Fès est sacrée certes, mais elle n'a jamais été aussi «andalouse». Bab Al Makina résonne au son d'une guitare, celle d'une légende vivante du flamenco : Paco de Lucia. Sa réputation n'est plus à faire, mais il est tout de même admirable et étonnant de voir autant de passion malgré les années passées comme s'il touchait son instrument pour la première fois. Paco, en effet, se bonifie avec le temps. Il entre sur scène, à 21h pile, pour ne pas faire attendre ce public en plein air qui est venu de partout pour le voir. Il parle à ses admirateurs, leur avoue qu'il a froid et commence. Tout seul, au milieu de la scène, il commence, aidé par sa fidèle compagne : la guitare. Chaque note est précieuse et précise surtout, chaque corde est valorisée et Paco de Lucia prouve à Fès l'étendue de son talent et sa dextérité pour ainsi dire magique. Le public est déjà conquis et il ne sait même pas encore ce qui l'attend... Après quelques minutes, il lance un deuxième morceau où son percussionniste fou que l'on surnomme «El piraña» le rejoint pour marquer les rythmiques harmonieuses à l'aide de son cajon. Israel Suárez Escobar, de son vrai prénom, prend place autour de son matériel de percussions et ajoute une certaine magie au début de soirée. Une magie sublimée par trois silhouettes qui prennent possession de la scène, presque militairement s'assoient, tapent des mains et commencent un numéro vocal sous l'œil attentif et tendre du «maestro». Paco dirige, guette, provoque, lance des blagues, admire, joue mais toujours avec le respect pour ses musiciens, visiblement pleins d'admiration pour ce guitariste de légende. Ces silhouettes s'animent quand les chants commencent. Des chœurs au départ qui se transforment en solo de chant directement venus de l'âme et de la magie de l'Andalousie. La voix rauque, forte et imprégné de force et de vécu du jeune David de Jacoba, donne la chair de poule et fait trembler le public présent. On ne s'y attend pas et pourtant cela vous prend comme par magie grâce à des sons qui proviennent bel et bien du ventre, de la passion, du vécu, des ancêtres , une voix naturelle digne des gitans avec cette cassure et déchirure qui touchent tant. Le chanteur est aidé par une autre voix pure et authentique, celle de l'enfant des «pueblos» de Séville : Rubio de Pruno. Le duo pouvait avoir des airs de «battle», où chaque chanteur se devait de montrer ce qu'il savait faire mais le public dégustait et les musiciens eux-mêmes contemplaient la beauté des chants qui transformaient les rythmes des guitares. Un troisième personnage aux côtés des deux chanteurs fait les chœurs sans jamais chanter en soliste. Il est chétif et discret jusqu'au moment où il se saisit de la scène pour entamer un numéro de danse habité et enflammé. Bab El Makina n'en croit pas ses yeux, il s'agit du petit-fils de la légende de la danse flamenca : «El Farruco. Ce dernier reprend le même nom en hommage à son grand-père à qui il ressemble même physiquement mais surtout dans sa façon de danser. Il a 24 ans et il a déjà tout d'un grand : la grâce, l'élégance et la danse «flamenco puro» auqxuels il ajoute une fusion avec les claquettes qui ébahit la foule par la rapidité et la force qu'il donne à son numéro. Le jeune prodige est un tourbillon d'émotions sur scène de par l'expression de son visage, sa gestuelle et surtout ces mouvements qui racontent les mots chantés. Farruco a fait trembler les murs de Bab El Makina, qui s'en souviendra longtemps et a reçu une standing ovation de la part du public marocain, debout face au talent. Une guitare, des percussions, de la danse, du chant et des musiciens qu'il ne faut pas oublier de citer comme Antonio Sanchèz à la deuxième guitare qui ne tremble pas devant le «maestro» à ses côtés, comme Antonio Serrano, tantôt au piano tantôt à l'harmonica tel un extraterrestre des sons inédits et envoûtants et surtout Alain Perez et ses solos de guitare dont il est seul à posséder le secret.Oui, le concert de Paco de Lucia était parfait et sans aucune fausse note. Ce qui a touché surtout c'est cette véracité et cette honnêteté dans la musique qui fait la différence avec d'autres festivals à caractère commercial. Le Festival des musiques sacrées a bien tenu son pari, le flamenco de Paco fusionné aux sonorités orientales parfois et au jazz a fait revivre les ancêtres en racontant leur histoire. Le concert était vrai, sans artifice, sans paillettes, ni costumes, ni maquillage, que des chemises blanches uniformes, des barbes mal rasés, des cheveux dans le vent mais de la passion, du talent et de la musique. Un moment fort, probablement un des meilleur de toutes les éditions confondues, qui rappelle étrangement le moment plein de générosité d'un certain Ben Harper en 2011. Et ce n'est pas fini, car la programmation promet encore de belles surprises dont le tant attendu concert de Patti Smith en clôture... «Olé !».