Au Japon, un tremblement de terre, générateur d'un tsunami entraînant une catastrophe nucléaire. En même temps, en Afrique du Nord, des bouleversements politiques en cascade. Pourquoi rapprocher ce cataclysme naturel aux développements technologiques tragiques dans un pays d'Asie et ces soulèvements citoyens en Afrique du Nord ? Parce que ces évènements apparemment aussi dissemblables constituent tous deux des «appels» à une remise en cause de certitudes établies. Ils témoignent avec force, l'un comme l'autre et après la crise financière de 2008, de la crise du système libéral et capitaliste. Système qui dévide sa propre logique économique productiviste et inflige sa propre distribution des rôles entre régimes démocratiques et régimes dictatoriaux, les uns sachant se servir des autres. Schéma sans doute fortement résumé mais qui ne peut être récusé. Lorsque ce tsunami hors normes a frappé le Japon, femmes et hommes, maisons et véhicules, entreprises et commerces, champs et bateaux ont été balayés. L'heure est bien sûr encore à la solidarité avec un peuple courageux et stoïque face à pareil drame dont l'acuité a tragiquement été amplifiée par le désastre de Fukushima qui a suivi. Mais les Japonaises et Japonais qui retiennent leur colère ne sont pas seuls impliqués. Des leçons sont à tirer et l'ensemble de notre planète est concerné. Nous sommes confrontés en effet à un retournement de l'histoire. Un coup de vieux est infligé à la notion même de modernité. La «solution nucléaire» a révélé ostensiblement et universellement sa nature : elle est une issue mortelle ! Au même moment, nous sommes confrontés à un autre événement capital : Tunisiens comme Egyptiens bouleversent la donne politique de leur pays et partant, de façon communicative, aussi celle de toute la région. Les processus de transformation, les attentes accumulées ont provoqué des failles dans des systèmes autoritaires que l'on imaginait immuables. Certes, il est encore trop tôt pour discerner l'ensemble des suites démocratiques, sociales, économiques de ces mouvements. Ici également au Maroc, chacun est contraint à une révision d'analyses. La dynamique en œuvre illustre une volonté d'éthique, d'équité et de solidarité à caractère politique qui nous interpelle tous. De ces cas, nous apprenons qu'il est vital de soulever sans plus attendre ce couvercle qui pèse sur un globe malade. Non pour prôner on ne sait quel retour en arrière, ou quelle vision de décroissance. Les pays les plus pauvres en seraient les premières victimes. Mais bien pour inventer de nouveaux processus de création de richesses partageables qui soient d'abord respectueux des femmes et des hommes qui les créent, de leur identité, culture et tout autant bien sûr - des environnements. Déjà, depuis longtemps, des indices mesurant l'efficacité des Etats, des collectivités et des entreprises en termes désormais sociaux, sanitaires, alimentaires, environnementaux - et non plus uniquement économiques et financiers, ont été imaginés. Le programme des Nations unies pour le développement, le Global Compact, le Centre des jeunes dirigeants de l'économie sociale comme bien d'autres institutions s'y sont consacrés. Ces références doivent être listées, ordonnées, harmonisées. Elles doivent servir désormais à repenser fondamentalement l'ensemble des stratégies de développement. Il est affligeant à cet égard que les travaux successifs (notamment ceux demandés par le président de la république à un aréopage de prix Nobel) qui traitent de ce sujet soient demeurés sans aucune conclusion pratique ; l'Union européenne s'honorerait de prendre une initiative en ce domaine et de la porter devant le G8 et l'ONU. Pour autant, mettre en place des instruments de mesure neufs, adaptés au défi du temps n'aura d'utilité que s'ils sont un stimulant à l'action. Or celle-ci a déjà commencé, sous de multiples formes. Il est temps de réaliser que de vraies alternatives sont déjà concrètement en marche. En rupture avec le système jusqu'ici dominant sans prétendre, pour autant, à aucun monopole, l'économie sociale en est probablement l'exemple le plus net. Elle répond, en effet, à des règles différenciantes et innovantes : la gestion démocratique, la propriété à la fois privée et collective, la juste répartition des excédents, l'équité entre les parties prenantes, la solidarité. Coopératives, mutuelles, associations, fondations, «charities», «selbsthilfe-organisation», sont présentes partout dans le monde. Elles deviennent de plus en plus nombreuses et attirent l'attention des acteurs sociaux, syndicaux, économiques ou politiques dans un nombre croissant de pays. Elles dessinent sur les territoires ce que peut être un modèle de développement soutenable, socialement intégratif, civiquement stimulant, écologiquement actif. Cette économie doit devenir un partenaire incontournable des gouvernements, des institutions internationales autant que des mouvements sociaux, culturels, syndicaux. Ce sera notamment l'enjeu du Forum international des dirigeants de l'économie sociale (les Rencontres du Mont-Blanc en novembre 2011) destiné à interpeller les chefs d'Etat qui se réuniront en 2012 pour RIO+20. Il existe d'autres voies de développement, d'autres façons de passer de l'ère du tout terre-prisonnière à l'ère d'une terre-citoyenne. Il faut certainement aussi les recenser et discuter. Les Tunisiens, les Egyptiens et d'autres peuples sur d'autres continents démontrent, eux, qu'il n'y a pas de fatalité, pas d'impossibilités. En cela, ils sont énergiquement porteurs de nouveaux espoirs et doivent nous amener à oser penser aux alternatives, les appuyer, les propulser. La souffrance du peuple japonais, si nous hésitions, force, elle, à modifier nos points de vue et attitudes, pratiques et à rechercher d'autant plus des réponses à une situation insoutenable pour trop de femmes et d'hommes de par le monde.