Signé en 2007, le contrat-programme dédié aux métiers de l'artisanat à fort contenu culturel est arrivé à échéance en 2015. En cours d'évaluation, son bilan est globalement positif. En 9 ans, le chiffre d'affaires de l'artisanat d'art a été multiplié par deux. Quelle maison marocaine n'est pas décorée de tapis r'batis ? Quelle cuisine n'a pas dans ses placards des poteries de Salé ou de Safi ? Au Maroc, l'artisanat se vit au quotidien. Prisé à l'étranger, apprécié aujourd'hui autant qu'hier par les Marocains, il ne cesse d'écrire son histoire, de se réinventer, se conjuguant aussi bien au passé qu'au futur. Invitée du dernier grand dîner-débat de La Vie éco organisé lundi 21 mars, Fatema Marouane, ministre de l'artisanat et de l'économie sociale et solidaire, n'aura eu aucun mal à convaincre l'assemblée du bien-fondé de sa mission: accompagner et promouvoir ce secteur qui combine les dimensions économique, sociale et culturelle. Conscient de l'importance que représente l'ensemble des métiers de l'artisanat, le Maroc est d'ailleurs l'un des rares pays à leur accorder un ministère. Il faut dire que, dans le Royaume, 2,3 millions de personnes travaillent dans l'artisanat, faisant ainsi vivre au moins 6 millions d'autres. La majorité de ces artisans (53%) entre dans la catégorie de l'artisanat de service, c'est-à-dire les métiers de proximité que sont les coiffeurs, les maçons, les mécaniciens, les boulangers ou encore les hammams, alors que seulement 17% d'entre eux exercent dans l'artisanat à fort contenu culturel, les 30% restants étant quant à eux assimilés à l'artisanat utilitaire. Ensemble, ils contribuent tout de même à hauteur de 8,6% au PIB national. Le secteur est animé par de nombreux chantiers Pour autant, la corporation des artisans a longtemps été injustement dévalorisée. «Outre sa participation au PIB et sa contribution à l'économie qui est indéniable, il ne faut pas oublier son rôle en tant que facteur stabilisateur, les activités de l'artisanat constituant le ciment de la société marocaine et participant à assurer la stabilité et la cohésion sociale. Pour la vie quotidienne de nos quartiers, nous avons besoin d'un ferrane, d'un hammam traditionnel, d'un coiffeur-barbier, d'une boulangerie traditionnelle, de réparateurs, de peintres, etc.», rappelle avec justesse Fatema Marouane. Gouvernance, statut de l'artisan, couverture sociale, préservation des savoir-faire ancestraux, lutte contre la contrefaçon, recherche de la qualité et de l'innovation..., tout ou presque reste à faire dans le secteur. Neuf ans après la signature du premier contrat-programme dédié à l'artisanat mais exclusivement consacré aux métiers de l'artisanat à fort contenu culturel, ou artisanat d'art, d'importantes réalisations sont venues moderniser et structurer l'activité. Baptisée «Vision 2015 pour le développement du secteur de l'artisanat», cette stratégie, rappelons-le, s'était fixé trois objectifs : «la création d'un tissu d'entreprises dynamiques, l'augmentation du chiffre d'affaires et l'amélioration des conditions de travail des mono-artisans», et la mise en place d'actions transversales soutenues par des mesures d'accompagnement à la mise en œuvre de la stratégie. En cours d'évaluation -les chiffres consolidés de 2015 seront disponibles dans quelques semaines-, la Vision 2015 a déjà montré d'indéniables signes de réussite comme a tenu à le montrer la ministre lors du dîner-débat. Ainsi, la progression de la valeur ajoutée du secteur en est elle un bel exemple. Alors qu'elle était de 6,4 milliards de DH en 2007, elle a atteint 13 milliards en 2014, dépassant de 65% l'objectif fixé par la Vision 2015. L'augmentation du nombre de PME d'artisanat d'art structurées est un autre fait marquant à mettre sur le compte des réalisations de la Vision 2015 : en 2014, on en compte 848, soit 548 de plus que l'objectif fixé pour l'horizon 2015. La productivité des PME d'artisanat d'art s'est elle-même appréciée de 91%, passant de 122625 DH en 2007 à 234 339 DH en 2014. De leur côté, les mono-artisans urbains, qui ont représenté 72% du chiffre d'affaires global en 2014, ont vu leur propre chiffre d'affaires moyen par artisan et par an progresser de 73%, passant de 35 810 DH à 61 879 DH en 9 ans. Le chiffre d'affaires moyen par mono-artisan rural a quant à lui progressé de 83%, de 9 645 DH en 2007 à 17 674 DH en 2014. D'autres objectifs ne seront, par contre, probablement pas atteints à fin 2015. C'est le cas de la création d'emplois : entre 2006 et 2014, 63 422 emplois, sur les 117 250 que prévoyait la stratégie, ont été créés dans l'artisanat à fort contenu culturel. De même, alors que la Vision 2015 ambitionnait de porter le chiffre d'affaires du secteur à 24 milliards de dirhams, contre 10,4 milliards de DH en 2007, ce dernier n'a atteint «que» 21,8 milliards de DH à fin 2014, soit 91% de l'objectif fixé. Depuis 2007, le chiffre d'affaires a ainsi évolué de 11,2% en moyenne chaque année. Considérant la conjoncture difficile que connaît ces dernières années le secteur du tourisme, contributeur important des ventes d'artisanat au Maroc, ces données restent très encourageantes. Au-delà des chiffres, il est à noter que la Vision 2015 a particulièrement contribué à une meilleure structuration du secteur. Même si la stratégie en prévoyait 60 000, ils sont 33 863 artisans à avoir bénéficié d'une formation initiale et 21 000 autres de la formation continue. Une attention particulière a été accordée aux femmes artisanes avec la création de 68 dar sanaâ. Dans ces maisons, les femmes rurales peuvent utiliser les outils mis à leur disposition, se former ou tout simplement se regrouper pour travailler ensemble sur une création artisanale. L'intérêt pour l'artisanat d'art marocain ne faiblit pas En dehors du cadre de la Vision 2015, d'autres challenges attendent le secteur de l'artisanat, à commencer par la question de la couverture médicale des artisans. «Une commission interministérielle a travaillé sur un projet de texte de loi concernant la couverture sociale et la retraite des indépendants dont font partie les artisans. C'est en cours d'étude car il faut trouver le produit qui peut correspondre aux spécificités du secteur de l'artisanat», rassure Fatema Marouane, même si le chantier est loin de dater d'aujourd'hui. Un autre projet de loi, relatif à la réglementation des activités de l'artisanat cette fois, est lui aussi dans le circuit d'adoption depuis quelque temps. Celui-ci promet de clarifier les divers statuts des professionnels du secteur et d'instaurer l'inscription obligatoire au registre des artisans. Si le texte n'a pas encore été rendu public, l'on sait néanmoins que l'artisanat y est défini comme «toute activité où le travail manuel demeure prépondérant et qui vise la production ou la prestation de service». Alors que le marché de l'artisanat d'art est porté à 84% par le consommateur local, le regard du secteur se porte aussi sur les exportations. Rappelons que le secteur avait clôturé 2014 avec une croissance de 14,2% de son chiffre d'affaire à l'export, à 415 MDH. Pour soutenir l'activité à l'export, un premier showroom a été mis en place en janvier 2015 par la Maison de l'Artisan dans la capitale des Etats-Unis, Washington. Un deuxième pourrait voir le jour aux Emirats Arabes Unis. «Nous sommes en train de réfléchir à la meilleure façon de voir notre produit d'artisanat évoluer du statut d'objet-souvenir au statut d'objet-collection», annonce Fatema Marouane. Présents au dîner-débat, les professionnels de l'artisanat oscillent entre optimisme et pessimisme. D'un côté, ils ont confiance en leur secteur, de l'autre, ils ont conscience des efforts supplémentaires à fournir pour doper l'activité à l'export, notamment en matière de marketing. Les success stories de Fenyadi, d'Artco ou encore d'Aït Manos laissent toutefois présager du meilleur. Malgré des moyens limités, avec une enveloppe budgétaire de 640 millions de dirhams, le ministère de l'artisanat et de l'économie sociale et solidaire a pu financer jusqu'à 25% des projets prévus par la Vision 2015, le reliquat ayant été financé par des partenaires nationaux et internationaux. Il est vrai que le secteur de l'artisanat ne souffre pas d'intérêt ici ou ailleurs. Entre le premier Compact du Millenium Challenge Account, l'Initiative nationale de développement humain (INDH), les wilayas et conseils provinciaux, et les associations locales et étrangères, les artisans sont relativement bien entourés. «Les retombées de la Vision 2015 ont été importantes, notamment en permettant de rehausser l'image du secteur et à le rapprocher davantage du grand public. Nous sentons que l'artisanat intéresse de plus en plus de personnes puisque nous avons de plus en plus de personnes qui prennent contact avec nous et nous proposent leur collaboration», explique Fatema Marouane. [tabs][tab title ="Tous les métiers de l'artisanat seront concernés par la stratégie post-Vision 2015"]Si l'évaluation du contrat-programme 2007-2015 n'est pas encore finalisée, les équipes du ministère de tutelle planchent déjà sur son successeur. «La mise en œuvre de la Vision 2015 a été riche d'enseignements. Elle nous a permis d'acquérir une méthodologie de travail qui nous sert aujourd'hui dans l'élaboration de la stratégie que nous présenterons très bientôt», a annoncé Fatema Marouane lors de son allocution, dévoilant au passage quelques éléments. Si la Vision 2015 ne concernait que l'artisanat à fort contenu culturel, son successeur englobera l'ensemble des métiers de l'artisanat en maintenant d'un côté les acquis liés à l'artisanat à fort contenu culturel et en intégrant, d'un autre côté, l'utilitaire et surtout le service. La future stratégie mettra également l'accent sur l'implication accrue des instances régionales, tout en tirant profit des opportunités offertes par la nouvelle régionalisation avancée, sur l'adhésion plus affirmée des différents départements concernés par des axes transversaux, sur le renforcement du rôle des différents acteurs institutionnels, à commencer par les Chambres d'artisanat et la Fédération des entreprises d'artisanat (FEA). Elle promet également de veiller à la mise en place d'un cadre logique de programmation et de suivi et d'un mode pertinent de bonne gouvernance. «En capitalisant sur les points forts de la Vision 2015, de nouveaux chantiers de développement à fort impact seront ouverts», conclut la ministre au sujet de cette nouvelle politique.[/tab][/tabs] [tabs][tab title ="La démarche qualité a contribué à la revalorisation de l'artisanat d'art marocain"]S'il n'y avait qu'une seule des réalisations à retenir dans l'ensemble de la Vision 2015, ce serait celle de la démarche qualité. La mise en place d'une plateforme normative comprenant 223 normes Imanor, 40 marques collectives et 5 labels appliqués à 32 filières permet ainsi la reconnaissance et la protection des savoir-faire artisanaux du Royaume, d'autant que certains de ces labels, tel que celui de la théière de Fès, sont reconnus à l'international. Un millier d'unités de production est labellisé. La marque «Madmoun» pour les produits de la poterie à usage culinaire, première à être mise en place, garantit par exemple un produit sain pour les consommateurs. Le même souci a été accordé à la babouche marocaine, aux tapis Bejaad et r'bati, à la bijouterie Tiznit, au fusil traditionnel pour la fantasia (lemkohla) ou encore au zellige de Fès. «Pour avoir de la visibilité et de la crédibilité, il faut absolument que la culture de la qualité soit ancrée chez nos artisans. Cette démarche qualité est très intéressante à cet égard. Certains produits, tels que la théière de Fès ou la babouche, disposent d'ailleurs de normes obligatoires», a expliqué Fatema Marouane lors du dîner-débat. Pour encourager cette démarche qualité à plusieurs niveaux, la Vision 2015 a également accompagné l'émergence de 16 acteurs de référence dont font notamment partie Artco, Fenyadi, Mocary et Meublatiss.[/tab][/tabs]