Acteur qui a su prouver que le rôle du «rebeu» n'était pas une fatalité, Sami Bouajila a une carrière exemplaire, un jeu qui inspire et un parcours qu'il qualifie de combattant et quoi qu'il incarne, on finit forcément par s'y attacher. Celui qui a incarné Omar Raddad, sans tomber dans les clichés, est à Marrakech en tant que membre du jury aux côtés de Coppola. Coulisses d'une compétition à travers les yeux d'un acteur viscéral, d'un comédien engagé à la limite de la tendresse et du danger. Les ECO : Avec quel regard allez-vous juger un film ? Est-ce que vous allez vous concentrer plus sur le jeu d'acteurs ? Sami Bouajila : Waou...Je n'arrête pas de me poser cette question en fait ! En émettant un avis, il y a forcément une sanction qui va tomber. J'essaie de me positionner dans la globalité des films que je regarde. Pour l'instant, j'ai des impressions, mais je ne me positionne pas. Ensuite, il y a tout qui rentre en compte, le fond, la forme, l'interprétation, ce qui se dit, ce que ça veut dire, ce que ça dégage, ce que ça véhicule, où cela nous emmène, si ça nous interpelle, est-ce qu'il y a quelque chose de complaisant et ce qui me gêne dedans. En débattant avec les autres, je verrais bien la position que je prendrai... Ce n'est pas évident, mais ce n'est pas une signature non plus, on va voir. En regardant votre parcours, on sent que vous êtes un des seuls à sortir des clichés, des rôles stéréotypés... Certains rôles se sont imposés à moi au départ et ont fait partie de mon parcours. Je ne me pose plus cette question, d'où ce détachement. Je ne veux pas coller à l'image, des préjugés qu'une certaine société peut avoir, que mon image peut véhiculer. Ou sinon si je veux m'attacher à cette image-là, c'est en tant qu'artiste et qu'acteur. Ce qui m'interpelle, ce sera le metteur en scène, le projet ou le rôle. Il m'appartient à moi de me détacher de cela... Dans «Omar m'a tuer» ou «La Faute à Voltaire», ce sont, en fait, des films qui prennent position. Je n'ai pas moi à revendiquer cette position. Il m'importe de défendre artistiquement ce personnage en me libérant de cette position. Quand j'interprète Omar, je ne veux pas en faire un fait de société parce que lui-même en était un. Exécrer longtemps un métier, comme le mien, a été un parcours du combattant. J'ai conscience qu'un auteur qui va écrire un scénario, de fait je ne ferai pas partie des acteurs susceptibles d'incarner le rôle. Et cela ne date pas d'hier. Mon premier rôle, je l'ai eu dans les années 90. Je ne tiens pas à être le porte-drapeau de la communauté maghrébine, ce n'est pas mon rôle encore une fois. Est-ce qu'il y a un cinéma qui vous touche plus qu'un d'autre ? Oui, et pas qu'un. Là, en ce moment il y a Fatih Akin. C'est énorme. J'adore son cinéma. Il a des prises de position artistiques dans son cinéma. «Head on» est une école pour moi. Il y a aussi Paul Thomas Anderson. Je suis très cinéphile, il y a toujours un cinéma qui m'inspire plus que d'autres dont je m'inspire et auquel j'ai envie de participer. Vous campez vos rôles de manière presque viscérale, dans «Omar m'a tuer», vous nous offrez une leçon, est-ce que c'est facile de sortir de vos rôles après coup ? Est-ce qu'ils vous hantent ? Non, parce que j'essaie d'appliquer ce que j'ai essayé de vous expliquer, je me détache de la chose. Je me donne entièrement, je me livre, je n'ai presque pas envie de voir les films parce que je préfère garder le sentiment intérieur de la construction et du personnage, du film en soi, et du voyage, du metteur en scène. En parlant de metteur en scène, est-ce que vous aimez être dirigé ou vous préférez la liberté et l'improvisation ? -Les deux, je pense. Pour être libre, il faut être dirigé. Si on a la direction, parfois avec le metteur en scène, cette liberté-là vient de fait. En règle générale, je viens et je me fie au réalisateur. S'il me demande de glisser sur une peau de banane, de rentrer par une porte ou de sortir par une autre, je le fais. Mais est-ce que, aujourd'hui, avec tout votre bagage, vos prix, quand vous rentrez sur un plateau de tournage, vous êtes plus confiant ou bien, vous avez un stress supplémentaire ? Je pense que c'est le propre de tout individu, de tout acteur. Si vous avez demandé cela à Bill Murray hier, il vous aurait répondu la même chose. Il vous l'aurait dit sur le ton d'humour, mais, derrière, il y a toujours un vertige, une peur, des doutes. Il y a quelque chose sur laquelle j'arrive à me poser de plus en plus et qui me fait beaucoup de bien, cette envie se transforme en confiance. Il y a une pratique qui est la mienne comme un sportif...J'ai toujours l'impression que ce que je cherche sur un film, je le trouve dans un autre film. Il y a un lien qui se fait...