Selon une étude de la Chambre de commerce américaine au Maroc, la contrebande est à l'origine de 450 000 emplois directs non créés. L'explosion des importations légales de produits asiatiques dans la zone nord a réduit les flux commerciaux illégaux. «La Chambre de commerce américaine au Maroc évalue les effets de la contrebande à plus de 450 000 emplois directs non créés. Nous sommes donc loin du postulat paternaliste selon lequel l'entrée illégale de marchandises de Sebta est une aubaine pour les populations du nord». Noureddine Arsi, élu de la commune urbaine de Fnideq, tranche dès le départ. En raison de la proximité de Sebta, cette ville est une plaque tournante d'une importante activité de contrebande. Souk Al Massira avec ses 805 boutiques est assurément le plus important centre commercial de la ville. Tout s'y mélange: produits alimentaires, prêt-à-porter, électroménager, voire nouvelles technologies, smartphones et consoles de jeu notamment. Un flux intense, qui trouve son origine dans les différences de taxation très importantes sur certains produits. «Les producteurs locaux souffrent de concurrence déloyale du fait que Sebta s'est transformée en plaque tournante d'approvisionnement des souks des villes qui lui sont proches comme Tétouan ou Tanger», continue l'élu local. Et d'ajouter : «En outre, les produits alimentaires de contrebande échappent à tout contrôle sanitaire, ce qui constitue une menace très grave pour la santé des populations, et les intoxications alimentaires sont très fréquentes». Près de 100 000 personnes entrent quotidiennement à Sebta et Mellilia pour s'approvisionner Côté espagnol, l'on impute ce phénomène à la question politique. «Cette situation est accentuée en raison de l'inexistence de régulation douanière dans cette zone ; le fait que le Maroc revendique l'enclave n'a pas permis l'établissement de relations commerciales entièrement normalisées et convenues», explique de son côté José Manuel Rincón, journaliste au Pueblo de Ceuta, et spécialiste de la question de la contrebande. Il subdivise le phénomène en trois catégories. La première est la contrebande occasionnelle de tabac, boissons alcoolisées, ou d'appareils ménagers électriques, effectuée de façon sporadique par les travailleurs, les étudiants, les fonctionnaires et généralement ceux qui peuvent facilement entrer et sortir des enclaves. Vient ensuite la contrebande de subsistance consistant en la circulation illicite des biens de consommation tels que les piles, le chocolat, le lait en conserve, les parfums... Celle-ci est généralement du ressort des habitants des villes avoisinant les présides. L'image des femmes porteuses surchargées de marchandises est révélatrice de cette activité. Enfin, il y a la contrebande à grande échelle d'équipements électroniques, comme les antennes paraboliques et d'autres produits coûteux, effectuée par des réseaux organisés de professionnels. C'est ce qui fait beaucoup plus de mal à l'économie marocaine. Les commerçants de Sebta affirment avoir perdu la moitié de leur chiffre d'affaires Ainsi, il y aurait selon lui des «passeurs de week-end ou amateurs», des passeurs «quotidiens» qui vivent de ces produits, et puis les réseaux, appelés par la police espagnole les «Big boys». José Manuel Rincón précise par ailleurs qu'entre «70000 et 100000 contrebandiers se rendent quotidiennement à Sebta et à Mellilia pour approvisionner le marché marocain. C'est une véritable force de frappe commerciale impressionnante qui fait la prospérité des deux colonies dont le revenu par habitant est supérieur à la moyenne espagnole». Le statut particulier des enclaves et de leurs frontières, paradoxalement, semi-perméables, mais fortifiées depuis l'intégration de Sebta à l'espace Schengen, semble donc bénéfique pour certains. Mais la situation est sur le point de changer. En effet, l'importation légale des produits asiatiques par les opérateurs marocains, facilitée par la forte baisse des droits de douane sur une grande quantité de produits, a beaucoup changé la donne. L'impact est réel puisque plusieurs commerçants de Sebta ont affirmé avoir perdu près de 50% de leur chiffre d'affaires. Et ils n'ont pas encore tout vu car le développement du tertiaire est l'un des leviers de développement de la région limitrophe. C'est effectivement dans ce contexte que s'inscrit la zone franche commerciale (ZFC) qui sera aménagée à Fnideq dans le sillage de la montée en puissance du port de Tanger Med et de sa zone franche logistique. Le Maroc entend ainsi éliminer ou du moins étouffer cette contrebande en s'assurant le transfert des activités de Sebta vers la ZFC dans un cadre formel, organisé. Les emplois directs liés à la ZFC sont estimés à 5 000 postes dont 4 500 seraient basés à Fnideq et 500 à M'diq. La vocation commerciale de Fnideq entrerait définitivement dans le circuit formel et l'économie organisée.