Le marché de taux est une composante fondamentale du marché financier marocain, mais il doit aujourd'hui faire face à bon nombre de problèmes : manque de liquidité, aversion au risque de crédit de la part des investisseurs et faible dynamique du marché obligataire coté. Le marché de la dette privée s'est développé de manière indiscutable ces dernières années. Cependant il fait face aujourd'hui à de nombreux challenges : manque de liquidité, aversion au risque de crédit de la part des investisseurs et faible dynamique du marché obligataire coté. C'est dans ce contexte que Cejefic Consulting, avec l'appui de la Bourse de Casablanca, a entrepris une étude intitulée : «marché taux : positionnement et analyse». L'objectif de cette étude est double : d'une part renvoyer une image fidèle de la dynamique du marché de taux en mettant l'accent sur la dette privée et d'autre part de présenter des pistes d'amélioration pragmatiques avec leurs apports et leurs limites. «Cette étude s'inscrit dans la continuité de la précédente (sur le marché des actions) et vise à mettre en lumière les spécificités du marché de taux marocain mais également à explorer des pistes d'améliorations pragmatiques», souligne Brahim Sentissi, directeur et fondateur de Cejefic consulting. Ainsi, en analysant les données de marché, l'étude jette la lumière sur deux principales caractéristiques du marché de la dette privée au Maroc. Tout d'abord ce dernier a connu une dynamique des émissions avant de subir un ralentissement. Deuxième caractéristique du marché de la dette privée : les émissions de dette privée sont dominées par les titres de créances négociables (TCN). Les banques, acteurs majeurs du marché En effet, les émissions de la dette privée ont connu une forte augmentation ces dix dernières années. En particulier, les montants émis ont évolué de 22 MMDH en 2007 à 77 MMDH en 2010 (+250% en 4 ans). Cependant les montants des émissions ont commencé à légèrement décliner par la suite (à partir de 2011). Cette dynamique haussière s'explique notamment par les émissions de plus en plus importantes des établissements bancaires (le plus souvent sous forme de certificats de dépôt) dans un contexte de resserrement de la liquidité de l'économie depuis 2008. Par ailleurs, les émissions de dette privée ont été clairement dominées par les TCN qui représentent sur la période 2003-2013, environ 75% du montant total des émissions. L'étude note une part très importante des émissions de certificats de dépôt (plus des 3⁄4 des montants des TCN émis sur les 10 dernières années). À partir de 2008, les émissions des bons de sociétés de financement (BSF) ont augmenté de manière significative (le montant moyen des émissions est 4 fois plus important sur la période 2009-2012 que sur la période 2001-2008). «Ceci est principalement dû à la dynamique importante du crédit à la consommation (augmentation moyenne de 12% par an des crédits octroyés par les sociétés de financement entre 2005 et 2012). L'accès au marché permet à ces sociétés de se financer à des taux attractifs et ainsi de leur assurer une marge confortable», affirme l'étude de Cejefic consulting. Enfin, les émissions de billets de trésorerie représentent 15% du total des montants de TCN émis sur les 10 dernières années. Selon la même étude, 81% des émissions sur les 10 dernières années ont été effectuées par Maghreb Steel, le groupe ONA / SNI, Afriquia Gaz, Addoha et Alliances. Des freins structurels Cependant, 2013 a été caractérisée par un taux très faible d'émissions obligataires (4 au total). «Après le rééchelonnement de la dette de Maghreb Steel et l'arrêt de cotation du titre Mediaco, l'aversion au risque de crédit est devenue très marquée», explique à cet égard l'étude. Ainsi, les obligations émises en 2013 sont dues majoritairement aux banques et aux EEP, qui sont des signatures de qualité. De plus, la poursuite de la hausse des taux des bons du Trésor a renforcé l'effet d'éviction. En effet, entre les taux sans risque élevés (taux à 5 ans dépassant les 4,75% en 2013 par exemple) et un investissement risqué, les investisseurs se tournent naturellement vers les bons du Trésor. Il est à noter par ailleurs que les actifs sous gestion ont très peu évolué entre 2012 et 2013, la demande provenant des OPCVM a donc stagné sur cette période. Ces mêmes freins conjoncturels ont été relevés par les opérateurs (investisseurs et émetteurs) pour expliquer le ralentissement récent des émissions. Cependant, ces derniers mettent également l'accent sur d'autres causes structurelles. En effet, les freins identifiés du côté des investisseurs sont tout d'abord le manque de liquidités sur les titres de dette privée, qui n'est pas forcément pris en compte dans leur prix. «Du coup les investisseurs sont le plus souvent contraints de conserver les titres jusqu'à leur maturité», souligne Brahim Sentissi. La protection juridique des obligataires est également citée. Contrairement à de nombreux pays étrangers, on constate que lors des émissions obligataires au Maroc, il y a généralement très peu de clauses de protection des obligataires (pas de negative pledge ou de covenants par exemple). Par ailleurs, il n'y a pas une règlementation claire gérant les défauts de paiements des émetteurs de dettes. Enfin, les investisseurs pointent du doigt le manque de visibilité sur les volumes et les prix ainsi que la mauvaise appréciation du risque de crédit. Du côté des émetteurs, les principaux freins évoqués sont l'aspect culture financière, les entreprises se dirigeant spontanément vers les banques pour leur financement. Le deuxième frein lui concerne les contraintes de transparence qu'impose l'appel public à l'épargne. En effet, «la part de l'informel dans l'activité économique, bien que difficile à mesurer, est du point de vue des opérateurs très importante», explique l'étude. Le coût de l'émission, même s'il se trouve au final dilué, peut également paraître bloquant. Des programmes d'émissions pour les obligations Enfin, figurent les contraintes administratives. En effet, l'entreprise doit être sous forme de société anonyme et avoir au moins deux exercices certifiés pour émettre des obligations. À partir de l'analyse des freins à la dynamique des émissions et suite aux discussions avec les opérateurs de marché, Cejefic consulting a identifié plusieurs pistes d'amélioration du marché obligataire. Selon le cabinet de conseil en finance, il faut mettre en place des programmes d'émissions pour les obligations, comme cela est fait pour les titres de créance. L'idée serait qu'au lieu d'imposer les mêmes contraintes administratives à chaque émission (note d'information, visa du CDVM, etc.), on donne la possibilité à l'émetteur de valider un programme d'émission et de puiser dans le montant total autorisé à chaque émission jusqu'à son épuisement et ceci pendant une période déterminée. «Par exemple une société qui prévoit de lever 800 MDH sur 5 ans pourrait faire valider un programme d'émission par l'autorité de régulation et ainsi émettre le nombre d'emprunts obligataires qu'elle désire sur la période validée, moyennant une simple mise à jour de la note d'information (dans la limite du montant du programme)», explique l'étude. C'est d'ailleurs une pratique courante à l'étranger ! Il est à noter par ailleurs qu'au sein d'une entreprise, la loi sur la S.A (art. 294) permet déjà à l'assemblée générale ordinaire des actionnaires de déléguer au conseil d'administration ou au directoire les pouvoirs nécessaires pour procéder, dans un délai de 5 ans, à une ou plusieurs émissions d'obligations et en arrêter les modalités. La notation des émissions, une nécessité En second lieu, il faudrait élaborer des statistiques sur le marché primaire et secondaire. En ce qui concerne le marché secondaire, la seule base de données identifiée par Cejefic consulting qui pourrait alimenter ces reportings est celle de Maroclear. L'idée serait de diffuser, une fois par semaine dans un premier temps, les volumes et cours de transactions sur l'ensemble des titres de la dette. Pour aller plus loin, cela permettrait également de commencer à construire des courbes de spread de crédit (primes de risques). Les investisseurs pourraient ainsi mieux apprécier le risque de crédit et les émetteurs auraient une vision plus précise du coût de leurs futures émissions. Il faudrait aussi sensibiliser les chefs d'entreprises et banaliser le marché de la dette, moins connu du grand public, en publiant de manière régulière des statistiques sur la dette privée dans les journaux économiques et financiers. Les sociétés cotées devraient également être encouragées à avoir recours à la dette. De leur côté, les obligataires devrait bénéficier d'une plus grande protection. Cela passe notamment par l'utilisation de clauses juridiques de protection des investisseurs. Il serait intéressant également d'introduire graduellement la notation des émissions de dette privée, ce qui permettrait d'apprécier l'ensemble des risques (crédit, liquidité notamment). Enfin, la dynamisation du marché de la dette privée ne pourra pas être possible sans un développement de la liquidité des titres de la dette. Une piste est dans ce sens proposée, à savoir l'introduction de conventions d'animation comme cela se fait pour les actions. On peut carrément réfléchir à l'introduction du market making sur les titres de dette privée !