Partout dans le monde, la jeunesse s'indigne. Dans le monde arabe, elle ambitionne d'installer plus de démocratie et de liberté. En Occident et dans les pays démocratiques, elle cherche à contrer les dérives d'un système économique devenu injuste et des choix politiques qui défendent les intérêts des nantis au détriment de ceux de la majorité. Certains observateurs ont vu dans ce mouvement planétaire l'influence du printemps arabe. D'autres l'ont ramené au mouvement des indignés espagnols du 15 mai. Quelle qu'en soit l'origine et l'inspiration, ce mouvement a montré qu'il existe bien des similitudes entre les protestataires du monde entier. Il s'agit de mouvements conduits essentiellement par la jeunesse, qui conteste le pouvoir en place dans sa légitimité politique. Les jeunes réclament plus de contrôle sur les pouvoirs. Ils demandent à être associés à la prise de décision. S'ils n'espèrent pas tenir la barre, ils voudraient au moins influer sur les décisions du capitaine. En un mot, ces mouvements revendiquent plus d'éthique et de morale, plus de justice sociale et de respect de l'environnement. Comme au Caire, les indignés ne veulent plus marcher. Ils s'installent et occupent des places et des lieux symboliques. Les New-yorkais veulent occuper Wall Street, à Londres, les jeunes campent dans le quartier du London Stock Exchange. À Munich, c'est la Banque centrale européenne qui est visée. Ces symboles de la finance triomphante montrent que le modèle économique vit une crise symbolisée par ce slogan qui révèle l'ampleur du déséquilibre : 99% de la population paie pour les erreurs et la cupidité du 1% restant. Comme pour le printemps arabe, le manque d'organisation centralisée est la caractéristique majeure de ce mouvement planétaire. Sans mot d'ordre précis, personne ne sait réellement d'où est parti l'appel à manifester pour le 15 octobre. Après la mondialisation économique, puis la mondialisation de la crise, voici venu le temps de la mondialisation de la colère. Paradoxalement, si la mondialisation est décriée, elle a aussi beaucoup servi le mouvement. Sans les réseaux sociaux, le mouvement n'existerait probablement pas. Ce paradoxe montre que c'est une mondialisation de la finance et des intérêts économiques qui est rejetée, pas celle de la démocratie, de la liberté et du rapprochement entre les peuples. Ces mouvements de contestation sont autant des indicateurs de la crise économique que des preuves de la bonne santé d'une société qui refuse toute fatalité dans ce domaine. En réalité, tant que l'indignation existe, il y aura de l'espoir. Le mouvement du 20 février ne déroge pas à cette règle. Il a joué et joue encore ce rôle, malgré les diverses tentatives de récupération dont il a fait l'objet. Un parti politique avait fait de son éloignement officiel du mouvement un moyen de son rapprochement avec le pouvoir. Aujourd'hui, il commence à agiter le spectre du 20 février et menace de s'y rallier quand il s'est rendu compte que ses calculs n'avaient pas servi sa stratégie. Ce mouvement, à cause de sa forte hétérogénéité et du manque d'expérience de ses membres, est devenu une sorte de division de réserve que sortent opportunément certains partis politiques quand leurs manœuvres politiques tournent court. Faire de ce mouvement une arme de dissuasion ne lui rend pas justice. Ces jeunes Marocains nous ont réconcilié avec le monde. D'habitude, les vagues du changement mettent beaucoup de temps avant d'accoster sur nos rives. Nous avons aujourd'hui l'impression que la vague est partie de nos côtes. Cette harmonisation mondiale des revendications a fait que pour la première fois, nos sociétés sont en phase avec le reste du monde. Nous avons toujours été en retard d'une révolution. Que ce soit pour la modernité, le développement, la justice, la démocratie, il fallait que ces concepts soient installés ailleurs avant de les voir venir chez nous. Aujourd'hui, les solutions à nos problèmes ne peuvent plus être pensées que dans le cadre de cette remise en cause mondiale du modèle et cette revendication de plus de justice, à laquelle nos jeunes participent activement. Plusieurs observateurs voient dans la crise économique actuelle un danger pour la démocratie. L'histoire nous a appris que ces crises sont souvent le terreau fertile où poussent les pires dictatures. Cependant, l'histoire aura certainement du mal à se répéter. Le mouvement des indignés appelle à une mobilisation mondiale sur des valeurs universelles construites autour de la liberté et surtout de la démocratie. Nous avons vu comment la jeunesse du printemps arabe a fait réconcilier les mouvements islamistes avec les valeurs modernes. Les régimes dictatoriaux avaient présenté de ces mouvements un visage hideux. Les ailes les plus modérées des islamistes ont compris que la jeunesse aspirait à un monde meilleur, qui partage sans complexe les valeurs universelles. Leur modèle s'inspirerait aujourd'hui plus de la Turquie laïque que de l'Afghanistan. Il faut juste espérer que ce pouvoir des jeunes pourra également agir et avec autant d'efficacité sur les marchands opportunistes de la politique.