La tâche primordiale des dirigeants européens d'aujourd'hui est de retrouver une vision qui les a désertés depuis vingt ans. Le projet européen ne peut se reconstruire dans le scepticisme des peuples. Coup de tonnerre annonciateur d'une tempête qu'est le Brixit? Elle le serait si elle provoque un effet domino déstabilisant le radeau européen. Pourtant depuis des années, le Royaume-Uni semblait avancer tout droit vers la sortie de l'Union Européenne. Les conservateurs (Tories) ont longtemps essayé de mobiliser leur électorat autour de la question européenne. Margaret Thatcher a toujours exprimé son refus d'envisager l'entrée de la livre dans le système monétaire européen. Lors du traité de Masstricht en 1992, le Premier ministre de l'époque, John Major, avait négocié sa fameuse dérogation à la Charte des droits fondamentaux de l'UE. David Cameron ne faisait pas partie des eurosceptiques, mais en organisant le référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l'UE, la perspective d'un Brixit devenait possible. Les sondages indiquaient qu'une majorité d'Anglais seraient favorables à la sortie de l'UE. Les eurosceptiques britanniques ont toujours eu le sentiment que l'UE a été imposée de l'extérieur au Royaume-Uni. Mais il faut reconnaître que sous l'influence du Royaume, l'Europe est devenue très «anglaise» dans son organisation et son comportement. Le profil du Marché Unique n'aurait pas été aussi libéral et déréglementé sans l'empreinte britannique. Le Big-bang de l'élargissement n'aurait pu se produire sans l'appui de Londres. Les Britanniques ont occupé des postes clés dans les institutions européennes. Que Londres ait toujours eu une relation difficile avec le continent, nul n'en doute, mais il serait facile d'expliquer le vote de sortie par la nostalgie de la puissance perdue, l'égoïsme des Britanniques ou les discordances d'intérêts. Il convient plutôt d'en imputer l'origine à la méthode de construction de l'Europe, forte quant à ses résultats passés, mais grosse de germes destructeurs pour l'avenir. La monnaie unique aurait pu être un atout pour la croissance économique, mais les Européens n'ont pas prévu de politique(s) économique(s) pour accompagner la mise en commun de leurs monnaies. Tandis que les traités restaient flous sur la gouvernance de la zone et sur la coordination des politiques nationales. L'euroscepticisme traditionnel de la population britannique a progressé depuis la crise de l'euro. En refusant de signer le traité budgétaire en décembre 2012, le Royaume-Uni a fait un premier pas hors de l'UE. Tandis que la zone euro s'acheminait vers une intégration plus poussée, Londres refusait tout nouveau transfert de compétences au niveau européen. Hors de question notamment de mettre la City sous la supervision de la Banque Centrale européenne ou d'accroître le contrôle de la Commission européenne sur son budget et ses politiques économiques. Le gouvernement souhaitait au contraire réduire sa contribution au budget européen et voyait d'un bon œil la renationalisation de certaines politiques. De là à sortir de l'Union, il n'y avait plus qu'un pas. D'autant plus facile à franchir que manquait à l'Europe une véritable politique de croissance. Il fallait à la zone euro un budget propre capable d'exercer une action contra-cyclique dans les pays les plus en difficulté. D'autant plus que les marges de manœuvre budgétaires des Etats sont bridés par un étroit carcan de règles. Cette situation allait sonner le retour en force des logiques nationales. Certes, le traité de Lisbonne a profondément modifié la nature et la pratique des institutions européennes. Le Parlement a vu ses compétences législatives encore accrues. Mais il demeure cependant un nain puisqu'il ne peut lever les impôts et il ne fait que valider un budget dont le niveau (autour de 1% du PIB européen) et les grandes enveloppes sont décidés en dehors de lui, par les chefs d'Etat et de gouvernement réunis au sein du Conseil européen. Bien au contraire, l'institutionnalisation croissante du Conseil, s'est accompagnée d'un retour en force de la logique intergouvernementale. Avec pour corollaire un retour du jeu des rapports de force entre Etats. La conception étroite des intérêts nationaux s'est finalement imposée. Dans ce climat de pessimisme, les rapports des sociétés européennes aux institutions de l'Union se sont dégradés. Déjà avec l'élargissement à de nouveaux membres, l'optique européenne du modèle social a évolué, cherchant moins à promouvoir le plus haut niveau possible de protection sociale qu'à finir de mettre en place un marché européen de travail et une concurrence entre les systèmes sociaux. N'ayant pas de véritable gouvernement commun supranational, l'essentiel des débats publics sur le modèle social se jouait à l'intérieur des espaces nationaux qui demeuraient le siège principal de la légitimité démocratique. Il n'existe donc pas de communauté politique européenne. Aujourd'hui, l'Europe a besoin de sens. La mondialisation a frappé les peuples au point qu'ils ont l'impression d'avoir perdu leurs repères et même leur identité. Les gouvernements sensibles à la poussée des populismes sont quant à eux tentés par un nationalisme rampant. La tâche primordiale des dirigeants européens d'aujourd'hui est de retrouver une vision qui les a désertés depuis vingt ans. Le projet européen ne peut se reconstruire dans le scepticisme des peuples. Pour lui redonner de l'élan, il faut davantage de coopération et de démocratie.