Le hasard a voulu qu'au moment où Sefrou célébrait allègrement, pour la 90e fois, son Festival de la cerise, et qu'elle désignait ostentatoirement sa «Miss Cerisette» 2010, j'étais en train de finir un beau roman sur Sefrou commis par un Sefrioui très pur mais parfois très dur. C'est un livre d'une écriture limpide et directe, presque «brute de coffrage», mais étonnamment poétique. Malgré une discontinuité dans la narration choisie peut-être délibérément comme style ou bien imposée par une folle envie de tout dire, à aucun moment on ne perd le fil. L'auteur, un inconnu qui gagne vraiment à être connu, s'appelle «Jaouad Benaissi», et il a choisi pour son livre un titre insolite : «Zizouna». Ça laisse pantois. Ce n'est pas la peine de le chercher car il a été édité en France et il n'est pas encore distribué au Maroc. Mais, à l'occasion d'un récent voyage, – encore le hasard! - j'ai eu le plaisir et le privilège de rapporter à l'auteur quelques exemplaires tout chauds, presque dès leur sortie de l'imprimerie. Pourquoi je vous parle de tout ça? En vérité, au-delà de la légèreté de son style et de sa poésie, ce roman m'a profondément touché par la sincérité de son ton et par la gravité et parfois la sévérité de son propos. L'auteur est tour à tour narrateur, reporter, historien, fils du quartier, voyeur, voisin, accusateur... Mais il n'y a pas un brin de doute : il adore sa ville. Il la décrit avec amour et passion, mais sans complaisance et sans concession. Il ne nous cache rien. De la vie faussement joyeuse des prostituées du mellah jusqu'au silence des autorités publiques, en passant par le trafic du fqih du coin, le tberguig conciliant du moqadem, la générosité faussement désintéressée de certains notables et bien d'autres aspects qui sont loin d'être spécifiques à cette seule cité. Oubliant parfois que c'est un romancier, il va jusqu'à nous décrire dans le moindre détail les «émeutes du pain» dont Sefrou a été le tragique théâtre il n'y a pas longtemps, et la répression terrible qui s'en est suivie. Je croyais tout savoir, mais ce que j'ai appris à la lecture de ce livre m'a carrément sonné, mais sûrement moins que la pauvre Zizouna qui avait reçu, elle, un vrai coup de matraque sur le crâne. Vous allez me dire que tout ça n'est pas très beau à raconter, et encore moins dans un roman. Peut-être. Mais, au fond, le message profond que j'ai envie de passer à travers ce modeste billet d'habitude plus rigolo, c'est qu'on n'a pas le droit d'occulter une vérité, aussi moche soit-elle. Le Festival de la cerise est si sympa et Miss Cerisette est si mignonne qu'il faut être un parfait imbécile pour priver Sefrou de ce si beau cadeau. Par contre, rien n'empêche que le reste de l'année, on se penche un peu plus sur les soucis et les envies des Sefriouis, lesquels, j'en sûr, n'en seraient que plus heureux, et leur ville n'en serait que plus belle. Amen. Bon week-end et à lundi.