreprises, la simplification du marché du travail, l'amélioration du dialogue social et la baisse de la pression fiscale devront permettre de lever les freins actuels aux embauches et de porter la création nette d'emplois dans une fourchette comprise entre 150.000 et 200.000 postes par an, soit le niveau enregistré sur la période 2002-2007. Cet objectif réaliste ne sera, bien entendu, à portée de main du prochain gouvernement que s'il active en même temps les cinq autres axes de la politique économique proposée, faisant de celle-ci un ensemble cohérent et interdépendant. Mohammed Benmoussa Economiste, membre du Bureau exécutif du Mouvement Damir et du Conseil national du Parti de l'Istiqlal.