En 2014 et 2015, 75 contentieux impliquant des opérateurs marocains ont été jugés par la Chambre de commerce internationale. Mal assistés lors de la négociation des contrats, les opérateurs marocains font passer l'enjeu commercial avant l'enjeu juridique. «Les entreprises marocaines sont souvent impliquées dans des affaires d'arbitrage international, tout simplement parce que leurs cocontractants refusent d'entendre parler des tribunaux marocains». Mohamed Mernissi, arbitre international et professeur de droit, pose ainsi le décor. Soumis à un rapport de force, les opérateurs marocains sont «mal assistés» lors de la négociation de leurs contrats et sont, de facto, plus condamnés. La jurisprudence arbitrale de la Chambre de commerce internationale -principale institution mondiale de règlement des différends commerciaux internationaux- leur est d'ailleurs rarement favorable, sachant qu'ils sont tenus de se soumettre aux sentences rendues par les arbitres. «Jusqu'à la promulgation de la loi 08-05, l'arbitrage international n'était pas évoqué dans une législation spécifique, à part les conventions internationales en la matière ratifiées par le Royaume du Maroc. Mais malgré le vide juridique antérieur à la promulgation de la loi, la jurisprudence de la Cour suprême était sans équivoque quant à la reconnaissance de la Convention de New York et de ses règles», indique, de son côté, Abdallah Khial, conseiller juridique et docteur en droit. En 2014 et 2015, 75 affaires impliquant des opérateurs marocains ont été soumises à l'instance, dont plus de la moitié a été jugée en leur défaveur. «Lors de la négociation du contrat, les enjeux commerciaux l'emportent sur les enjeux juridiques. Souvent, dans les contrats de franchises (ndlr : qui représentent la majorité des affaires impliquant des parties marocaines soumises à l'arbitrage international de la CCI), la partie marocaine néglige les aspects liés à la responsabilité du fait de sa faiblesse dans le rapport de force, espérant que la relation contractuelle se passe bien. Sauf que quand ça se passe mal, l'effet est immédiat : on est condamné», précise le professeur Mernissi. Une naïveté aux conséquences très lourdes Ce manque d'assistance est d'ailleurs visible dans les différents cas d'arbitrage international impliquant des opérateurs marocains. Il en est ainsi de cette entreprise spécialisée dans le commerce de produits de base semi-finis qui avait signé un contrat commercial avec un fournisseur de Grande-Bretagne contenant une clause compromissoire qui donne attribution de compétence à un Centre d'arbitrage londonien. Les parties avaient convenu que c'est le droit anglais qui était applicable en cas de litige. Pour des raisons économiques et financières, l'entreprise marocaine s'est rétractée au cours de la phase d'exécution du contrat juste avant la date de livraison de la marchandise. Devant l'impossibilité de l'entreprise marocaine d'honorer ses engagements, le fournisseur anglais a eu recours à l'arbitrage institutionnel de la Cour londonienne conformément à la clause compromissoire. La Cour d'arbitrage a procédé à la convocation régulière de la partie marocaine qui a refusé de se constituer en qualité de défendeur, avançant que le contrat dont se prévalait le demandeur anglais n'a jamais été accepté ni signé par elle-même et que, de ce fait, le tribunal ne pouvait statuer sur un contrat sans cause ni objet et donc en l'absence de clause compromissoire établie devant consacrer l'incompétence dudit tribunal arbitral. Le tribunal londonien a rendu trois sentences. Il a décidé de reconnaître l'existence de relations commerciales et de la validité du contrat commercial qui stipule une clause compromissoire donnant compétence au tribunal arbitral. Le tribunal arbitral a également calculé et ordonné le paiement des indemnisations et du manque à gagner dus à la partie anglaise et le paiement des frais de la procédure d'arbitrage par la partie marocaine. Vu cette décision, la partie britannique a demandé l'exequatur de la sentence arbitrale en produisant l'original desdites sentences dûment traduites en langue arabe et de l'ensemble des documents authentiques requis pour autoriser le tribunal marocain à statuer sur la demande. La partie marocaine a maintenu les moyens sur lesquels elle a construit sa défense pendant la procédure d'arbitrage et au cours de la procédure d'exequatur, arguant de l'absence d'un contrat écrit et de ce fait l'absence d'une clause compromissoire ; ce qui écarterait l'application de la Convention de New York du 10 juin 1958 qui ne peut s'appliquer que pour des sentences arbitrales étrangères valablement rendues et conformes aux règles de droit public marocain. Le tribunal de commerce de Casablanca a finalement rendu un jugement d'exequatur des trois sentences arbitrales étrangères. Une «erreur de débutant», selon les spécialistes... [tabs][tab title ="Affaire Ynna Asment/Fives FCB, un cas d'école"]L'affaire Ynna Asment/Fives FCB caractérise à elle seule le manque de préparation des entreprises marocaines à l'arbitrage international. Tout commence en juillet 2008, quand Ynna Asment, filiale du groupe Ynna Holding, a signé avec un prestataire français, Fives FCB, un contrat portant sur la réalisation d'une unité de production de ciment d'une capacité de production d'environ 2millions de tonnes par an à livrer clés en main dans la région de Settat. Fives FCB reproche à Ynna Asment d'avoir retiré sans préavis un cautionnement de plus de 13 millions d'euros qu'Ynna Holding a refusé de payer. Fives FCB se sentant lésée, demande réparation au tribunal arbitral de Genève qui a prononcé une sentence arbitrale en sa faveur. Ynna Asment a été condamnée à payer solidairement avec sa société mère la somme de 19,5 millions d'euros. La Cour d'appel commerciale de Casablanca saisie par l'appel de Ynna Asment ordonne l'exequatur et la reconnaissance de la sentence arbitrable. L'exécution est toujours en suspens.[/tab][/tabs]