«La sinistralité des entreprises a triplé au Maroc». Un constat qui annonce la couleur du propos de Jean Christophe Battle, directeur général d'Euler Hermès ACMAR. Le spécialiste de l'assurance crédit et du recouvrement a livré, hier, sa lecture de la conjoncture économique mondiale et de son impact sur l'économie nationale. Son arrimage macro-économique international, à travers les études du groupe et son exposition micro-économique nationale, à travers l'activité recouvrement au Maroc, lui permettent de synthétiser deux visions complémentaires. Le diagnostic qui en ressort n'est pas réjouissant. Les dossiers de contentieux explosent, notamment dans des secteurs moteurs comme celui de la construction. Le cas Legler est un arbre qui cache une forêt d'entreprises en défaillance. La «petite reprise du secteur du textile», est largement noyée par les difficultés du BTP, qui connaît un ralentissement notable de son activité depuis le début de l'année. Inflation importée «Il y a une forte baisse de la capacité de financement des entreprises», argue Jean Christophe Batlle, qui explique qu'un effet de cisaille exacerbe les tensions sur les trésoreries des entreprises. En clair, la reprise est handicapée par l'incapacité de financer de nouveaux projets. «Les opérateurs sont attentistes en cette période de réformes politiques», avance Tawfik Benzakour, directeur risque chez Euler ACMAR. Cependant, l'explication vient autant du micro-économique que du macro-économique. «Le financement de l'économie est absorbé par la facture énergétique», surenchérit le directeur général qui rappelle le gap entre les hypothèses de la Loi de finances, un baril à 75 dollars, et les cours actuels du brut. «L'inflation importée plombe l'investissement productif au Maroc», ajoute-t-il, en expliquant que l'argent englouti pour répondre aux besoins supplémentaires de la Caisse de compensation manque au financement de l'économie. Pire, certains chantiers publics lancés sont en retard de paiement. Incertitude régionale L'incertitude régionale motive le constat d'un mouvement baissier des IDE, d'autant plus que certains de nos principaux partenaires, notamment en Europe, sont dans une situation délicate. Si la récession a été globalement résorbée au niveau mondial, «en Europe et dans les pays développés en général, ce n'est pas encore le cas et ce n'est le moment ni d'investir, ni d'embaucher». De fait, même au niveau mondial, après une période d'euphorie, un ralentissement se fait ressentir depuis avril 2011. Un retour de bâton est même à craindre dans les prochains mois. Les mesures de relance arrivent à leur terme et il ne faut pas s'attendre à une accélération du commerce mondial. Cela affecte directement nos débouchés à l'export (voir encadré). La conjoncture mondiale actuelle affecte aussi la possibilité de financement du Maroc à l'international. Après la crise des banques est venue la crise des Etats. Ces derniers ont pris sur eux-mêmes de sauver le système financier international et doivent désormais s'atteler à éponger leurs déficits. Le risque pays s'est donc accru de manière substantielle. Faut-il le rappeler, la Grèce est en cessation de paiement. Cela pourrait toucher très vite des pays comme l'Italie et les PIGS (Portugal, Irlande, grèce et Espagne) et la première économie mondiale elle-même vacille, même si Jean Christophe Battle y voit une manœuvre d'une administration américaine en minorité au sénat et qui essaye de faire passer ses mesures drastiques. Toujours est-il que dans un tel panorama, le Maroc aura beaucoup plus de difficultés à lever du financement international en tout cas aux conditions de l'emprunt de l'année dernière. Pour éclaircir ce sombre tableau, la bonne nouvelle vient de la notation du risque pays marocain faite par Euler. La note structurelle qui jauge le risque économique et politique reste de BB là ou des pays comme la Tunisie ou l'Egypte ont été rétrogradés à B. Les indicateurs d'alerte à court terme restent positifs pour le royaume, malgré les difficultés auxquelles il devra faire face. Le salut africain «Au Maroc, mis à part une dizaine de champions, le reste des exportateurs sont des TPE», explique le top management d'Euler Hermès ACMAR, qui estime que cet éparpillement de l'offre exportable handicape son accès aux grands marchés. Il surenchérit : «Cela ne sert à rien de signer des accords de libre-échange, si on n'a pas la capacité exportatrice et surtout cela ne sert à rien de cibler de grands marchés». Des pays comme la Turquie ou l'Italie se basent sur des consortiums pour répondre aux besoins de ces marchés. Au Maroc, cette solution est très peu développée et le royaume compte moins d'un dizaine de consortiums. Or, il faut absolument diversifier les débouchés pour hisser les exportations marocaines. Il faut aussi et surtout cibler les marchés selon l'offre exportable disponible. «Que peut-on exporter à de grands marché comme les Etats-Unis, l'Union européenne ou la Russie ?», se demande Jean Christophe Battle avant de répondre lui-même : des fruits et des légumes, voire du textile. Mais, nous n'aurons jamais la quantité suffisante pour attaquer ses marchés. La solution ? «Pour le développement à l'export, je crois plus à l'Afrique», argue-t-il, en motivant : «Ce sont de petits marchés qui correspondent à nos capacités. Le Maroc est capable d'y faire du chiffre». En fait, le royaume devrait profiter de sa zone d'influence en Afrique de l'Ouest, comme l'Afrique du Sud le fait pour la sienne dans la corne de l'Afrique. Le Maroc jouit d'une offre exportable vers l'Afrique beaucoup plus intéressante. Elle touche des domaines comme les travaux publics, l'électricité ou même la raffinerie. Ce n'est plus un secret pour personne que la présence des banques marocaines dans cette région est un atout non négligeable. «L'Afrique devrait s'inscrire dans une croissance comprise entre 5 et 7% dans les années à venir», pronostique-t-on du côté d'Euler ACMAR, tout en expliquant que le risque est inversement corrélé à la croissance du PIB. Les opérateurs marocains savent donc ce qu'il leur reste à faire...