Leïla Faraoui raconte l'art comme personne et pour cause, elle a décidé d'en faire sa maison il y a plus de 40 ans, presque malgré elle. Coulisses d'une histoire d'amour avec l'art contemporain que lui a transmis son mari et surtout une rencontre qui chamboulera sa vie : Mohamed Melihi. Ses murs respirent le vécu et les beaux souvenirs, son regard rassure et apaise, plein d'une sagesse qu'elle a mis au profit de l'art contemporain depuis 1974. Elle, c'est Leila Faraoui, la première femme arabo-musulmane à ouvrir une galerie d'art et à porter un regard frais et nouveau sur les artistes de l'époque via la Galerie Nadar. «Je ne connaissais rien à ce milieu, j'étais juste amoureuse du verbe et des mots et j'avais envie d'ouvrir une maison d'édition», se souvient la vétérante de l'art, qui se voit proposer le projet d'ouvrir une galerie par les amis de son mari, lesquels ne sont autres que la grand artiste Mohamed Melehi et le Docteur et collectionneur Mustafa Boujiba. «Je ne pouvais pas faire la différence entre un dessin, un collage et la peinture à l'huile. Melehi m'a dit : lance toi, on sera là pour t'aider». Et il tiendra sa promesse. Celui qu'elle considère comme le plus grand artiste marocain à ce jour a été son ange gardien. Il faut dire que Leila Faraoui est bercée dans l'art puisque son mari qu'elle épouse très tôt, n'est autre qu'Abdeslam Faraoui, le premier architecte marocain diplômé dont elle se plait à dire qu'il a construit le Maroc. «Je suis tombé amoureuse avant d'obtenir mon bac, je n'ai pas fait de grandes études mais j'ai toujours beaucoup lu». La passion avant tout Leila Faraoui ne connaissait pas grand chose à l'art mais elle avait déjà le goût pour les belles choses. «Je ressentais l'art, c'est difficile à expliquer. J'adorais les tableaux de Melihi et à chaque fois que je me retrouvais nez à nez avec une toile de Gharbaoui, j'avais la chair de poule», confie celle qui verra défiler dans sa galerie les plus grands de Chaïbia à Melihi en passant par Belkahaya ou encore Chabaa. Mais pas seulement, elle a vu exposer les œuvres d'artistes du monde entier : Japon, Irak, France, Portugal, Cuba et la liste est bien longue. «L'art est une lecture. Il faut avoir une visibilité sur un tableau. C'est par coup de cœur que je choisis d'exposer un artiste», confie la galeriste de 74 ans qui ne compte pas arrêter sa carrière de si peu. «Je ne peux pas arrêter, je n'y arrive pas. Mes enfants me font la remarque tous les jours. Je ne peux pas quitter ma vie». En effet, sa fille Assia est avec elle dans les bureaux et reprend le flambeau avec moins d'implication que sa mère, mais avec beaucoup de respect pour la profession, une confiance en l'avenir et une relève. Avec ses 4 enfants, 11 petits enfants et quelques arrières petits-enfants, toute la famille a plus ou moins le virus de l'art, d'une manière ou d'une autre. «La galerie Nadar a contribué au développement de l'art. Plus qu'une galerie, l'espace Nadar a été un foyer artistique et culturel sur l'ensemble de l'espace culturel de Casablanca», avait témoigné Mohamed Chabâa en parlant de Nadar. Nostalgie d'une époque révolue Quand elle y repense, elle a des étoiles dans les yeux. Cette époque où il n'y avait pas toute l'offre qu'il y a aujourd'hui, mais où il y avait une vraie demande. «Je ne suis pas nostalgique de l'art d'antan, je suis nostalgique de la façon dont les gens abordaient l'art. Je suis nostalgique du public d'avant. On n'avait pas besoin de leur demander de venir. On était seuls certes mais il y avait un vrai intérêt», confie Leila Faraoui qui a vécu à une époque où les gens aimaient l'art et collectionnaient par amour et par passion sans se soucier des côtes. «Les gens achetaient l'art parce qu'ils aimaient. Aujourd'hui on spécule beaucoup. Avant on avait des acheteurs, des collectionneurs par passion et non des spéculateurs. Mais c'est dans tout, pas que dans l'art», continue sa fille, Assia qui se souvient de l'époque où les institutions et les banques achetaient encore auprès des galeries. «Cela faisait vivre les galeries. Les collections des banques ont toutes commencé chez moi, on a beaucoup acheté de chez moi. Aujourd'hui les banques n'achètent plus auprès des galeries», confie Leila qui reconnaît que le milieu s'est élargit mais que la clientèle demeure minime. À l'instar des autres galeries, la famille Faraoui a pris l'habitude d'être sollicitée et de ne pas aller vers l'autre et le harceler pour acheter. Ils ne voient pas cela comme un business. Sauvés par le gong, Leila Faraoui a eu la bonne idée d'acheter son local en 1985, elle n'a donc pas de charges et pas de loyers contrairement à la plupart de ses concurrents qui ne s'en sortent pas. «Je n'ai jamais considéré l'art comme un business. Je ne peux pas faire ma commerciale, c'est impossible. La passion n'est pas marchande». Et c'est dans cette optique qu'elle continue. Elle ferme tout de même pendant 8 ans et réouvre en 2006 où tout a changé. «J'ai voulu me retirer, mais je n'ai pas pu. Quand j'ai réouvert, tout avait changé. Beaucoup se sont fait avoir dans l'engrenage des enchères et ils se sont retrouvés avec des tableaux achetés chers, mais qu'ils ne pouvaient pas revendre à autant», confie la doyenne de retour pour continuer son combat pour l'art. Celle qui n'a pas pris une ride, continue de dénicher les talents et s'apprête à exposer le travail de l'écrivain Omar Berrada, lui aussi amoureux des mots et des images dans la galerie intemporelle, qui a su garder son âme et son amour pour l'art. On y vit l'art comme aux premiers jours en pensant fort à Chaïbia, Chebâa, Hassani, Kacimi, Melehi, Bellamine, Miloud, El Ghrib, Melehi, Abdelkader, El Amine Zine El Abidine, tout en gardant les yeux ouverts vers l'avenir et la jeunesse pour laisser l'héritage intact, encore longtemps...