Moderniser, professionnaliser, rentabiliser... Ce sont là les idées qui dominent depuis quelque temps l'actualité du monde sportif marocain. L'arrivée de Moncef Belkhayat, un technocrate «pur sang», à la tête du ministère de la Jeunesse et des sports n'est sans doute pas étrangère à ce brusque changement de ton et de style. Dès ses premiers jours dans le fauteuil ministériel, il n'est pas passé par quatre chemins pour annoncer que le Maroc devait désormais s'atteler à développer un sport rentable. En décembre 2009, lors d'une interview accordée à un journal de la place, Belkhayat reprécisait son idée de «sport rentable» en affirmant que les grandes nations sportives ont créé un business du sport, à partir du moment où celui-ci a atteint 2% du PIB. «On est encore loin de ce chiffre... Nous comptons donner envie aux entrepreneurs privés de s'intéresser au sport et donc d'apporter des sources de financement supplémentaires pour créer de la valeur ajoutée». Le business du sport commence certes, à être un paradigme dominant au niveau mondial. C'est désormais un secteur économique à part entière que les nations s'acharnent à développer. En France par exemple, en 2008, l'Insee avait estimé à 30 milliards d'euros le chiffre d'affaires de l'industrie du sport, soit 1,7% du PIB et à 160.000 le nombre d'emplois du secteur. Au niveau mondial, la crise a renforcé les appétits pour le «sport business». Et pour cause, alors que l'économie mondiale plongeait, le sport était l'un des rares secteurs à maintenir son dynamisme. Selon les dernières estimations établies par Price Waterhouse Coopers, le secteur passera d'un chiffre d'affaires global de 114 milliards de dollars en 2009 à 133 milliards de dollars en 2013 (équipements non compris). Aussi, pour inscrire l'univers sportif marocain dans cette «tendance» mondiale, une impulsion d'envergure semble-t-elle avoir été déclenchée, donnant le signal d'une reconfiguration totale du secteur. La loi de finance 2010 a augmenté le budget du département des sports de 47%, des nouvelles stratégies, toutes inspirées de l'univers des affaires sont élaborées ou en cours d'élaboration pour relancer le domaine sportif...mais le must, c'est désormais la technocratisation accélérée des instances dirigeantes du sport national. Les 45 fédérations et les clubs que compte le pays voient de plus en plus l'arrivée à leur tête ou au sein de leur comité de direction, de managers et patrons de grosses entreprises. Mais ces mutations devant conduire à l'émergence d'une industrie nationale du sport présentent aussi des complexités, des contradictions et des divergences de vue énormes entre les acteurs. Les clés de la nouvelle vision Pour le ministère, l'émulation au niveau du champ sportif passe désormais par l'incitation d'une nouvelle dynamique au niveau des différents intervenants. Un partenariat triangulaire est prévu entre les clubs, les communes et les investisseurs, et encadré par le ministère et les fédérations sportives. Les clubs deviendront des sociétés anonymes à l'horizon 2011 et les fédérations ont déjà signé, chacune, un contrat programme, qui selon les attentes qui y sont fixées, est davantage un contrat de performance. Celui-ci stipule en effet que les fédérations ne seront désormais subventionnées par l'Etat qu'en fonction des résultats qu'elles produisent. Côté infrastructure, le ministère table sur la finalisation en 2011 des grands stages, notamment ceux de Marrakech et de Tanger et la création, d'ici 2016, de 1.000 complexes sportifs de proximité dont 27 sont déjà réalisés. Sur le même trend, il met en place une société de gestion des infrastructures sportives (la Sonages) et annonce la création prochaine d'une régie publicitaire, censée activer la génération des revenus par les infrastructures. Cela s'accompagne par un volet réglementaire où des projets de loi sur l'éducation physique, la création de sociétés sportives et la lutte contre le dopage et le hooliganisme ont été introduits auprès du Parlement. Toujours selon la logique du ministère, ce schéma du sport business en gestation, devrait permettre de créer 15.000 emplois dans le secteur d'ici 2016, de faire du Maroc un creuset de champions en accélérant la professionnalisation des sportifs et d'augmenter de façon substantielle les revenus générés par le secteur. Une affaire de puissant ? Les technocrates qui désormais prennent les commandes des fédérations et des clubs sont donc convaincus que leur apport est d'une importance capitale pour atteindre les nouveaux objectifs fixés au champ sportif national. Le sport marocain, expliquent-ils, a besoin de savoir-faire managérial et de bonne gouvernance pour sortir de son marasme actuel. À titre d'exemple, Mohamed Chaïbi, PDG de Ciments du Maroc et directeur général du Trophée Hassan II de golf, souligne à ce propos, qu'étant passionné de golf, patron d'entreprise et connaisseur du monde des affaires, comme d'autres, il estime jouer un rôle essentiel pour faire rayonner le Maroc sur le plan golfique et économique, notamment à l'étranger. La preuve de l'efficacité de leur action, souligne-t-il, est que le nombre de touristes golfeurs double tous les 5 ans. Ceux-ci dépensent 2,5 à 3 fois plus qu'un touriste ordinaire et les recettes générées par ce créneau s'estiment à environ 1 milliard de dirhams. Pour Hassan Bernoussi aussi, ex-président du WAC section basket et ex directeur de la DGI, le sport étant devenu un vrai business, cela nécessite désormais une gestion professionnelle. Celle-ci devrait, explique-t-il, permettre aux clubs de passer d'une gestion de type associatif à une véritable logique d'entreprise. Mais si la nécessité de professionnaliser le sport fait l'unanimité auprès des différents acteurs, il n'en reste pas moins que tout le monde ne voit pas d'un bon œil le contrôle de l'ensemble de l'appareil sportif par les technocrates. Des voix discordantes expliquent qu'à l'état actuel déjà, les clubs vivent une paralysie du fait de leur système d'adhésion qui élimine une grande partie des supporters dont l'implication dans les décisions aurait pu être profitable. Pour adhérer à un club comme le WAC la cotisation annuelle est fixée à 20.000 dirhams et à 5.000 au niveau du Raja. Cette barrière tarifaire fait qu'on compte moins de cinquante adhérents au niveau de ces clubs, malgré leur poids sur l'échiquier sportif national. Selon les opposants à la technocratisation, c'est ce petit nombre d'adhérents pas forcément connaisseurs du champ sportif qui détiennent l'essentiel du pouvoir de décision et élisent les présidents sur la seule base de leur puissance financière. De leur point de vue, les transformations en cours, même si leurs retombées seront non négligeables, présentent également le risque de la monopolisation du secteur. À cela, l'idée qu'un tiers du capital des clubs devenant sociétés anonymes puisse être détenu par les adhérents n'y change rien. Des écueils supplémentaires Mais en termes de risque pour la nouvelle vision du sport, il y a encore pire, l'informel. Les effets dévastateurs de ce fléau sur le business du sport ne semblent pas être pris en compte dans les stratégies actuelles. Aujourd'hui, selon les spécialistes du marché, un club comme le Raja ne génère que 14 millions de dirhams en matière de sponsoring (soit 40% de son budget) et le Wac un peu plus. Au niveau mondial, même si sa croissance est la plus rapide, le segment sponsoring ne représente que 26% des recettes des clubs, soit 29,4 milliards de dollars en 2009. Les segments les plus générateurs de revenus sont entre autres, la vente de billets (38% du marché en 2009) et l'équipement sportif. Or, c'est là que les clubs nationaux et les équipementiers sont sérieusement attaqués par la contrefaçon. Le Raja par exemple, n'a vendu en 2009, que quelque 6.000 maillots, alors que plusieurs milliers d'autres sont produits et vendus dans le circuit informel. Selon Zaki Lahbabi, directeur général de TSM (société spécialité en marketing du sport), cette réalité continuera d'être le talon d'Achille du développement de l'industrie sportive, tant que le pouvoir d'achat restera faible et les habitudes de consommation des produits sportifs peu ancrés chez les individus. Le challenge de l'économie du sport ne fait donc que commencer.