La légalisation du cannabis revient en force dans le débat public. Cette fois, c'est au Parlement que la question est soulevée. Le sujet a été déterré par les groupes parlementaires du Parti authenticité et modernité (PAM), mettant l'accent sur la légalisation du cannabis thérapeutique. L'événement, qui s'est déroulé mercredi dans l'enceinte du Parlement a réuni plusieurs experts marocains et internationaux en vue de discuter des opportunités de l'exploitation de la plante du kif dans la création d'une «économie alternative». À l'issue de cette journée d'étude, les deux groupes parlementaires du PAM comptent élaborer une proposition de loi qui portera sur la délimitation des surfaces cultivées dans les régions où il est difficile de créer des économies alternatives. Ce texte visera également la mise en place d'un organisme public chargé de la culture et de la commercialisation du cannabis à des fins techniques et médicales. Impact économique flou Que ce soit pour un usage pharmaceutique ou industriel, les usages alternatifs de la plante ne manquent pas. Plusieurs pays ont déjà légalisé le cannabis thérapeutique : les Pays-Bas, l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, le Royaume-Uni, le Canada, l'Australie et, tout récemment, la République tchèque. La Suisse permet, depuis 2007, l'utilisation du cannabis pour le traitement de patients atteints de sclérose latérale amyotrophique, une grave affection neurodégénérative aboutissant à une paralysie musculaire progressive. Le traitement à base de la plante du cannabis permet également de soulager les douleurs ou d'agir en tant que somnifère. Au Maroc, c'est environ 90.000 ménages, soit plus de 700.000 personnes, sur les 32,3 millions que compte le pays qui vivraient de la culture du cannabis. Les ventes annuelles sont estimées à une somme qui correspond à 10 % du PIB du pays. Or, en l'absence de toute utilisation alternative de la plante, cette culture demeure illégale. Aujourd'hui, près de 40.000 agriculteurs sont poursuivis en justice dans le cadre de la lutte contre la drogue. C'est donc dans ce contexte que l'initiative des deux groupes parlementaires du PAM se fixe pour objectif la recherche d'une alternative économique pour près d'un million de personnes qui vivent des rentes de cette activité. L'objectif est de combiner des approches économique et sécuritaire, visant la protection de la société des méfaits de cette substance, tout en tirant au maximum profit de son utilisation à d'autres usages. Toutefois, plusieurs interrogations concernant cette exploitation demeurent posées. D'abord, la rentabilité de cette culture alternative ne semble pas garantie. «La culture légale du cannabis à des fins médicales et industrielles ne serait rentable qu'au-delà de 100 hectares», relevait Khalid Benomar, responsable de l'Agence pour la promotion et le développement économique et social du Nord (APDN), dans le cadre de la rencontre-débat. Autrement dit, à moins de trouver un moyen de réunir les agriculteurs - dont la plupart ne détiennent pas plus de 4 hectares d'exploitation - ce genre de culture ne sera possible que pour les grands propriétaires de terres. Enjeux électoraux ? En outre, le contrôle de l'utilisation légale de ces exploitations imposera la mise à disposition de ressources humaines et financières importantes, en vue d'éviter tout débordement. Enfin, le Maroc qui s'est engagé avec l'Union européenne à réduire progressivement la culture du cannabis ne contreviendrait-il pas, ce faisant, à ses promesses ? Selon Mehdi Bensaid, député PAM «nos engagements vis-à-vis de l'Union européenne sont clairs. Il s'agit de combattre l'utilisation de la drogue. Si nous remplaçons ce produit par d'autres, à usage notamment industriel et pharmaceutique, cela respectera parfaitement notre partenariat avec l'Union européenne». Il y a lieu de noter que 80% du cannabis consommé en Europe provient du Maroc. En 10 ans, le pays a pu réduire la surface de cannabis cultivée de 60%. Pour 2013, le ministère de l'Intérieur a confirmé une augmentation de 40% des saisies de cannabis. Le président du groupe parlementaire du PJD ne partage pas le même avis. Pour Abdellah Bouanou «Avant de susciter un tel débat, il aurait fallu préparer des études profondes concernant tant l'aspect technique que l'impact économique et sociétal, sans oublier de prendre en compte nos engagements en politique étrangère». Selon ce député PJD, le sujet a pris plus d'ampleur qu'il n'en mérite : «Ils savent très bien qu'il s'agit d'un chantier complexe, mais ils s'y engagent quand même, preuve qu'il s'agit bien là d'une campagne électorale avant l'heure». Rien de bien surprenant, lorsqu'on sait que les élections communales approchent (fin 2014 ou début 2015). «Sans doute que le PAM cherche, en visant des sujets sensibles comme celui-ci, à atteindre des objectifs électoralistes», commente le Mohamed El Ghali, professeur de droit à la faculté Qadi Iyad à Marrakech. Pour rappel, le secrétaire général de l'Istiqlal Hamid Chabat, avait clairement défendu, il y a quelques mois, la légalisation du kif, invitant les «travailleurs du secteur du kif au Maroc» à venir militer au sein de sa centrale syndicale l'UGTM. Mehdi Bensaid, Député PAM Les ECO : Comment pensez-vous légaliser la culture du Kif ? Mehdi Bensaid : Il y a un travail technique à effectuer en amont. Au sein du parti, nous allons engager un travail interne pour dégager des propositions techniques et scientifiques. Il ne s'agit pas de légaliser et de laisser les choses en l'état. L'objectif est de proposer des alternatives concrètes. La démarche sera participative, en vue d'intégrer la société civile et les agriculteurs de la région. Ce n'est que de cette manière que nous pourrons aboutir à une loi qui prend en compte toutes les problématiques que connaît ce secteur. Il s'agit pourtant d'un chantier complexe.... Les difficultés sont surtout liées au fait de proposer une alternative qui profitera aux agriculteurs. Il existe aujourd'hui des techniques qui coûtent très cher et des analyses préliminaires qui doivent être faites. L'Etat doit investir des milliards et l'on ne dispose pas des moyens. Nous cherchons donc des alternatives économiquement viables. Nous avons pu réunir de nombreuses propositions. Il faudra à présent faire le tri par rapport à ce qui est faisable au Maroc. Nous ne pouvons pas reprendre un modèle étranger et le coller au Maroc, car les problématiques sont différentes d'un Etat à l'autre. Ces points seront étudiés avec l'agence du développement du nord et les autres organismes concernés. Peut-on déterminer l'impact économique attendu ? C'est exactement ce que l'on cherche à déterminer. Nous n'avons pas de chiffre exact pour l'instant. Si l'on arrive à trouver la bonne formule, il y a aura sûrement un impact pour l'économie du Maroc et tout le monde sera gagnant. Un débat qui ne date pas d'hier Présentées comme «un débat inédit», les discussions concernant la légalisation du kif ne datent pas d'hier : «Déjà en 1995, la question a fait l'objet d'un enquête de la part d'une commission parlementaire, qui a pu dégager dans son rapport de nombreuses recommandations, restées à ce jour lettre morte», rappelle Mohamed El Ghali, professeur de droit à la faculté Qadi Iyad à Marrakech. C'est dire que le retour à cette question après 3 décennies de sa discussion n'est pas fortuit. Selon ce spécialiste en pratiques parlementaires, l'institution de cette commission d'enquête est venue en réponse au rapport accablant publié par la Banque mondiale en 1994 sur la situation économique et sociale au Maroc et où il était notamment question du trafic de drogue. «Nous sommes en droit de nous demander ce qu'il est advenu des recommandations de cette commission pendant toutes ces année», ajoute le professeur.