Les dépenses de fonctionnement en recul de 2,3%, tirées à la baisse par la diminution des charges de compensation. Le budget d'investissement en hausse de 9,3%, à 54 milliards de DH. Les charges de la dette augmentent de 18,7% à plus de 68 milliards de DH, dont 41,5 milliards en principal et 26,5 milliards en intérêts. Le projet de Loi de finances pour 2015, présenté lundi 20 octobre devant le Parlement, traduit de façon encore plus évidente que les années précédentes le souci de l'Exécutif de réduire les déséquilibres macroéconomiques, auxquels le pays est confronté depuis 2008. Pour autant, ce n'est pas vraiment une politique de rigueur, entendue au sens de l'austérité, qui est ainsi proposée aux parlementaires, mais ce n'est plus celle de la dépense à tout-va, non plus. Il y a dans ce budget une volonté d'équilibre : couper dans les dépenses jugées improductives, et, dans le même temps, maintenir voire augmenter celles qui soutiennent la croissance, comme le budget d'investissement, ou favorisent les créations d'emplois, comme les mesures en faveur de l'entreprise. Celle-ci semble d'ailleurs être placée, dans cette Loi de finances, au centre du jeu (économique), partant de l'idée que c'est elle qui crée les richesses (voir ci-dessous). Est-ce au détriment du salarié ? Il n'y a en tout cas rien de prévu pour ce dernier. Cela confirmerait le constat fait ici même (voir La Vie éco du 10 au 16 octobre 2014) d'une inflexion du modèle de croissance dans lequel la demande extérieure serait privilégiée par rapport à la demande intérieure, notamment dans sa composante consommation. Mais c'est une orientation qui se comprend, vu le niveau du déficit externe atteint ces dernières années.Les chiffres du projet de Loi de finances, même si l'on suppose qu'ils subiront quelques modifications, sans doute légères, au Parlement, donnent le ton de cette orientation. En effet, même si les dépenses du Budget général sont en hausse de 3,5%, à 316,9 milliards de DH par rapport à 2014, dans le détail on s'aperçoit que celles dédiées au fonctionnement, traditionnellement les plus critiquées, sont en baisse de 2,3%, à 194,8 milliards de DH. C'est une économie de 4,6 milliards réalisée sur ce chapitre. Ceci est le résultat grosso modo d'une augmentation des dépenses de personnel de 1,74%, à 105,5 milliards de DH, des crédits de matériel et dépenses diverses de 8,6% à 33,6 milliards de DH, d'un côté, et d'une baisse des charges communes-fonctionnement de 15,2%, à 52,6 milliards de DH.La hausse de l'enveloppe budgétaire destinée au paiement des salaires peut s'expliquer principalement par l'augmentation du nombre de personnel qui sera recruté dans la fonction publique en 2015 : 22 460 contre 17 975 en 2014. Les revalorisations des traitements dans le cadre de l'évolution normale des carrières y contribuera aussi. Pour autant, le poids de la masse salariale dans le PIB n'augmentera pas, il baissera même à 10,80% contre 10,89% en 2014, selon l'estimation du gouvernement. Encore faudra-t-il que sa prévision de croissance (+4,4%) se réalise ! En revanche, on ne connaît pas les raisons de la hausse des dépenses de matériel et autres, alors que c'est précisément sur cette rubrique que le gouvernement avait prévu de concentrer les plus gros efforts d'économie. Tout au début de son mandat, il avait en effet prévu de limiter au strict minimum les dépenses liées à l'achat et à la location des voitures ; de réduire de 50% les dépenses d'hébergement, de restauration, de réceptions, d'organisation des conférences et de réalisation des études ; de ne plus programmer la construction de nouveaux bâtiments administratifs et de nouveaux logements de fonction, etc. Il fallait, disait-on, réduire au strict nécessaire le train de vie de l'Etat. Cela dit, dans cette rubrique, il y a aussi les subventions allouées aux établissements publics et aux services de l'Etat gérés de manière autonome (les SEGMA) qui en constituent la deuxième composante.Sans surprise –compte tenu de la politique annoncée et mise en œuvre–, ce sont les charges communes-fonctionnement, dans lesquelles sont logées les dépenses de compensation, qui ont baissé de façon significative. Et c'est en réalité cette baisse qui a tiré vers le bas les dépenses de fonctionnement. Selon le ministre de l'économie, Mohamed Boussaid, les charges de compensation pour 2015 sont estimées à près de 23 milliards de DH. Cette estimation est basée sur un prix moyen du baril de pétrole de 103 dollars et un taux de change de 8,60 dirhams pour un dollar. C'est une baisse importante, sachant qu'en 2014 les charges de compensation, hors arriérés, s'établiraient à 28 milliards selon les estimations des finances établies au mois de septembre, au lieu de 36 milliards en 2013 et de 48,4 milliards en 2012 (toujours hors arriérés). Les subventions sont donc sur un trend baissier, et le ministre des finances a annoncé devant les députés que le processus se poursuivra non seulement pour les produits pétroliers, mais aussi pour les produits alimentaires. Au total, les charges de compensation ne devraient représenter que quelque 2,3% du PIB en 2015, contre 5,5% en 2012. Cette économie sur les dépenses de compensation, c'est le Budget d'investissement qui en bénéficie : +9,3%, à 54,1 milliards de DH. En y ajoutant les dépenses d'investissement des établissements et entreprises publics, des collectivités locales, des SEGMA et des comptes spéciaux du Trésor, le total des investissements publics monte à 189 milliards de DH, au lieu de 186,6 milliards en 2014.Un coup de pouce supplémentaire à l'entrepriseEnfin, dernier chapitre de dépenses, les dépenses de la dette, c'est-à-dire le paiement des charges en principal et en intérêts : plus de 68 milliards de DH, contre 57,3 milliards en 2014, soit une hausse de 18,7%. Sur ce total, 59,86 milliards constituent les charges de la dette intérieure : 37,1 milliards en capital (+27,6%) et 22,8 milliards en intérêts et commissions (+10,63%). Le reste, soit 8,2 milliards de DH, ce sont les charges de la dette extérieure du Trésor : 4,4 milliards de DH en capital (+1,9%) et 3,8 milliards en intérêts et commissions (+13,1%). C'est une charge assez lourde, mais elle est liée bien entendu à l'importance du stock. Rappelons qu'à fin juin 2014, dernières statistiques disponibles, la dette du Trésor avait atteint 587,4 milliards de DH, dont 447,75 milliards pour la dette intérieure et 139,6 milliards pour la dette extérieure. Et c'est en raison justement de l'accroissement considérable de l'endettement du Trésor, conséquence des déficits budgétaires élevés de ces dernières années, que cette politique disons d'«orthodoxie budgétaire» est menée. Il ne faut pas s'étonner que la dette augmente lorsqu'on laisse filer le déficit budgétaire.Ces dépenses globales du Budget ne seront évidemment pas couvertes (sinon, nous serions en situation d'équilibre budgétaire) par les recettes prévues. Celles-ci sont estimées à 268,1 milliards de DH, en hausse de 2,2%. Elles seront portées en premier par les impôts directs (+6%, à 81,75 milliards de DH), principalement l'impôt sur les sociétés (+7,7%, à 39,7 milliards) et l'impôt sur le revenu (+4%, à 35,14 milliards de DH). Le deuxième poste de recettes du Budget général, ce sont les impôts indirects (+0,3%, à 80,84 milliards de DH), notamment la TVA à l'importation (+1,13%, à 33,8 milliards) et la TVA à l'intérieur pour quelque 22 milliards de DH.Suivant les hypothèses retenues d'une croissance de 4,4%, d'un prix moyen du baril de pétrole de 103 dollars et d'une tonne de gaz butane à 804 dollars, le déficit budgétaire est prévu à 4,3% du PIB, contre 4,9% estimé pour 2014. Tout indique pour l'instant que ces objectifs seront atteints. Pas vraiment en raison d'un surcroît de recettes, mais surtout par une compression des dépenses. La question peut se poser ici de savoir si, pour précisément améliorer les recettes de l'impôt sur le revenu par exemple, il ne serait pas opportun d'en réviser les taux, à la baisse bien entendu. Ce serait un moyen à la fois d'élargir l'assiette de cet impôt et de redonner du pouvoir d'achat aux salariés qui en supportent le fardeau. Et ce serait aussi un coup de pouce supplémentaire à l'entreprise qui, voyant ainsi ses charges baisser, pourrait recruter peut-être plus facilement qu'elle ne le fait aujourd'hui. Ce serait après tout logique : on veut faire de l'entreprise l'acteur majeur du retour de la croissance, un accompagnement de ce type paraît tout à fait indiqué. Une autre fois peut-être ?