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Régularisation des clandestins : un pas en avant mais beaucoup reste à faire
Publié dans La Vie éco le 19 - 06 - 2014

Lancée en janvier dernier, la campagne de régularisation des migrants en situation irrégulière court l'échec si des correctifs ne sont pas apportés.
Un bilan maigre: 1152 personnes régularisées sur 15 235 demandes de ressortissants appartenant à 95 nationalités.
Commencée en janvier 2014, l'opération de régularisation des migrants en situation irrégulière rencontre quelques difficultés. Ce qui est tout à fait normal compte tenu de l'importance et de la portée de ce pas franchi par le Maroc qui prend, encore une fois, l'initiative dans le domaine des droits et de la dignité humains. Selon nombre d'organisations dédiées à la défense des droits des immigrés au Maroc et quelques témoignages recueillis, l'opération est loin de satisfaire tout le monde, mais elle continuera, comme prévu, jusqu'en décembre prochain.
C'est vrai, un dispositif de 83 bureaux éparpillés sur 69 provinces et préfectures, avec 2 000 cadres ayant bénéficié d'une formation spéciale préalable, est mobilisé pour recevoir et traiter les demandes. Mais le bilan, six mois après le début de l'opération, est jugé en deçà des espérances. Les derniers chiffres donnés par Anis Birou, ministre chargé des Marocains résidant à l'étranger et des affaires de la migration, devant la Chambre des conseillers le 3 juin dernier, parlent de 15235 demandes émanant de ressortissants appartenant à 95 nationalités d'Afrique, d'Europe et d'Asie. Mais c'est le chiffre de 1 152 migrants ayant pu obtenir leur carte de séjour qui retient surtout l'attention: pas plus de 8% du total des demandes.
Avant d'analyser ce bilan de mi-parcours, rappelons le contexte de cette campagne, la première en son genre dans tout le Maghreb. Septembre 2013, le Conseil consultatif des droits de l'homme remet un rapport thématique à SM Mohammed VI sur la situation des réfugiés et des migrants où il appelle à «une politique d'asile et d'immigration radicalement nouvelle». Une politique migratoire qui soit en phase avec les engagements internationaux du pays en la matière et aux nouvelles dispositions constitutionnelles qui interdisent toute discrimination à l'égard des étrangers. Le Maroc, juge le CNDH, n'est plus un simple pays de transit, mais devient bel et bien un pays d'accueil.
Et pas seulement de Subsahariens mais aussi d'autres pays du monde. Le jour suivant, le Souverain tient une séance de travail sur le sujet. Deux mois plus tard, une politique d'intégration globale et intégrée est élaborée. En janvier 2014, a commencé, comme le recommande le CNDH, une campagne «exceptionnelle de régularisation de migrants en situation administrative irrégulière, selon des critères qui tiennent en compte la durée de séjour au Maroc, le droit de vivre en famille, les conditions d'insertion dans la société marocaine ainsi que les accords d'établissement conclus par le Royaume avec des pays amis».
Une commission adhoc est créée pour définir les critères. Seront régularisés, selon ces derniers, les étrangers conjoints de ressortissants marocains justifiant d'au moins 2 ans de vie commune, les étrangers conjoints d'autres étrangers en résidence régulière au Maroc et justifiant d'au moins 4 ans de vie commune, les enfants issus des deux cas susvisés, les étrangers disposant de contrats de travail effectifs d'au moins 2 ans, les étrangers justifiant de 5 ans de résidence continue au Maroc, et les étrangers atteints de maladies graves. Critères que beaucoup n'ont pu satisfaire, une minorité seulement a pu avoir les justificatifs nécessaires. Et, comme partout ailleurs en ce genre d'opération, il y a des recalés et il y a ceux qui ont réussi l'examen… En attendant la session de rattrapage: les recours.
Le mariage avec des Marocaines facilite l'obtention de la carte de séjour
Parmi les premiers heureux, il y a Abdullah Conate, un Guinéen de 28 ans, membre fondateur du Syndicat des travailleurs immigrés au Maroc. Il débarque à Rabat en novembre 2008, dans l'espoir de regagner l'Europe pour y faire une carrière de footballeur. Le ballon rond c'est sa passion. Son projet capote. Il se résigne à rester dans la capitale marocaine où il s'engage avec l'équipe du Stade Marocain. Mais pas pour longtemps, à cause d'une blessure, il quitte les terrains et ira travailler comme agent commercial dans une filiale américaine de distribution de produis médicaux et paramédicaux.
«On m'a engagé pour démarcher les clients avec mon seul passeport comme pièce d'identité et 3 100 DH comme salaire. Sans contrat de travail, je n'ai même pas pensé déposer une demande d'une carte de séjour. Voilà l'opération de régularisation qui démarre. J'ai pu justifier de ma présence au Maroc depuis 2008», indique le Guinéen. Sa demande est passée comme une lettre à la poste, il n'a pas eu de mal à décrocher des justificatifs de son séjour au Maroc depuis 2008. Mais il y a un facteur qui y a sérieusement contribué : ses fiançailles avec une Marocaine, salariée avec lui dans la même entreprise.
D'autres Subsahariens n'ont pas eu de chance et sont retournés bredouilles des bureaux qui traitent les dossiers. Non mariés à des Marocaines, bien qu'ils aient séjourné pour certains plus de dix ans au Maroc, ils ont eu toutes les peines du monde pour avoir ce sésame de justificatif. Ce que vivent nos compatriotes en Europe, les Subsahariens sont en train de l'expérimenter au Maroc. Des dizaines, voire des centaines, «ont convolé en justes noces avec des Marocaines», lâche Camara Laye, un autre Guinéen séjournant au Maroc depuis huit ans, coordinateur du Conseil des migrants subsahariens au Maroc (CMSM). Deux ans de mariage sont en effet suffisants pour avoir droit à une carte de séjour.
Si Abdullah Conate n'a pas eu de mal pour l'avoir, plusieurs autres Subsahariens sont rentrés bredouilles. Les critères imposés pour être éligibles à la régularisation sont jugés draconiens. Les officiers «sont très sévères, très exigeants quant aux justificatifs que les immigrés présentent.
Comment un étranger pourra-t-il justifier d'une présence continue de 5 ans au Maroc quand personne ne veut lui donner un document l'attestant ? Ni le patron chez qui il travaille, ni le bailleur de la maison où il loge. Alors que souvent ce dernier profite de l'irrégularité de la situation de ces immigrés pour imposer des prix exorbitants», se plaint Mehdi Alioua, sociologue et président du GADEM (Groupe antiraciste d'accompagnement et de défense des étrangers et migrants). Et d'ajouter que l'opération, révolutionnaire dans son principe, «finira en échec si les pouvoirs publics n'assouplissent pas les critères de régularisation». Et le chercheur attaché au Centre Jacques Berque de conclure: «C'est une honte pour un ministre de déclarer que seulement un millier de dossiers sur plus de 15 000 ont été validés».
En trois mois, l'Espagne a régularisé la situation de 700 000 clandestins sous Zapatero
Et de citer l'Espagne comme exemple d'un pays qui a réussi l'intégration de ses immigrés : en trois mois, sous Zapatero, le voisin espagnol a pu régulariser la situation de 700 000 clandestins.
Depuis quelque temps, le GADEM et la FIDH (Fédération internationale des droits de l'homme) pressent le gouvernement marocain à améliorer le programme des régularisations. Les deux ONG estiment, dans un communiqué, que «les critères sont appliqués d'une manière trop stricte, sans tenir compte de la difficulté d'obtention des justificatifs au Maroc».
Déjà, les Marocains jouissant de leur pleine citoyenneté se heurtent encore à des habitudes administratives retorses, que dire des immigrés en situation irrégulière ? Il y aurait même une sorte de discrimination dans le comportement de certains fonctionnaires en charge des dossiers, «une bonne partie des 1 152 personnes qui ont obtenu leur titre de séjour, est européenne. On sent des résistances à la nouvelle politique migratoire voulue par le Souverain lui-même, les agents habilités à étudier les dossiers sont en train, inconsciemment, de l'escamoter», s'insurge Mehdi Alioua.
Le Maroc rectifiera t-il le tir lors de l'étape des recours? Tout porte à le croire. «Le CNDH pèsera de tout son poids dans la commission des recours», avance, sûr de lui, M. Alioua. Mais une autre paire de manches attend le gouvernement : scolariser tout ce beau monde et lui assurer un minimum de soins médicaux, que ces personnes soient régularisées ou en voie de l'être.


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