La crise des dettes souveraines et les nouvelles craintes quant à une nouvelle crise financière internationale ou encore la probable entrée des pays développés en récession font passer un autre enjeu économique mondial majeur au second plan. En effet, ce que les spécialistes appellent, depuis 2008 déjà, la guerre monétaire est en train de prendre une autre ampleur. Entre les déboires du dollar, la volonté chinoise et les nouvelles difficultés de l'euro, une bataille des tranchées est engagée. Et le dirham dans tout cela ? Malgré sa non convertibilité, il est indéniable qu'il subit l'impact des tensions monétaires à l'international. Toutefois, il convient de différencier l'impact du nouveau contexte international entre flux et cours. Ainsi, comme l'avance Halim Abid, responsable Trading international à Attijariwafa bank, «il n'y a pas de réel impact sur les flux traités par les salles de marché au Maroc». «Le volume des flux est en progression à cause notamment de la flambée des prix des matières premières», explique cet expert. Ce n'est désormais un secret pour personne que la facture des matières premières et plus spécifiquement la facture énergétique ont pris ces derniers mois une toute autre ampleur dans les charges des entreprises et de l'Etat. «La facture énergétique a progressé de 41%, soit une contribution de 40% à la hausse des importations totales, en raison essentiellement du renchérissement de la valeur des importations des gas oils et fuel oils, de l'huile brute de pétrole et du gaz de pétrole et autres hydrocarbures», peut-on lire dans le dernier rapport de conjoncture économique publié par la direction des études et des prévisions financières. Sur ce même document, les responsables du ministère expliquaient, plus loin, que «la facture alimentaire a progressé de 50,6% en glissement annuel après une quasi stagnation (+0,7%) un an auparavant, soit une contribution de 21,4% à la progression de la valeur des importations totales. La hausse de la valeur des importations de blé est le facteur principal expliquant cette tendance». Ce renchérissement des factures d'importation accentue la demande des opérateurs marocains en monnaie étrangères, notamment en dollar. Les salles de marchés sont donc loin de chômer et les montants traités sont en nette progression ces derniers mois. Impact significatif sur le cours A contrario, côté cours, l'impact est bien là ! «L'impact est significatif vu la forte corrélation à l'euro qui représente près de 80% dans la configuration actuelle du panier de devises», argue Abid Halim, qui fait allusion à l'impact sur les exportations marocaines. En effet, le dirham s'étant apprécié par rapport au dollar, qui ne représente que près de 20 % dans le panier de devises marocain, les produits marocains se retrouvent ainsi sur les marchés où le dollar a cours. Grâce au niveau de leur monnaie, les américains sont plus compétitifs. D'un autre côté, l'effet est compensé par les importations. En effet, le gros de la facture énergétique étant libellé en dollar, la faiblesse de ce dernier devant l'euro et, par effet d'induction, devant le dirham arrange les opérateurs marocains. Cela limite aussi l'effet de l'inflation importée qu'aurait pu engendrer la flambée des prix des matières premières. Toutefois, malgré cet effet nuancé, la question de la pertinence de la configuration actuelle du panier de devises reste d'actualité. En fait, les tensions monétaires à l'international la reposent avec encore plus d'acuité. «La configuration actuelle du panier de devises est logique vu qu'elle correspond à la structure de nos échanges extérieurs», répond d'emblée le spécialiste des marchés de changes. En fait, l'Europe reste le principal partenaire économique du Royaume et de ce fait un dirham fortement corrélé à l'euro reste en principe, la meilleure assurance contre les soubresauts du marché monétaire international. Néanmoins, le fait de suivre la politique monétaire européenne peut s'avérer préjudiciable à terme pour les exportations marocaines. «La politique monétaire européenne est inspirée par la philosophie allemande qui entend éviter à tout prix de jouer avec la monnaie», explique un expert international qui ne manque pas de signaler l'effet préjudiciable que cela induit sur les exportations européennes. Ces dernières peuvent se prévaloir d'une valeur ajoutée qui atténue cet effet, ce qui n'est pas forcément le cas de l'offre exportable marocaine. Toujours est-il que désormais l'Europe prend les allures d'un colosse au pied d'argile dans le giron de la crise des dettes souveraine. De l'avis des experts internationaux, l'économie du vieux continent entre dans une période trouble. Le premier ministre français, François Fillon, a annoncé en milieu de semaine un plan d'austérité. Ses homologues européens devraient suivre dans la foulée. Les échanges avec le Maroc risquent d'en être grevés d'où la nécessité pour l'offre exportable marocaine de s'orienter vers de nouveaux marchés plus porteurs. Aussi, la structure des échanges commerciaux marocains en sera forcément chamboulée dans les années voire les mois à venir. La configuration du panier de devise restera-t-elle aussi pertinente à l'aune du nouveau contexte. Rien n'est moins sûr ! Plus encore, les autorités marocaines affichent depuis belle lurette leur volonté d'avancer progressivement vers la convertibilité du dirham. Un objectif nourrit ces derniers mois par des mesures de flexibilisation du régime de change marocain. Le nouveau contexte remet-il cet objectif en cause ? Le Maroc peut-il relever ce défi au vu de l'évolution récente que connaît le marché de change à l'international ? En a-t-il encore les moyens ? Autant de questions que les observateurs se posent malgré la confiance affichée par les autorités. «Les autorités semblent bien décidées à aller vers la convertibilité du dirham», confirme le responsable Trading International à Attijariwafa bank, qui admet tout de même la difficulté de la tâche. «Cela dépend de la capacité de Bank al Maghrib de gérer les cours de change avec les réserves en devises dont elle dispose», explique-t-il avant d'ajouter : «Or, ces dernières ont sensiblement baissé sous l'effet de l'augmentation de la facture énergétique et de la moins bonne performance des recettes des MRE et du tourisme». C'est peu dire... En effet, les réserves de change de la banque centrale fondent depuis le début de l'année. Le défi de la convertibilité Le déficit structurel de la balance commerciale et par ricochet de la balance des payements ramène les réserves de changes du royaume à un niveau historiquement bas. Ils sont passés en dessous des 6 mois d'importation selon les dernières statistiques disponibles qui actualisent cette baisse à fin mai. «Cela reste un contexte relativement soutenable et ne remet pas en cause la possibilité de passage au flottant», tempère Halim Abid qui même s'il admet que la situation est moins confortable que par le passé soutient qu'il n'y a pas d'urgence, conforté en cela par la confiance que les marché internationaux témoignent au Maroc. «Il n'y a pas de grand risque puisque nous nous finançons moins cher que l'Espagne, le Portugal ou encore la grèce. C'est une marque de confiance des marchés internationaux et cela nous conforte dans l'idée que le passage au flottant ne devrait pas poser de problèmes», précise-t-il. Cette confiance se confirmera-t-elle si les réserves en devises du royaume continuent de fondre comme neige au soleil ? Dans une interview parue sur les Echos quotidien (édition du 8 Août dernier), l'ancien ministre des Finances, Mohamed Berrada, soulignait la nécessité de réformes profondes pour remédier au déficit structurel de la balance commerciale, seule solution pour stopper l'hémorragie des réserves. C'est en fait le prix à payer pour continuer à poursuivre l'objectif de convertibilité du dirham... Vers un nouvel ordre monétaire Le 15 Août 1971, le président américain Richard Nixon suspend la convertibilité du dollar en or. Il met ainsi fin, de facto, aux accords de Bretton Woods. 40 ans plus tard, la nécessité de réformer le système monétaire international en vigueur est devenue une évidence. En effet, le système actuel a montré ses limites avec l'aggravation d'un déficit de la balance des paiements américaine devenu structurel. La Chine, principal détenteur extérieur de dollar, ne peut plus permettre aux Etats-Unis de faire marcher la planche à billet pour se financer. Plus question de laisser la banque fédérale américaine s'adonner au «Quatitative easing» en rachetant les bons de trésor américains. Par ce procédé de la dette disparaît et de la monnaie apparaît. Or, la Chine détenant des réserves importantes en dollar est obligé de soutenir son cours pour ne pas voire ses réserves fondre nominalement. Aujourd'hui donc, la fameuse guerre des monnaies suit son cours dans les tranchées des réunions du G20 et autres grands sommets internationaux. La piste la plus sérieuse plaide pour l'adoption de tirages spéciaux basés sur une pondération des principales monnaies internationales. Cela aurait le bénéfice de rompre la dépendance à la monnaie américaine et de suspendre cette configuration incongrue qui fait du dollar la monnaie officielle des Etats unis, mais aussi du monde. En tout cas tous les spécialistes s'accordent à dire qu'il est désormais plus qu'urgent de construire un nouvel ordre monétaire mondial basé sur le nouvel équilibre des forces entre les puissances économiques mondiales. Aussi, ce nouvel ordre monétaire devra entériner l'émergence des BRIC et plus particulièrement la Chine comme acteur majeur de l'équilibre monétaire international.