Khalil Laabidi : DG de l'Agence de promotion de l'investissement extérieur de la Tunisie (FIPA Tunisia) Malgré la menace sécuritaire, la Tunisie n'entend pas perdre davantage de son attractivité. Pour Khalil Laabidi, directeur général de l'Agence de promotion de l'investissement extérieur de la Tunisie (FIPA Tunisia), les investisseurs étrangers, notamment marocains, peuvent miser sur les projets d'amélioration du climat des affaires pour s'y lancer, sans aucune crainte ! Entretien. Les Inspirations ECO : Qu'est-ce qui fait encore l'attractivité de la Tunisie ? Khalil Laabidi : La Tunisie a vécu une révolution en 2011 contre plusieurs maux : corruption, système du parti dominant, l'ingérence des politiques dans les affaires économiques, etc. Tout cela relève désormais du passé. Aujourd'hui, la Tunisie est un pays nouveau, jeune, libre et démocratique. Les règles de bonne gouvernance sont désormais la norme. Les réformes sont très engagées sur plusieurs fronts. Qu'il s'agisse du Code des investissements, des lois sur les partenariats public-privé (PPP), de la capitalisation des banques publiques, de la réglementation sur les marchés publics, etc. La Tunisie est un vrai chantier sur le plan des réformes ! Tout ceci, avec le vivier de talents dont dispose le pays constituent un atout pour les investisseurs et fait de la Tunisie une destination d'opportunités pour les affaires, aussi bien en direction de l'Afrique que de l'Europe. Avec la menace sécuritaire, notamment en provenance de Libye, pensez-vous que la Tunisie pourra attirer les investisseurs ? La menace sécuritaire est mondiale. Désormais, il faudra composer avec cette menace tout au long des années qui suivront. L'objectif du terrorisme est justement d'arrêter les échanges, d'empêcher les gens de se déplacer librement et de vivre dans la bonne entente. La Tunisie n'est pas le seul pays à connaître des attentats, la France, la Belgique, les Etats-Unis et d'autres pays africains et du monde entier ont tous été frappés ou sont sous la menace. Il ne faut donc pas avoir peur de ce terrorisme, ni avoir peur de venir en Tunisie. La situation sécuritaire est bien maîtrisée et le peuple tunisien est conscient et uni contre ce fléau en dépit de quelques échappées, mais cela ne doit pas nous arrêter. Nous devons vivre avec cette situation et continuer à combattre le terrorisme dans un cadre régional et global. Quels sont les secteurs exportateurs de la Tunisie ? Les secteurs exportateurs de la Tunisie sont multiples. On peut en citer au moins cinq. Le premier est l'industrie automobile, notamment les composants automobiles. La Tunisie est le deuxième fabricant de composants automobiles en Afrique. Le deuxième secteur exportateur, c'est l'aéronautique. Nous avons dans le pays une centaine d'entreprises à la pointe de la technologie qui fabriquent des composants pour Airbus, totalement exportatrices. Je peux même dire que la quasi-totalité des avions Airbus en service actuellement disposent au moins d'une composante fabriquée en Tunisie. Le troisième secteur est celui des technologies de l'information et de la communication (TIC). Nous avons des atouts au niveau des infrastructures des TIC : connexion internet, accès à l'information, maîtrise des langues, abondance des ingénieurs sur le marché, etc. Quid des énergies renouvelables ? La Tunisie dispose d'un savoir-faire dans les énergies renouvelables. Nous venons d'adopter une loi sur les énergies renouvelables qui va nous permettre de faire une belle avancée dans ce domaine. Enfin, la Tunisie est aussi un pays qui dispose d'un fort potentiel dans le secteur de l'agroalimentaire et surtout en matière de produits bio, la Tunisie est le 8e pays accrédité en tant qu'exportateur de produits «bio» sur le marché de l'Union européenne. Justement dans l'agroalimentaire, quels sont vos plus grands atouts ? Pour la campagne 2014-2015, la Tunisie a été classée premier exportateur mondial d'huiles d'olives. Cette huile est en plus de très bonne qualité. Aussi, nous sommes le premier producteur mondial de dattes, ainsi que le deuxième producteur africain de produits «bio». Nous savons qu'en Afrique il y a beaucoup de travail à faire dans ce domaine et un potentiel énorme et nous sommes entièrement à la disposition du continent pour partager notre expérience. Quel partenariat est possible entre la Tunisie et le Maroc pour aller en Afrique ? Les fondements de l'économie marocaine et les ambitions de développement de ce pays frère et ami sont quasi-similaires à ceux de la Tunisie. Nous avons aussi des caractéristiques différentes qui constituent une richesse. Géographiquement, les deux pays peuvent servir un spectre territorial plus large vu leurs positions sur le continent. Malgré tout, nos deux économies peuvent être complémentaires. Nous pouvons développer ensemble une politique «Afrique du Nord-Afrique subsaharienne» qui serait très bénéfique pour tout le continent. La Tunisie a-t-elle besoin des investisseurs marocains ? Bien sûr ! Les investisseurs marocains sont les bienvenus en Tunisie. D'ailleurs, je rappelle que les investisseurs tunisiens ont déjà fait le pas en direction du Maroc. De plus en plus d'opérateurs tunisiens se lancent sur le marché marocain et je tiens à souligner qu'il ne s'agit pas seulement de petites entreprises, mais de multinationales car nous disposons de multinationales 100% tunisiennes. En un mot, la Tunisie investit au Maroc et nous encourageons et invitons chaleureusement nos frères marocains à faire de même en Tunisie. C'est ainsi que nous pourrons parvenir à un partenariat gagnant-gagnant. La Tunisie a récemment pris part au Forum Afrique développement à Casablanca, quel en était l'objectif ? Notre but était d'abord de rappeler encore une fois que la Tunisie est un pays africain. Nos racines sont africaines et nous nous devions d'être présents à cet important événement car c'est un cadre où nous pouvons rencontrer des dirigeants du continent. Ensuite, nous nous sommes rendu compte que les opportunités d'investissement en Tunisie ne sont pas très connues, surtout ce que la Tunisie peut apporter à l'Afrique. En France, en Allemagne par exemple, les opérateurs économiques sont conscients de ce que la Tunisie peut apporter au continent, mais paradoxalement, ce n'est pas le cas en Afrique. Enfin, nous avons la conviction qu'il y a actuellement un «projet Afrique». Le monde entier est orienté vers le continent, qui offre de réelles opportunités. Seulement, les pays africains continuent de négocier un à un, ce qui n'est pas de nature à les renforcer. D'où notre conviction qu'il faut une coopération sud-sud. Comment concevez-vous cette coopération sud-sud ? La Tunisie est prête à coopérer dans ce cadre sud-sud. Nous savons qu'il y a des synergies possibles entre pays africains. Il faut donc les évaluer pour ensuite entamer les négociations avec les autres continents. Nous sommes très ouverts à la coopération avec le reste du monde, mais nous estimons qu'il est aussi primordial d'unir nos voix en tant qu'Africains. Qu'est-ce que la Tunisie peut proposer aux pays africains ? D'abord, la Tunisie a une position historique et géographique distinguée. Notre pays a commencé à commercer avec le monde extérieur depuis 870 avant Jésus Christ grâce notamment au port punique de Carthage. Nous avons donc un savoir-faire qui constitue notre premier atout. Deuxièmement, sur le plan géographique, notre pays se trouve à trois quart d'heures de l'Europe par avion. Nous avons des conventions de libre-échange avec l'Union européenne ; avec les pays arabes, à travers l'accord d'Agadir ainsi qu'avec la Turquie. Cela donne aux investisseurs en Tunisie des opportunités pour échanger avec un marché de 800 millions de consommateurs. Troisièmement, la Tunisie est un vivier de talents et de savoir-faire. Depuis les années 50, nous investissons dans la formation et aujourd'hui, nous disposons de ressources qualifiées dans de nombreux domaines tels que l'ingénierie et la R&D. La Tunisie en quête de communautés économiques La Tunisie a présenté des demandes officielles pour adhérer aux Communautés économiques des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), de l'Afrique centrale (CEEAC) et au marché commun des Etats de l'Afrique australe et de l'Est (COMESA), a affirmé vendredi 11 mars, le ministre tunisien du Commerce, Mohsen Hassen. «Il s'agit d'offrir un cadre juridique au développement des relations économiques entre la Tunisie et les groupements africains», ajoute le responsable. La conquête des marchés africains figure parmi les priorités actuelles du pays, indique-t-il. Par ailleurs, le département tunisien du Commerce est en train de peaufiner une nouvelle stratégie nationale de promotion des exportations, dont les détails seront annoncés mi-avril. En Tunisie, plusieurs pistes sont actuellement étudiées pour booster les échanges avec le continent. Les préoccupations des entreprises exportatrices sont notamment liées à la complexité et la lenteur des procédures administratives, douanières et techniques ainsi qu'au manque de lignes maritimes et aériennes permanentes liant la Tunisie aux pays africains.