Nous sommes convaincus aujourd'hui que notre bonheur dépend en partie de la profusion des choix qui s'offrent à nous. Plus nous avons d'alternatives, plus nous nous sentons libres et plus nous sommes heureux. Malgré le stress que cela peut induire ou la frustration qui accompagne parfois la difficulté de décider quand trop d'options s'offrent en même temps, nous associons de plus en plus notre liberté à cette possibilité de pouvoir choisir. Or, il n'y a de choix que quand l'offre est plurielle. Il y a des décennies, tous les Marocains consommaient la même marque de lait, d'huile, de thé, de lessive... ils regardaient la même chaîne de télévision, écoutaient la même radio et s'abonnaient chez l'unique opérateur téléphonique. C'est un monde que les jeunes aujourd'hui trouveraient affreusement étouffant. Cette conception de la pluralité comme valeur fondamentale caractérise tous les domaines. La démocratie veut qu'on n'impose plus aux autres nos choix. On leur explique et on les laisse décider. Bien entendu cette délicate intention marche sans encombre quand on veut offrir du chocolat à ses enfants. Mais c'est autrement plus délicat quand il s'agit de les orienter vers des opinions, des convictions ou des valeurs auxquelles on croit. Des amis, formant un couple mixte franco-marocain, avaient décidé, dans une parfaite entente, d'appliquer la laïcité au sein de leur couple. La femme chrétienne et l'homme musulman pratiquaient chacun dans «l'intimité» sa religion. Ils ont pu vivre ainsi dans un climat de tolérance où l'effort d'oublier les disparités pour se concentrer sur les points communs était perceptible. Quand on leur a posé la question sur les convictions religieuses qu'ils transmettraient à leurs enfants, ils n'ont trouvé aucune difficulté à affirmer qu'ils appliquerait le même principe : les enfants choisiront eux-mêmes. Cela revient à croire que nos convictions sont des décisions qui se prennent de manière libre et rationnelle, comme si on en faisait acquisition, après une longue réflexion devant un étalage de «principes» dans un supermarché. De fait, mettre à la disposition de ses enfants des choix de cette nature émane plus d'une peur d'assumer des décisions que d'une philosophie de liberté. Les parents ont peur d'imposer des choix à leurs enfants et considèrent que toutes les décisions se valent et que la meilleure est certainement celle qui sera prise «librement». Le comble a été atteint par ce couple canadien qui a décidé de laisser son enfant déterminer lui-même son sexe. Les deux parents ont ainsi caché cette information capitale pour d'autres couples qui s'acharnent à connaître le sexe du bébé avant sa naissance. Le couple canadien a motivé sa décision par l'envie de rendre «hommage à la liberté et au choix». L'enfant pourra ainsi décider librement de ses goûts, de ses habits, de ses comportements, contrairement à ses camarades dont les décisions dans ces domaines sont forcément orientées par leur sexe. C'est certainement pour illustrer le maelström dans lequel ils jetaient cet enfant qu'ils ont décidé de l'appeler Storm (tempête). Mes parents ne se sont pas posé de question sur l'éducation qu'ils devaient me donner ni sur les valeurs qu'ils voulaient me transmettre. Arrivé à l'âge où l'ont doit s'assumer, je me suis trouvé avec une histoire écrite que je pouvais corriger, sans jamais pouvoir la renier totalement. J'aurais été beaucoup plus vulnérable si mes parents n'avaient pas décidé pour moi et ne m'avaient pas ainsi offert un point de départ. La pluralité du choix est certainement une vertu quand elle est pertinente. Nous pouvons aujourd'hui choisir, quand nous en avons les moyens, les produits que nous consommons, les écoles où nous mettons nos enfants, les chaînes de télévision que nous regardons, etc. Mais dans le domaine politique, nos choix restent douloureux, car la profusion dans ce domaine n'a pas pris le sens d'une diversité. Nous avons été parmi les rares pays de la région qui avaient fait très tôt le choix de la pluralité politique. Mais si nous disposons de plusieurs partis, nous n'avions qu'une seule politique, celle du Makhzen qu'ont appliquée aussi bien les partis dits administratifs que les partis historiques, quand le témoin leur a été transmis. Aujourd'hui encore, nous nous trouvons au mieux, devant le même produit politique et au pire, devant des produits non identifiés. Qui pourrait être notre futur chef de gouvernement ? Quelles différences y a-t-il entre les différents candidats ? Quelle politique appliqueront-ils ? Voilà des questions qui nous mettent devant l'évidence d'un faux choix. La pluralité des partis est vite annihilée par la similitude ou l'absence même de programmes. Dans un monde où la richesse des offres est un indice de bonheur, il n'est pas étonnant que notre paysage politique soit aussi mélancolique. Pourtant, l'attente des Marocains est si modeste. Nous en sommes réduits à chercher des hommes politiques qui fassent juste leur travail. Nous leur demandons simplement d'être honnêtes et intègres. Je pense que si un ministre respectait cette règle, il serait plus populaire qu'un ministre qui obtiendrait des résultats. Ce n'est certainement pas par manque d'ambition des Marocains, mais simplement parce que dans leur supermarché politique, saturé de produits mal emballés, l'homme politique honnête est encore une denrée rare.