«Nous sommes partenaires avec Royal Air Maroc et la communauté aéronautique marocaine depuis plus de quatre décennies», déclarait Stan Deal, vice-président et directeur général des opérations et de la distribution de Boeing Commercial Airplanes, à l'occasion de la tenue du premier sommet commercial dédié au secteur aéronautique marocain, en milieu de semaine. Si l'objectif principal assigné à ces rencontres professionnelles est de convaincre les quelque 25 entreprises fournisseuses de Boeing à venir s'implanter sur le territoire (www. Lesechos.ma), certains éléments d'actualité et d'autres bien plus structurels nous incitent à nous interroger sur les dessous d'une mission portée à bras le corps par un géant industriel américain au profit de l'industrie marocaine. Des réalisations du secteur... La création d'un pôle de compétitivité au niveau du Grand Casablanca, où certains pré-requis industriels existaient déjà, a poussé les autorités marocaines à lancer les germes d'un nouveau secteur d'activité au Maroc, et non des moindres: l'aéronautique. Le premier projet d'envergure est certainement celui de la création de Matis Aerospace. Née d'une joint-venture entre la Royal Air Maroc, Boeing et Labinal, une filiale de Safran, spécialisée dans la conception de systèmes de câblages électriques, Matis fête d'ailleurs ses 10 ans aujourd'hui. Plus qu'un projet, Matis est en phase de devenir le point de départ d'une épopée industrielle sans précédent dans l'histoire de l'industrie du royaume, voire de la région. En dix ans, bien des réalisations ont vu le jour. Au niveau des investissements, plus d'une centaine d'entreprises, dont EADS, Creuzet, Zodiac, Aircelle, pour ne citer que celles-là, ont emboîté le pas à Boeing et ont arrêté leur choix de localisation industrielle au profit du Maroc. Sur les cinq dernières années, l'investissement annuel moyen est évalué à près de 500 millions de DH, pour un chiffre d'affaires global à l'export d'environ 1 milliard de dollars. Souvent relégués au second plan au profit des grands indicateurs économiques, les avantages spécifiques inhérents à tous ces projets se sont fait ressentir dès le début. Création d'emplois de qualité, un effet d'apprentissage considérable pour la main-d'œuvre locale, un transfert de compétences, mais aussi de technologie et de savoir-faire technique constituent les principaux effets sociaux constatés à ce jour. Du point de vue institutionnel, l'adaptation du cadre légal des investissements étrangers, mais surtout du cadre de déploiement des activités du secteur ont eu des retombées infinies sur l'image de la région et du pays, mais aussi sur la capacité du Maroc à retenir les investissements et à les accompagner. La création de l'Institut marocain des métiers de l'aéronautique en est la meilleure illustration. Au-delà de la composante formation/adaptation aux besoins des acteurs du secteur, en termes de ressources humaines, il faut voir dans cette initiative la capacité du royaume à créer un cadre général «achevé» pour l'attractivité des investissements étrangers. Il ne s'agit plus d'accueillir des activités délocalisées, mais de les intégrer totalement dans le tissu économique national. En termes économiques, les principales retombées renvoient aux effets d'entraînement du secteur aéronautique sur les autres secteurs d'activité, du fait essentiellement des échanges et des flux intersectoriels de biens et de services et aux effets d'induction sur l'emploi régional (8.000 emplois créés à ce jour) ; des retombées qui méritent d'être quantifiées pour pouvoir mesurer les impacts du secteur aéronautique sur l'économie régionale, voire nationale. Nouveaux enjeux «Le Maroc sera pour l'Europe ce que le Mexique est pour les Etats-Unis», a déclaré Ahmed Réda Chami, ministre de l'Industrie, du commerce et des nouvelles technologies, en réponse à une question sur les perspectives des investissements dans le secteur. Cette assertion, déjà prononcée à l'occasion du dernier Salon du Bourget pour rassurer les Européens sur les effets négatifs de la délocalisation de leurs industries, prend aujourd'hui un tout autre sens. Si Boeing endosse l'habit d'ambassadeur industriel du royaume, cette mission n'est, à n'en point douter, pas innocente. Si l'on se réfère, à titre d'exemple, au processus qui a conduit Renault aujourd'hui à se doter d'une usine de fabrication de voitures au Maroc, et dans les conditions que l'on connaît, un parallèle peut aisément être effectué: limitées à la seule fabrication de composants industriels, l'industrie aéronautique marocaine aurait vocation à se diversifier si les 25 fournisseurs de Boeing venaient à s'installer au Maroc. Avec la probable agglomération de ces entreprises à l'aéropole de Nouaceur, on est en droit de penser que les spécialisations productives actuelles tendront à évoluer, pour s'ouvrir à d'autres composantes de la chaîne de production de Boeing, d'amont en aval. Bataille concurrentielle... Si les éléments opérationnels plaident pour un élargissement de la base du secteur, d'autres, d'ordre plus stratégique, peuvent entrer en ligne de compte et accélérer l'essor de ces activités. Le premier découle directement de la bataille séculaire entre le constructeur américain et Airbus: le marché africain offre des opportunités d'affaires non négligeables et du fait de l'existence des bases d'une pré-industrie aéronautique intégrée au Maroc, ce dernier peut, à moyen long terme, devenir une plateforme industrielle pour Boeing, au service du marché africain principalement, mais aussi est-européen. Ce scénario, fort plausible, peut donner une nouvelle dimension à la place qu'occupe le Maroc dans l'organisation mondiale de la production de Boeing, et partant, de l'essor du secteur aéronautique marocain. Le second élément stratégique découle lui de l'environnement actuel de l'industrie aéronautique. Depuis le Salon du Bourget, tous les spécialistes du secteur s'attendent à une reprise des activités du secteur, manifeste au regard du nombre de commandes pour les années à venir (plus de 1.000 commandes pour les 5 prochaines années) et du niveau de croissance attendu à moyen et long termes (près de 5% sur les 20 prochaines années). Cette nouvelle configuration incite les constructeurs à rechercher une optimisation de leurs coûts, en vue de renforcer leur compétitivité. Boeing, plus que d'autres, a donc intérêt a agglomérer les maillons de sa chaîne de production, ce qui lui permettra non seulement de réaliser des économies d'échelle et d'agglomération, mais aussi de réduire ses coûts logistiques, du fait du rapprochement de ses marchés cibles dans la région de ses centres de production. L'heure est donc au positionnement stratégique de Boeing. L'économie nationale, avec les mesures prévues dans le cadre de l'Offre Maroc Aéronautique et spatial, est en position de force pour dynamiser un secteur industriel à forte valeur ajoutée. Il reste à espérer qu'un jour, nous disposions d'une industrie aéronautique «proprement marocaine», à l'image du Brésil par exemple. Dixit... Le secteur de l'aéronautique est sur une dynamique de croissance de près de 25% par an, soutenue par les activités des quelques 100 entreprises installées à ce jour. Par ailleurs, La Royal Air Maroc et Boeing sont partenaires commerciaux depuis longtemps. Au regard de cette relation privilégiée, nous pensons qu'il est tout à fait normal que Boeing endosse ce rôle d'intermédiaire entre le Maroc et ses prestataires, qui pourraient saisir cette opportunité pour installer une partie de leur production de composants aéronautiques au Maroc. C'est l'objet de l'événement inédit, qui a rassemblé autour de Boeing pas moins de 24 entreprises de référence mondiale. Notre rôle est de leur exploser l'offre Maroc, une offre très compétitive intéressante à même de les convaincre de faire ce pas vers le Maroc. Je pense notamment à l'offre de foncier avec la mise à disposition de larges espaces aménagés pour l'installation de leurs centres de production, et une contribution substantielle du Fonds Hassan II dans l'enveloppe d'investissement à hauteur de 10%. Nous disposons en outre d'un capital humain national riche, composé d'une main-d'œuvre disponible et qualifiée, qui n'a de cesse d'être valorisé, notamment à travers notre Institut Marocain des Métiers de l'Aéronautique (IMA). Enfin, nous nous sommes engagés depuis longtemps et nous continuons à faciliter et accélérer les procédures d'installation des productions étrangères sur notre territoire. Nous leur disons aussi que le Maroc peut devenir pour l'Europe, ce que le Mexique est pour les Etats – Unis, ce qui donne finalement des perspectives de développement des activités du secteur très prometteuses. Ahmed Réda Chami, Ministre de l'Industrie, du commerce et des nouvelles technologies. Le secteur aéronautique au Maroc s'est beaucoup diversifié, et offre aujourd'hui des opportunités d'investissement importantes. La forte présence des prestataires de Boeing, durant l'évènement organisé en milieu de semaine, révèle leur fort intérêt industriel pour les activités de leur client au Maroc, mais aussi pour l'essor du secteur aéronautique marocain. En tant qu'Agence de développement des investissements, nous engageons à rendre possible et dans les meilleurs conditions et délais l'éventuelle implantation des activités de ces 25 entreprises sur notre territoire. C'est notre principale mission aujourd'hui, et toutes les conditions sont réunies pour qu'elle puisse réussir. Fathallah Sijilmassi, Directeur de l'Agence Marocaine pour le Développement des Investissements (AMDI). Le sommet commercial tenu à Casablanca est, pour nous, l'aboutissement de longues années de coopération avec le Maroc. Celle-ci a démarré avec l'achat d'un premier 727 en 1969, et s'est poursuivie, jusqu'à aujourd'hui avec l'achat d'autres avions de ligne. Notre relation avec le Maroc n'a eu de cesse d'évoluer au fil des années, bien qu'elle se soit limitée aux opérations commerciales d'achat d'avions de ligne, et techniques de maintenance de la flotte marocaine. Cependant, au tournant des années 2000, et plus précisément à partir de 2001, cette relation a complètement changé de nature et de dimension, et pour cause. La réalisation en 2001 d'une joint-venture avec Royal Air Maroc et Labinal, une filiale de Safran spécialisée dans les systèmes de câblage électriques, a permis la création de MATIS Aérospace, qui a pour cœur de métier la fabrication et la conception de câbles de signalisation et de moteurs. Notre partenariat avec le Maroc est fondé sur le principe de l'exigence maximale, qui se traduit au niveau opérationnel, par les possibilités réelles de réduction de nos coûts de fabrication de certains segments de notre chaîne de production, mais aussi, au niveau qualitatif, par la disponibilité d'une main-d'œuvre qualifiée qui répond favorablement à nos attentes. Stan Deal, vice-président et directeur général de l'approvisionnement et des opérations de Boeing Commercial Airplanes.