L'Africa Carbon Forum n'a pas fait que de la figuration. Le choix de la ville ocre pour abriter cette rencontre internationale, qui a pris fin mercredi, est loin de répondre à des soucis de glamour. Le but était clair : le ghota mondial du climat était réuni pendant deux jours pour dresser un état des lieux sur la situation du marché planétaire du carbone et ses évolutions supposées. La Banque mondiale s'est en effet prêtée à l'exercice, lâchant par la même occasion un fond documentaire qui vient dégager ces grandes orientations. Ces dernières sont loin d'être portées par l'optimisme. «Au-delà de 2012, la principale contrainte que devrait connaître ce marché serait le manque de demande au-delà des initiatives courantes, avec peu d'encouragement à l'émergence d'une offre durable et crédible». C'est en effet à cette principale conclusion qu'est arrivé ledit rapport. En effet, pour l'institution financière internationale, aussi bien pour les pays développés que pour ceux en développement, cela constituerait une occasion manquée de bénéficier d'instruments de marché pour mobiliser des ressources et engager le secteur privé dans l'action climatique à travers l'investissement. Là, l'utilisation de mécanismes de marché est recommandée pour pouvoir «contribuer à abaisser le coût de réalisation des objectifs durables, entraîner d'autres ressources, et envoyer un signal de prix pour encourager les échanges sur le marché du carbone, ainsi que les décisions d'investissement», relève le document. Les besoins de financement pour la croissance verte et la mise en œuvre de stratégies de développement à faibles émissions sont énormes. Uniquement pour les pays en développement, il est estimé à des centaines de milliards de dollars US par an. L'African Carbon Forum a fait la part belle à ce sujet de réflexion. Pour les dizaines d'experts internationaux qui avaient répondu présent, «la mobilisation de ressources suffisantes -de manière prévisible et durable- exigerait une combinaison de sources, tant celles existantes que de nouvelles, aussi bien publiques que privées». Par ailleurs, un précédent rapport produit par le Groupe consultatif de haut niveau sur le financement du changement climatique (High-Level Advisory Group on Climate Change Financing – AGF), une structure des Nations-Unies dédiée au marché du carbone, concluait sur le fait que «les marchés du carbone ont un potentiel de mobilisation de 100 milliards de dollars investissement par an à partir de 2020, en conformité avec les engagements de Copenhague». Sur une perspective à long terme, poussée au plus haut niveau d'optimisme, ce même rapport prévoit des flux financiers qui frôleraient la barre des 30-50 milliards par an d'ici 2020, à travers l'amélioration des mécanismes du marché de carbone pour les pays en développement. Pour la Banque mondiale, le défi de développement des marchés du carbone tient ainsi sur plusieurs facteurs, allant de la prévisibilité à l'ambition, à l'ingéniosité et aux réformes. Ces facteurs de croissance sont devenus nécessaires. Des acquis fragiles Au-delà des projections, la dernière rencontre du ghota du climat mondial a également permis de faire le statu quo du marché du carbone. Ainsi, il en ressort qu'après cinq années consécutives de forte croissance, la valeur totale du marché mondial du carbone a stagné à 142 milliards de dollars US en 2010. Souffrant du manque d'une réglementation claire, la valeur des Mécanismes de développement propre (MDP) développés dans plusieurs pays à travers le monde, dont le Maroc, a elle aussi chuté de deux chiffres pour la troisième année consécutive. Elle se retrouve ainsi à un niveau bien inférieur à celui de 2005, la première année d'application du Protocole de Kyoto. En détail, le rapport de la Banque mondiale dresse une sorte de cartographie géopolitique des régions du monde les plus avancées en termes d'investissement dans le marché du carbone. Le Vieux Continent sort du lot. L'European union allowances (EUA) est en effet devenue le marché le plus imposant, «concentrant près de 84% de la valeur du marché du carbone mondial en 2010». Il faut toutefois souligner ici que, globalement, le marché mondial du carbone a stagné à partir de cette année, en dépit même d'une reprise relative de l'économie mondiale. «La croissance du marché du carbone s'est arrêtée à un moment particulièrement inopportun : 2010 s'est avéré être l'année la plus chaude de la décennie, connaissant une évolution importante des émissions de gaz à effet de serre», constate le rapport de la Banque mondiale. L'année dernière peut être retenue pour les opportunités politiques qu'elle a vu surgir, «mais qui ont finalement échoué à se matérialiser». Aux Etats-Unis, par exemple, il n'y avait pas assez de soutien pour passer outre la législation fédérale qui plafonnait les investissements. Au Japon, l'un des pays les plus pollueurs de la planète, la procédure d'adoption du texte de la Loi fondamentale sur le réchauffement climatique, a systématiquement connu un terme lorsque le gouvernement a perdu le contrôle du Parlement, il y a juste quelques mois. En Australie, le Sénat a échoué à faire passer le Carbon Pollution Reduction Scheme, un plan national de réduction des émissions atmosphériques nocives, notamment dans le secteur industriel. Du côté des bons élèves, figurent des pays comme la République de Corée, qui a fini par adopter une la loi-cadre sur les faibles émissions de carbone et la croissance verte. À la traîne figurent les pays du Tiers monde comme le Maroc, auprès desquels de grandes inégalités figurent aussi en termes d'avancées notables dans ce domaine. L'Europe, bon élève Néanmoins, le rapport souligne quelques aspects optimistes. Toujours en 2010, l'Europe a entamé un important chantier afin de rédiger sa feuille de route pour progresser vers un environnement des affaires concurrentiel à faible émission de carbone, à l'horizon 2050. Aussi, nonobstant l'échec du sommet sur le climat de Copenhague en 2009 à répondre aux attentes des différents acteurs, la Banque mondiale pense que «des progrès ont été réalisés à celui de Cancun en décembre dernier». Ces progrès ont été favorablement accueillis par le marché et ont contribué à rétablir une certaine confiance dans les négociations de l'ONU sur le changement climatique. Alors que l'environnement réglementaire international sur le climat reste incertain, les initiatives nationales et locales se sont sensiblement améliorées. Ces dernières devraient permettre de combler le gap sur ce registre. À titre d'illustration, le «California's cap-and-trade scheme» devrait démarrer dès le début de l'année prochaine. D'autres initiatives du genre, visant la réduction des émissions atmosphériques, incluant des stratégies de réduction des émissions domestiques, de développement des énergies propres et de commerce de carbone, sont devenues de réelles locomotives de croissance d'économies comme le Brésil, la Chine, l'Inde et le Mexique. Le Maroc se mobilise Le département de l'Environnement ne pouvait en aucun cas manquer un évènement d'une telle envergure, une occasion rêvée pour réveiller la Charte de l'environnement de sa léthargie. Abdelkebir Zahoud, secrétaire d'Etat chargé de l'Eau et de l'environnement, a bien voulu marquer le coup. Dans une allocution lue en son nom, le responsable a indiqué que le Maroc, en dépit de son statut de faible émetteur de gaz à effet de serre, contribue efficacement à l'effort international de lutte contre les effets néfastes des changements climatiques. «Un tel engagement du royaume s'est traduit, sur le plan national, par la mise en place de structures institutionnelles destinées à prendre en charge les aspects transversaux des changements climatiques et la réalisation de plusieurs actions tendant à promouvoir un développement économique propre», cite-t-on. Sur le volet du mécanisme local pour un développement propre, les officiels marocains ont rappelé les efforts déployés en vue du renforcement du cadre réglementaire, via la promulgation de lois sur la lutte contre la pollution de l'air, la gestion des déchets, la réalisation d'études d'impact, et la promotion des énergies renouvelables. Le Maroc a également su mettre en place un «Fonds capital carbone Maroc» et le développement d'un portefeuille diversifié renfermant plus de 60 projets MDP, avec un potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'environ 8 millions de tonnes équivalent CO2 par an. Des chiffres ambitieux, d'autant plus que d'autres programmes sont en cours de mise en œuvre dans nombre de secteurs, tels que les déchets, le transport, la forêt, l'industrie, l'agriculture et l'énergie, dans la perspective de réduire les émissions de gaz à effet de serre.