Mis en ligne le 1er avril, l'avant-projet du code pénal oppose encore défenseurs des libertés individuelles et gouvernement. Ramid se dit ouvert à quelques amendements. L'avant-projet du nouveau code pénal, mis en ligne sur le site du ministère de la justice et des libertés depuis le 1er avril dernier, défraye la chronique. Le code actuel en vigueur depuis plus d'un demi-siècle, malgré plusieurs amendements subis, a pris des rides. Il va sans dire qu'un nouveau code s'impose, qui soit en phase avec les transformations sociales, politiques et juridiques que connaît le Maroc actuel, et qui soit adapté à de nouveaux crimes liés aux nouvelles technologies de l'information et de communication. Il y a aussi la Constitution de 2011, qui se réfère franchement aux conventions internationales ratifiées par le Maroc. Mais jusqu'à quel point l'avant-projet du code pénal répond-il vraiment à ces nouvelles donnes ? S'agirait-il d'un remake du code actuel, englué dans un conservatisme à peine voilé par quelques dispositions qui ne changent pas, au fond, la philosophie répressive et liberticide qui a été celle des rédacteurs du code des années 1960 du siècle dernier ? Ceux qui sont contre cet avant-projet, concernant notamment quelques articles jugés attentatoires aux libertés individuelles et «contraires à la lettre et à l'esprit de la Constitution», n'y vont pas de main morte, ils créent une page face book, avec le hashtag : le code pénal ne passera pas. Ils tirent à boulets rouges sur le ministre de la justice et des libertés, Mustapha Ramid. La page a totalisé à ce jour quelque 11 000 signatures. Mais rien n'est encore définitif. Lundi 20 avril, lors d'une conférence nationale sur cet avant-projet, M. Ramid fait le point. Le dialogue «est toujours ouvert» et le texte «n'est qu'un avant-projet qui comporte le positif et le négatif», avait-il expliqué. Et de rappeler, qu'en tout cas, l'avant-projet devrait être amélioré. Sauf sur trois points, tranche le ministre, qui ne subiront aucune modification puisqu'ils touchent le fond même de l'ordre public et «les valeurs de l'Etat musulman marocain». Il s'agit des relations sexuelles hors mariage, de la rupture du jeûne en public pendant Ramadan et de la peine de mort. Criminalisation de fraude et de triche aux examens Force est de constater qu'à part ces quelques dispositions qui criminalisent l'exercice de quelques libertés individuelles (homosexualité, relations sexuelles hors mariage, rupture du jeûne au Ramadan en public…) stigmatisées par une frange de la société civile, il y a tout de même des avancées notables, rappellent quelques juristes (voir entretien), qui tranchent avec la mentalité machiste du code actuel et qui bafouent quelques règles élémentaires des droits humains. Quelques exemples. L'instauration des peines alternatives (article 35): au lieu de la prison, le projet prévoit les travaux d'intérêt général ou le paiement d'amendes. Le CNDH, les ONG de défense des droits de l'homme, mais aussi la Charte de réforme de la justice, ont tous recommandé cette mesure pour désengorger les prisons et éviter l'incarcération à outrance. Deuxième exemple : la criminalisation en cas de fraude et de triche aux examens et pour l'accès aux concours de la fonction publique…L'avant-projet consacre plusieurs paragraphes dans son article 391 à cette question de triche et de fraude, et les peines peuvent aller de deux mois à cinq ans d'emprisonnement. Troisième exemple, la criminalisation de toute discrimination dans l'exercice des droits de l'homme et des libertés, aussi bien dans le domaine politique, économique, social que culturel (article 431). Discrimination basée «sur la nationalité, l'origine sociale, la couleur, le sexe, la langue, le handicap…». La criminalisation aussi (c'est tout à fait nouveau dans le projet) de la haine contre des personnes, à cause de leur sexe, leur couleur ou leur appartenance à une religion. Les peines peuvent aller d'un mois à deux ans de prison, et d'une amende de 5 000 à 50 000 DH. Ces peines sont encore plus lourdes lorsque cette haine et cette discrimination sont manifestées dans des espaces publics (par des tracts, des écrits, des discours…). Quatrième exemple, et qui est de nature à ravir les féministes: l'article 444 de l'avant-projet incrimine toute diffamation ou injure publique à l'encontre d'une femme en raison de son sexe. La peine va d'un mois à deux ans de prison, et une amende de 5000 à 50 000 DH. Autre exemple : la criminalisation du harcèlement sexuel, la drague et toute allusion dans ce domaine dans les lieux publics. Elle existait déjà dans le code en cours, mais les sanctions ont été plus précisées et aggravées. La drague dans l'espace public et les allusions sexuelles dans la rue sont sévèrement punies dans cette mouture. L'avant-projet contient encore d'autres dispositions nouvelles, très en avance par rapport au code actuel : l'aggravation de peines pour les crimes d'enlèvements et de séquestration, la lourde criminalisation du génocide, de la traite des êtres humains et de l'utilisation des enfants dans la mendicité… Sur 31 articles qui prévoyaient la peine de mort dans l'actuel code, il n'en reste plus que 8 dans l'avant-projet Maintenant, au tour du revers de la médaille. Les tenants de l'élargissement des libertés individuelles sont déçus par ce projet de code pénal. Déjà échaudés en 2011 par la non-inscription dans la loi fondamentale de la liberté de conscience, comme en Tunisie, les défenseurs des libertés individuelles s'attendaient à un rattrapage dans ce code pénal. A des avancées auxquelles la Constitution actuelle ouvre la voie, laquelle, rappelons-le, a donné plus de droits aux individus, plus de place à la citoyenneté et à la liberté de pensée. C'est un archaïsme pour eux que de continuer à pénaliser les relations sexuelles hors mariage entre adultes consentants (article 490), alors qu'il est largement pratiqué dans la société marocaine. «Si l'on veut appliquer cette disposition à la lettre, tous les jeunes iraient en prison», raillent certaines voix. Comme l'explique Abderrazak Moussaïd, sexologue, «nous vivons dans une société qui n'est plus traditionnelle. Dans les grandes villes surtout, la pratique du sexe hors mariage est courante. Le pouvoir politique n'est plus aussi répressif à son égard». Pour beaucoup, «c'est absurde et irréaliste» cette disposition d'envoyer des gens en prison à cause d'une relation sexuelle hors mariage. Le sociologue Abdessamad Dialmy soutient l'idée que le Maroc «est en pleine transition sexuelle, qu'une relation sexuelle entre deux personnes adultes consentantes doit être dépénalisée, voire protégée par la loi». La deuxième liberté individuelle foulée aux pieds, selon les tenants d'un code pénal plus libéral, est d'envoyer en prison les gens qui ne respectent pas le jeûne en public pendant Ramadan. Mais la disposition de cet avant-projet qui a le plus déçu les «modernistes» est celle qui stipule encore la peine de mort. Certes, dans l'article 16, les rédacteurs de ce texte ont subordonné cette peine capitale à des cas extrêmement limités. Sur 31 articles qui prévoyaient la peine de mort dans l'actuel code, il n'en reste plus que 8 dans l'avant-projet. Et la peine ne peut être prononcée qu'à l'unanimité des magistrats (au lieu de la majorité dans l'actuel code). Les partisans de l'abolition de la peine de mort ne voient pas les choses de cette manière. Pour eux, la peine de mort est en soi «un anachronisme». C'est une atteinte au droit à la vie, comme le stipule l'article 20 de la Constitution de 2011, et au droit de ne pas être soumis à des peines ou à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, consacrés par les articles trois et cinq de la Déclaration universelle des droits de l'Homme. Cette éternelle opposition de point de vue entre abolitionnistes et défenseurs de la peine de mort, d'autres sociétés à travers le monde l'ont vécue. Les abolitionnistes marocains font leur la célèbre phrase de Robert Badinter, Garde des sceaux en France, à l'Assemblée nationale en 1981 au moment du vote de la loi abolissant la peine capitale : «A la barbarie du crime ne doit pas répondre la "barbarie" du châtiment. Cette justice d'élimination, cette justice d'angoisse et de mort, décidée avec sa marge de hasard», les abolitionnistes marocains la refusent. Parce que, pour eux aussi, «elle est l'anti-justice, parce qu'elle est la passion et la peur triomphant de la raison et de l'humanité». Mais, sur toutes les libertés individuelles en question ici, et sur la peine de mort, si l'avant-projet reste timide, il n'y a pas de place à l'étonnement. Si c'est le PJD, parti islamiste au gouvernement qui le fait aujourd'hui, et il est cohérent avec lui-même, d'autres partis non islamistes n'ont pas fait mieux quand ils étaient au gouvernement et détenaient la Primature. Comme le dit si bien l'écrivain Mohamed Naji : «Notre société ne veut pas se regarder en face…Chacun préfère soustraire sa sexualité au regard des autres, faire ça dans l'obscurité. Chacun préfère ne pas jeûner en cachette pendant Ramadan. Mais quand il s'agit de discours, on y va : Ramid à la lanterne ! Ceux qui demandent à Ramid de telles mesures ne sont pas rationnels. Politiquement il a raison, il est cohérent avec lui-même et avec ses électeurs».