2,3% des migrants qui ont déposé une demande de régularisation ont finalement obtenu une carte de résident, a révélé hier un séminaire sur l'intégration sociale des migrants. Le processus est encore long et rencontre plus d'une difficulté. Un chiffre a été révélé pendant le séminaire «Faciliter l'intégration sociale des migrants au Maroc», qui s'est tenu jeudi 20 mars à la bibliothèque nationale de Rabat : 13 000 dossiers de régularisation ont été déposés par des migrants en situation irrégulière. Parmi les candidats, seul 300 environ ont obtenu leur carte de résident. Le Maroc n'a donc pour l'instant répondu positivement qu'à 2,3% des demandes. Ce taux peut évoluer au cours des mois à venir, mais les associations de défense des droits des migrants relèvent de nombreuses défaillances dans le processus de régularisation entamé début janvier. Pour le moment, aucun demandeur qui s'est vu refuser sa demande de régularisation n'a pu demander à ce que la décision soit revue. «Nous avons fait des propositions allant dans le sens de la mise en place d'une commission de recours pour les immigrés qui se voient refuser la régularisation», a précisé, Driss El Yazami, secrétaire général du Conseil National des Droits de l'Homme (CNDH). Crainte de collecte d'informations pour le ministère de l'Intérieur La question du renouvellement des cartes de séjour commence aussi déjà à se poser. «Sur les cartes de résident offertes dans le cadre de la régularisation, «travail» est le motif inscrit. Nous sommes déjà en mars, qu'adviendra-t-il au moment du renouvellement de tous ceux qui ont été régularisés, mais n'ont pas pu trouver de travail ?», s'inquiète Franck Camara, membre du syndicat ODT Immigrés. Les migrants en situation administrative irrégulière craignent également de voir la régularisation transformée en une collecte d'informations destinée au ministère de l'Intérieur. «Lors du dépôt du dossier de demande de régularisation, les services de la wilaya demandent les empreintes. Les documents justifiant d'une présence de 5 ans au Maroc, vont dans un dossier et les empreintes directement dans un autre, on voit bien que les empreintes ne servent pas au dossier de régularisation», témoigne Eric William, membre de l'association de migrants Alecma - mais plutôt au fichage des migrants irréguliers, s'il fallait lire dans ses pensées. Propriétaires et patrons timorés L'étroitesse des critères de régularisation engendre des difficultés pour tous ceux qui n'ont pas les moyens de prouver légalement qu'ils résident au Maroc depuis 5 ans. «On a le témoignage de gens, ici, qui ont demandé une attestation légalisée auprès de leur propriétaire pour prouver qu'ils séjournent au Maroc depuis au moins 5 ans, sachant qu'il ne déclare pas sa location. La première réaction du propriétaire a été de les expulser», révèle Youssef Hajji, membre du collectif «Papiers pour tous». Les réactions sont similaires auprès des employeurs qui ont fait travailler des migrants irréguliers sans les déclarer pendant des années. «Nous avons rencontré les représentants de la CGEM dans ce sens, ils nous ont assuré qu'ils mettraient en œuvre une campagne en interne pour inciter les patrons à délivrer ces attestations. Nous essayons de notre côté de rassurer patrons et propriétaires, mais c'est un travail difficile», répond Mounchid Elmahdi, chargé du partenariat avec les associations, à la direction de l'immigration du ministère chargé des MRE et des Affaires de la Migration. Une difficulté nouvelle, que les associations et les migrants n'avaient pas envisagée, se présente également pour les couples mixtes. «Un couple composé d'un Subsaharien en situation irrégulière et d'une Marocaine m'ont rapporté que la personne en charge d'enregistrer les dossiers de régularisation à la wilaya leur avaient dit de ne pas revenir car le concubinage étant interdit, toutes les femmes marocaines qui se présenteraient en couple sans être mariées seraient arrêtées», a entendu Eric William. A géographie variable Dans le nord du Maroc et dans le sud, les migrants n'ont pas accès aux bureaux de la wilaya comme à Rabat et Casablanca. «A Dakhla, une seule personne a été régularisée alors que les travailleurs immigrés en situation irrégulières sont 300 dans l'agriculture, 400 dans la pêche !», s'indigne-t-il. «A Nador, beaucoup de personnes sont refoulées sans pouvoir déposer leur dossier de régularisation. Les circulaires ne sont pas traduites en français, alors que rares sont ceux qui lisent l'arabe», rapporte Eric William. Ceux qui vivent dans la forêt au dessus de Melilla ne peuvent pas descendre pour se rendre à la wilaya à cause du «cordon de militaires qui les arrêtent s'ils se présentent à la lisière», rappelle Eric William. Alors que les arrestations massives ont cessé depuis septembre à Casablanca et Rabat, elles semblent reprendre sous une autre forme. «On a reçu beaucoup de témoignages de migrants subsahariens qui sont arrêtés, retenus et condamnés au motif qu'ils avaient de l'alcool chez eux. On les accuse immédiatement de trafic alors qu'il s'agit seulement d'une consommation personnelle», rapporte Stéphane Julinet, responsable plaidoyer au Gadem. Des institutions écartelées Au nord, les arrestations se poursuivent. Les migrants sont emmenés en cars ou en estafettes à Rabat où ils sont relâchés. Ils sollicitent donc les associations. «L'Etat doit mettre en place un accompagnement humanitaire important dès aujourd'hui en attendant la mise en place des lois relatives à l'asile et à la migration. Il faut un accompagnement parce que les structures associatives comme Caritas qui y procèdent sont aujourd'hui totalement submergées», reconnaît Driss El Yazami. Les institutions marocaines sont visiblement écartelées entre d'une part le CNDH et le ministère des MRE et des Affaires de la Migration qui tentent de mettre en place une politique migratoire plus respectueuse des droits de l'homme et d'autre part le ministère de l'Intérieur qui reste obsédé par la volonté de faire baisser la pression migratoire sur les frontières de l'Union européennes. «On constate une vraie difficulté à mener une politique humanitaire d'ouverture, comme les régularisations dans un contexte sécuritaire. On n'y arrivera pas si on continue à rafler les gens, à ne pas respecter leurs droits même les plus basiques. Il faudrait un moratoire sur les rafles, alors qu'on sent qu'elles sont en train de revenir», conclut Mehdi Alioua, chercheur sociologue au Centre Jacques Berque, à Rabat, sur les migrations au Maroc et fondateur du Gadem.