Les plans stratégiques du Maroc n'ont pas toujours tenu leurs promesses. Le département de l'Industrie, du commerce et des nouvelles technologies, qui en a piloté une grande partie, est en train de revoir ses copies, à commencer par le très décrié programme Maroc Numeric 2013, dont les objectifs n'auraient été atteints, selon la version officielle, qu'à hauteur de 40%. Aujourd'hui, le département d'Abdelkader Âamara évalue son action, dresse le bilan des réussites et des échecs de ce plan et travaille sur une nouvelle stratégie qui devrait se fixer 2020 comme nouvel horizon. Le sujet a fait l'objet d'une rencontre organisée par la Chambre de commerce britannique au Maroc jeudi dernier à Casablanca. Bien que l'absence du ministre soit regrettable, le directeur de l'économie numérique au sein de son département s'est chargé de faire le point sur cette révision. Il est bien évidemment encore tôt pour connaître les tenants et les aboutissants de cette version 2 (V2) et le bilan global ne devrait voir le jour que vers la fin de l'année ou au début de l'année prochaine. Toutefois, les grandes tendances de cette nouvelle vision sont d'ores et déjà clarifiées. Nous savons ainsi que la prochaine mouture devrait faire du programme e-Gov, grande déception de la première édition, la locomotive de toute la stratégie numérique, avec une nouvelle version pour la gouvernance du processus. Ainsi, une nouvelle agence devrait voir le jour et jouer le rôle d'observatoire de l'e-Gov, tout en assurant l'homogénéisation des travaux des différents ministères, une convergence qui faisait jusqu'ici défaut à la stratégie. Toutefois, ce n'est pas tout. L'un des axes majeurs de ce nouveau programme devrait concerner une meilleure intégration de la régionalisation dans le cadre de la stratégie. Cette régionalisation était déjà incluse, bien que timidement, dans le cadre de la première vision. Selon les responsables du département de l'Industrie, la stratégie était à 80% centralisée et à seulement 20 % régionale. «Il faut absolument que Maroc Numeric 2020 réalise l'inverse, puisqu'aujourd'hui, presque tous les services centraux ont été réalisés. Tout le défi est donc de pouvoir amener ces services au niveau des régions et des villages éloignés», explique le directeur de l'économie numérique. L'autre challenge concernera l'accès à l'information, qui est aujourd'hui un droit constitutionnel. Au-delà de l'aspect législatif, il faudra se doter des outils nécessaire à la réalisation de cette exigence. «Il faut que nos technologies puissent être à la hauteur et intégrer des éléments tels que l'OpenGov et l'OpenData». La mise en place d'une feuille de route pour le redémarrage de la stratégie devrait en principe se faire début 2014. En attendant, l'urgence est au bilan. «Nous avons une idée globale sur ce dernier, vu que nous pouvons nous-mêmes fournir certains chiffres, mais pour beaucoup d'indicateurs comme l'impact sur le PIB ou encore le nombre exact d'emplois créés, nous avons eu recours à un cabinet spécialisé pour réaliser ces études», explique Badr Boubker, qui promet du nouveau dès la rentrée prochaine. En attendant, certains constats d'échec ont d'ores et déjà êté formulés. C'est le cas notamment du programme Génie, qui visait l'équipement de 9.997 établissements en matériel informatique et 2.838 autres en une connexion à Internet. «Ce projet a pris du temps, car il s'agit d'un programme colossal, surtout que l'on parle ici d'un grand nombre d'écoles rurales qui ne disposent même pas d'électricité», justifie Boubker. Il fallait s'y attendre, la fracture numérique entre les mondes urbain et rural, n'a cessé de se creuser sur ces dernières années. Autre déception, cette fois-ci au niveau de la formation, surtout celle des ingénieurs. Le gouvernement semble être conscient que les formations «cocotte minute» qu'il a encouragées ne suffisent plus à intégrer le monde du travail et à subvenir aux besoins des entreprises. À ce titre, le département de l'Industrie travaille actuellement sur une réévaluation de ses objectifs. Des réunions avec les acteurs de l'enseignement supérieur public et privé ont été tenues pour vérifier si la formation qu'ils fournissent correspond aux besoins du marché. «À la fin de Maroc Numeric 2013, nous allons refaire un round et réévaluer complètement nos cursus de formation, ainsi que la demande prévisionnelle en emploi», souligne Boubker. L'objectif est de revérifier si l'offre et la demande coïncident et d'intégrer des modifications dans le cursus. Et pour cause, la donne a considérablement changé dans le marché de l'emploi et les employeurs demandent aujourd'hui des jeunes étudiants certifiés (Microsoft, Oracle, Cisco...). En réalité, les entreprises ne veulent plus prendre des jeunes qui n'ont appris que les bases, car cela suppose des frais de formation avec le risque que ces derniers quittent ensuite leur structure pour d'autres horizons. Bilan mitigé pour les TIC Quel jugement livrent les professionnels des stratégies sectorielles ? Selon Mohamed Lakhlifi, président de l'Apebi, bien que les réalisations ne soient pas toutes au rendez-vous, le programme en lui-même est louable. Cela n'empêche pas ce dernier de souligner ironiquement : «Je n'ai jamais vu un plan de 5 ans atteindre tous ses objectifs. Si l'on dépasse 50%, c'est déjà très bien». Pour ce secteur, qui se trouve au carrefour de plusieurs stratégies sectorielles dont Maroc Numeric et Emergence, c'est un bilan mi-figue mi-raisin qui est dressé. Ainsi, le secteur de l'IT retient dans la case des réalisations, la création de 5.000 emplois avec des qualifications importantes, surtout chez les bac +4 et +5. L'infrastructure en télécoms aurait également beaucoup aidé la stratégie au regard des professionnels : «Même si le mobile a connu une baisse, nos connexions avec l'étranger ont très bien fonctionné». En revanche, les professionnels ne cachent pas leur déception quant aux formations en bac + 2 qui n'auraient pas fonctionné comme il se doit et qui ne répondent plus aux exigences du marché. Sans oublier la loi sur la protection des données personnelles qui n'a pas répondu à toutes les interrogations et qui a connu beaucoup de lourdeurs. «En somme, nous pouvons considérer que le plan Emergence pour notre secteur a fait office d'une phase pilote que l'on devra multiplier par 4 ou 5 pour atteindre toutes nos ambitions», souligne Lakhlifi. Le secteur doit en outre faire face à d'importants enjeux durant les prochaines années. Le premier est lié à la compétitivité de la destination Maroc, qui est de moins en moins attractive sur les coûts. Pour y faire face, le secteur a besoin de monter en valeur, en proposant une offre complète prenant en charge un produit dès sa conception jusqu'à sa réalisation et à sa maintenance. Le secteur doit également faire face à une concurrence de plus en plus rude de la part de pays tels que la Roumanie ou la Pologne. «Plus que jamais, nous nous devons de faire une veille sur ce qui se passe dans ces pays pour avoir des coûts plus compétitifs», affirme Lakhlifi. l