Depuis quelques mois, le ministère de l'Industrie, du commerce et des nouvelles technologies envoie des signaux forts. Le Maroc est décidé à faire de la défense commerciale un moyen de protéger ses entreprises. Il reste maintenant juste à savoir si les PME en profiteront également. Àl'heure où le Maroc veut faire du développement de la production nationale un de ces principaux moteurs de croissance, force est de constater que les entreprises nationales continuent à voir rouge quand il s'agit de faire face à la concurrence étrangère. En effet, nul n'ignore plus que les différents accords de libre-échange en cours pénalisent lourdement les entreprises nationales, ces dernières n'étant pas suffisamment fortes pour pouvoir faire face à la concurrence qui en découle, encore moins quand il s'agit de PME. La situation s'est amplifiée dans certains secteurs où ces accords de libre-échange ont bénéficié également à certains concurrents dont les pratiques ne sont pas totalement loyales. Aujourd'hui, les pouvoirs publics ont initié plusieurs démarches pour pouvoir remédier à cette situation. Au-delà de l'accélération des différentes stratégies sectorielles devant, à terme, permettre de renforcer le tissu productif, l'Exécutif semble également se pencher de plus en plus vers l'activation de mesures de défense commerciale. Les expériences à ce niveau s'enchaînent en effet depuis quelques mois (Importation de contreplaqués, importation de PVC).Mieux encore, le ministre de l'Industrie, du commerce et des nouvelles technologies semble accorder une attention particulière à ce sujet. La preuve en est que dès sa première année de mandat, le ministre a veillé sur l'assainissement du volet réglementaire et procédural pour tout ce qui a trait aux mesures anti-dumping. Un projet de décret vient même d'être validé par le Conseil du gouvernement fin décembre dernier. Selon Abdelkader Aâmara, ministre de l'Industrie, du commerce et des nouvelles technologies, «ce texte est de nature à expliciter un ensemble de dispositions relatives à la défense commerciale, notamment le dumping, les subventions et une modalité pour mener des enquêtes et des séances d'audition». Ce projet fixe les modalités d'application de la loi promulguée en juin 2011. De plus, le département de l'Industrie, du commerce et des nouvelles technologies envisage de lancer un manuel de toutes les procédures relatives, d'une part aux enquêtes antidumping, y compris l'enquête relative aux dommages et d'autre part aux enquêtes anti-subventions. Ce document servira de guide aux enquêteurs dans leurs missions de détection de cas d'importations déloyales ou massives auprès des plaignants, notamment les producteurs locaux. C'est dire tout l'arsenal qui est en train d'être mis en place en vue de protéger les entreprises de certains secteurs pénalisés. Pas gagné d'avance Cet intérêt des pouvoirs publics ouvre même l'appétit de plus en plus de secteurs. Les demandes d'introduction de mesures anti-dumping ou de sauvegarde se multiplient, surtout dans le contexte économique actuel où les entreprises peinent à se maintenir en vie. Ainsi, on a récemment vu des sidérurgistes, ou encore des céramistes demander à leur tour des mesures anti-dumping. Serait-ce donc le moyen adéquat pour faire face à cette recrudescence de la concurrence induite par les différents partenariats économiques ? Les économistes ne sont pas forcément d'accord sur cette question. Certes, quand il s'agit de concurrence déloyale, nul ne réfute la nécessité d'y faire face, quel qu'en soit le moyen. Cependant, quand il s'agit de concurrence tout court, la donne est différente. D'abord parce qu'il ne faut pas oublier que le Maroc est régi par les accords de l'Organisation mondiale du commerce et qu'il ne peut pas faire usage à outrance des mesures de sauvegarde. Du moins, pas autant que les entreprises le souhaitent. D'ailleurs, auprès du ministère de l'Industrie, du commerce et des nouvelles technologies, on insiste sur le fait que «les dispositions énoncées dans le projet de décret (ndlr récemment adopté) constituent une transposition des règles et prescriptions pertinentes des accords de l'OMC en lien avec les questions de défense commerciale, à savoir l'accord antidumping, l'accord sur les subventions et les mesures compensatoires et l'accord sur les sauvegardes». Ensuite, force est de constater que ce ne sont pas toujours les PME qui bénéficient de ces mesures. L'expérience a en effet démontré que ce sont plus les grandes entreprises qui osent demander pareilles mesures. Les PME elles, continuent à subir la concurrence tant qu'il n'y a pas un grand opérateur dans leur secteur capable de créer le débat autour de la nécessité, ou pas, d'introduire des mesures anti-dumping. Il faut dire qu'à ce sujet, le problème se situe au niveau de la réglementation même. Selon les textes en vigueur, la demande ne peut être adressée que par une branche de la production assez significative pour représenter le secteur. Les pouvoirs publics privilégient à ce titre les requêtes émanant de fédérations professionnelles et d'associations à celles d'un opérateur unique. C'est d'ailleurs une question qui a longtemps fait polémique lorsque la SNEP demandait des mesures de sauvegarde contre l'importation de PVC en provenance des Etats-Unis, les importateurs de PVC jugeant eux que la SNEP n'était pas la seule représentante du secteur. Finalement, l'opérateur a eu gain de cause la semaine écoulée, les autorités ayant jugé qu'il était assez grand pour représenter significativement le secteur, chose qui n'aurait pas forcément été acquise si la demande avait émané d'une PME. Il est donc clair que dans un contexte où les PME ne sont pas suffisamment représentées au niveau des fédérations professionnelles, il soit par conséquent difficile pour elles de faire entendre leur voix. Il y a par ailleurs lieu de souligner que convaincre l'Etat d'ouvrir une enquête, cela ne se traduit pas forcément par la mise en place de mesures spécifiques. L'adhésion du Maroc aux accords de l'OMC lui impose en effet une procédure bien définie pour pouvoir diligenter l'enquête. Le dernier décret adopté s'inscrit d'ailleurs dans ce sens, fixant des limites selon lesquelles les pouvoirs publics décident de la nécessité d'introduire des mesures. Les enquêtes se multiplient Quoi qu'il en soit, plusieurs enquêtes ont récemment été diligentées dans le cadre de la défense commerciale. Si le cas des importations de la SNEP a été le plus polémique, vu qu'il a duré plusieurs années, les mesures prises l'été dernier dans le cas du contreplaqué chinois ont constitué une première véritable victoire pour les entreprises nationales. Aujourd'hui, une autre enquête tout aussi importante est en cours, bien qu'elle concerne surtout de grands groupes. Il s'agit de celle sur l'importation d'insuline du Danemark, conditionnée en flacon de 10 ml. Il existe également une enquête en cours sur les importations de tôles en acier laminé à chaud originaires des pays de l'Union européenne et de la Turquie. Sur le terrain, les pratiques contre lesquelles doivent lutter les autorités publiques en matière d'importation peuvent prendre plusieurs formes. Les plus répandues, selon les patrons d'entreprises, sont d'abord les cas où l'entreprise étrangère casse volontairement les prix de vente du produit exporté vers le Maroc afin d'asphyxier les entreprises opérantes sur le marché. Dès que ces entreprises ne pourront plus lui faire face, dans la majeure partie des cas parce qu'elles ont disparu, seul le produit importé reste sur le marché, ce qui donne la possibilité à son fournisseur de fixer librement les prix de vente, loin de toute concurrence. Ensuite, il y a la forme dont se plaignent aujourd'hui beaucoup de secteurs, notamment le BTP, il s'agit des subventions. Certains pays accordent en effet des subventions à leurs entreprises exportatrices, ce qui leur donne un atout indéniable sur le marché qu'elles souhaitent envahir. Cette situation est l'une des plus problématiques actuellement pour le Maroc, vu que plusieurs des 55 pays avec qui le Maroc a signé des accords pratiques concernent justement ses subventions. Si l'ouverture des enquêtes précitées ou la mise en œuvre effective de mesures de défense, laissent présager de grands espoirs pour les opérateurs concurrencés, cela pourrait tout de même faire grincer des dents d'autres entreprises marocaines, celles qui utilisaient justement ces produits, soit pour les revendre, soit dans leur exploitation courante.