«Nous ne sommes pas contre l'ALECA, mais nous voulons un bon accord». Auprès des patrons marocains, tel est le leitmotiv depuis l'entame des tractations entre le Maroc et l'UE, surtout à l'issue du troisième round de discussions qui s'est tenu dans le royaume dans la dernière décade de janvier dernier. Ces réserves du secteur privé ont occupé une bonne partie des débats lors d'une table ronde organisée jeudi 13 février à l'ASMEX (Association marocaine des exportateurs), avec la participation du «négociateur marocain en chef» de l'ALECA, ainsi qu'entres autres acteurs et présidents de commissions sectorielles auprès de la CGEM. Reprochant au gouvernement «la manière» dont sont menées les négociations, les patrons ont fait part de leurs craintes et suggéré à la partie marocaine de prendre son temps, sans céder à aucune éventuelle pression des Européens sur l'agenda des pourparlers. Mais, l'un des temps forts de ces moments d'échanges entre le public et le privé sur ce chantier a été sans conteste, l'évocation des «résultats» d'un sondage mené auprès de certains chefs d'entreprise marocains opérant dans le commerce et les services à propos de l'ALECA. Sa réalisation semble répondre à l'absence d'une étude d'impact gouvernementale avant l'entame des discussions avec le premier partenaire économiques du royaume. Même si tel n'est pas le cas, le sondage en question permet néanmoins de mesurer à quel point les premiers concernés par les répercussions de cet accord en gestation, à savoir les hommes d'affaires, ignorent tout de ses tenants et aboutissants. Non seulement, 1/3 des chefs d'entreprise interrogés ne connaissent pas le contenu de l'ALECA (cf. www.leseco.ma), mais parmi ceux qui le connaissent, 45% considèrent que l'accord est une menace pour leur entreprise, alors que seuls 20% croient qu'il constitue une opportunité pour leur société. L'ALECA en détail Pour les industriels marocains, l'ALECA, considéré sous le prisme de l'évolution future des échanges entre le Maroc et l'UE, d'opportunités d'affaires, d'emplois, d'amélioration du volet juridique et du droit d'établissement, n'est pas un très bon choix pour le Maroc. «Les perceptions sont globalement négatives», commente Khalid Dahami, président de la Fédération du commerce et des services (FCS) de la CGEM. Et pour cause, examinée point par point, cette conclusion paraît très logique. D'abord, concernant les échanges, hormis une probable facilitation de l'accès au marché européen pour les importateurs marocains, et de la simplification des procédures douanières pour les exportations nationales, l'ensemble des autres éléments jouent en défaveur du Maroc (voir graphique). Ensuite, s'agissant d' «opportunités» que présente l'ALECA pour nos entreprises, les résultats de la FCS/CGEM ne montrent aucun point positif ! «Concurrence accrue sur quasiment tous les secteurs, offre locale moins compétitive, difficultés d'accès aux marchés publics européens à cause de la non mobilité, non reconnaissance des diplômes et manque de moyens», figurent parmi les craintes des entreprises nationales. Dépoussiérer l'arsenal juridique Pour ce qui est du droit d'établissement et des ressources humaines, c'est à peine si on se félicite de la «généralisation et [de l'] accélération de la mise en place des normes pour encourager l'export et réguler l'import», ainsi que de la «création d'emplois dans certains secteurs suite aux investissements européens», que l'on pointe du doigt les «difficultés de mobilité des personnes» ou encore de l'«enjeu de reconnaissance des diplômes marocains en Europe», sans parler de l' «absence d'un acquis communautaire dans la quasi-totalité des activités liées aux services». Enfin, «le volet juridique» est l'un des rares points où l'on note de nombreuses attentes positives de la part des chefs d'entreprise marocains opérant dans le commerce et les services. Il faut dire à ce propos, que cela révèle combien il urge de mettre à niveau des pans entiers de la réglementation marocaine. Au lieu de l'avoir réussi avec l'Etat, les opérateurs privés comptent hélas sur l'ALECA pour faire la «promotion des propriétés intellectuelles de l'offre marocaine», la «mise en place d'un arsenal juridique pour la protection des propriétés intellectuelles», sans parler de la «mise à niveau de plusieurs secteurs», de même qu'une «accélération de la mise aux normes» qui pourra in fine favoriser la «montée en qualité» des produits marocains et améliorer «leur compétitivité». L'ensemble de ces facteurs pousse aujourd'hui le patronat à demander d'être mieux écouté, à défaut d'être impliqué dans les négociations. La partie marocaine temporise Mieux vaut tard que jamais ! Le gouvernement s'est enfin décidé à s'armer de certaines précautions (si elles en sont) avant la conclusion de l'ALECA avec l'Union européenne. En effet, la démarche entreprise juste que là reflétait plutôt la fameuse expression populaire : «Mettre la charrue avant les bœufs». Suite à la levée de boucliers des opérateurs économiques, le Maroc va lui aussi lancer son étude d'impact, à l'instar de la partie européenne. Et ce n'est pas tout : «Dès la semaine prochaine (ndlr, celle en cours), nous allons nous faire accompagner par un cabinet de juristes pour la suite des négociations», annonce le négociateur marocain en chef sur l'ALECA, Latifa El Bouabdellaoui. C'est rassurant d'une part, mais assez inquiétant en même temps, vu les conséquences d'un tel accord qui pourrait coûter 2 points de PIB par an rien qu'au secteur national du commerce et des services. De là, on est tenté de dire qu'à l'entame des discussions avec l'UE, les officiels marocains ne semblaient pas vraiment tirer les leçons des accords déjà signés avec d'autres partenaires économiques et aux conséquences désastreuses pour le tissu industriel national. Cette fois, le secteur privé a su peser sur la balance, grâce, en partie, à la tribune offerte par les médias qui se sont très vite interrogés sur les répercussions futures de l'ALECA. Aujourd'hui, le gouvernement dit tendre la main aux opérateurs privés, alors que ces derniers fustigent encore le manque de professionnalisme lors des réunions d'information et de concertations. Il faut dire que les acteurs du privé tardent eux aussi à proposer une feuille de route claire et bien définie. D'ailleurs, le responsable de la Commission ALE de la CGEM, Younès Zrikem, le constate amèrement dans les apparences : «Le secteur privé n'a pas été capable de formuler une doctrine claire» pour aiguillonner le gouvernement dans ses partenariats avec les économies étrangères. Cette fois, le réveil a sonné. Plus question de faire cavalier seul. Même s'il s'agit d'un accord visiblement suicidaire pour l'économie nationale, gouvernement et patronat ne devraient pas y aller en rangs dispersés. Last but not least, le négociateur en chef tient à préciser et à rassurer : «Le Maroc n'acceptera de subir aucune pression sur le timing des négociations. À ce jour, il n'y a pas encore d'avancées concrètes enregistrées sur le fonds du dossier». C'est dire que tout est encore à négocier...intelligemment. l par o.b