Faute d'une réglementation, les tarifs sont fixés librement. Sur les boulevards très fréquentés, des gardiens demandent jusqu'à 400 DH par mois. Insultes, dégradation des véhicules, interdiction de stationner une prochaine fois…, ceux qui refusent de se plier au diktat essuient toutes sortes de vexations. «L'anarchie totale». Ce sont là des termes qu'aucun des automobilistes des grandes villes ne se sentirait gêner de prononcer quand il s'agit de décrire la gestion du stationnement. Bien entendu, il ne s'agit là ni des horodateurs ni de l'agencement des espaces dédiés au stationnement, mais plutôt de ces gardiens de voitures qui font la pluie et le beau temps dans les rues. Tarification, responsabilités en cas de casse, mauvais comportement…, les sujets de conflits entre automobilistes et gardiens de voitures ne manquent pas. Pour faire le point sur la situation, La Vie éco a mené son enquête à Casablanca et le constat est écœurant. Dans la pratique, le stationnement dans une zone hors horodateurs peut coûter jusqu'à 10 DH. Cela dépend du lieu de stationnement -parking dédié ou pas- et, surtout, du gardien! Rares en effet sont les gardiens, même en dehors des parkings, qui acceptent de prendre 2 DH. Pour marquer leur frustration, il y en a qui ne s'empêchent pas de proférer des insultes ou, pire, de s'en prendre à la voiture. On en est arrivé à cette situation du fait de l'imbroglio sur les prix. Si dans certaines villes, comme Agadir, les autorités locales ont pris l'initiative de placer des pancartes où sont inscrits le tarif de 2 DH dans plusieurs zones de stationnement, il n'en est pas de même à Casablanca. Du coup, ceux qui pensent que le prix est réglementé sont souvent surpris de ne pas avoir de moyen pour faire entendre raison à un gardien qui demande 3 ou 5 DH. Certains vont jusqu'à délivrer des tickets mentionnant le prix à payer, loin des 2 DH que d'aucuns pensent être le tarif réglementaire. Dans des cas encore plus cocasses, les gardiens se font payer au mois à des prix exorbitants. Dans les ruelles perpendiculaires au boulevard HassanII, fief des banques, les gardiens peuvent demander une redevance de 400 DH par mois, vu la rareté des places de stationnement dans cette zone. En fait, plusieurs sources parlent d'un arrêté ministériel datant d'avril 2004, fixant les tarifs à 2 DH le jour et 4 DH la nuit pour les voitures. Cependant, il est difficile de s'en assurer, tant ce fameux arrêté est introuvable ni auprès du Secrétariat général du gouvernement ni auprès des différentes sources contactées pour ce sujet. Un automobiliste qui souhaiterait donc faire valoir ce texte en cas de conflit avec un gardien sur le tarif peut déjà oublier cette idée. Néanmoins, il faut bien noter qu'auprès de certains Conseils des villes, les cahiers des charges (quand ils existent !) prévus dans le cadre de la procédure d'octroi des autorisations y mentionnent le tarif à appliquer. Mais ce cas ne s'applique que pour l'exploitation des parkings sis sur des terrains appartenant à la ville. C'est dire que même d'un point de vue réglementaire il y a de quoi créer la confusion, une situation qui ouvre la porte à tous les abus. Des faux gardiens à profusion Au-delà des tarifs, d'autres questions peuvent également faire l'objet de conflits entre les gardiens et les automobilistes. C'est notamment le cas de la légitimité même de la personne qui se présente comme gardien. Plusieurs d'entre eux, et ce n'est un secret pour personne, se passent des autorisations légales prévues à cet effet. Ce cas de figure, La Vie éco l'a constaté dans plusieurs zones de la ville : Quartier des hôpitaux, Derb Ghallef, Bourgogne, Racine… Après renseignement auprès des intéressés, il s'avère que ce sont souvent des gens du quartier qui profitent de leur notoriété auprès des habitants ou des mokaddems, ou parfois de la crainte qu'ils inspirent pour exercer en toute tranquillité. Mais cette pratique n'est pas sans risque, si l'on en croit notre source auprès de la Sûreté nationale. «La loi interdit la pratique du gardiennage et du lavage de voitures sans autorisation. Il nous arrive d'arrêter des mis en cause pour les présenter à la justice», explique-t-on. En fait, cette situation ne se présente pas aussi souvent que cela. Selon nos informations, ceci intervient, soit quand il y a des plaintes visant le gardien en question, ce qui pousse la police à intervenir pour vérifier la légalité de son métier, soit lors des campagnes contre la mendicité (également interdite par la loi), les essuyeurs de glace au niveau des feux de signalisation, les clochards… Comment alors distinguer un vrai gardien d'un faux ? La réponse des autorités est toute simple. D'abord, pour les zones à horodateurs, il faut savoir qu'aucune autorisation n'est octroyée à des particuliers et que tous ceux qui demandent d'être payés sont dans l'illégalité. Ensuite, il y a le macaron. L'autorisation d'exercer est en effet accompagnée d'un badge qui permet à un automobiliste de reconnaître la légitimité du gardien. Sauf que dans plusieurs cas, même les gardiens en règle n'en portent pas. L'alternative dans ce cas est de ne pas payer, tout simplement, avec les risques que cela suppose : agression, impossibilité de pouvoir stationner plus tard si le gardien vous reconnaît, détérioration de la voiture… C'est là tout le dilemme auquel sont confrontés les citoyens, car même quand ils opèrent dans la légalité, aucun texte réglementaire ne rend responsables les gardiens sur les dégâts subis par un véhicule en stationnement. Du coup, plusieurs préfèrent payer pour éviter les tracas. Interrogé sur cette problématique, un agent de police explique qu'«il suffit tout simplement de porter plainte et laisser la justice décider, chose à laquelle notre société n'est pas forcément habituée». Il faut également reconnaître que les procédures ont de quoi rebuter plus d'un. Du coup, les individus en blouse bleue ou en gilet fluorescent sont en position de force devant des automobilistes impuissants. Les autorisations sont souvent mises en location Le président d'une commune dans le Grand Casablanca insiste toutefois sur le fait qu'une distinction s'impose quand il s'agit des autorisations. «Il y a des autorisations qui sont accordées pour l'exploitation de parkings appartenant à la commune, et les autorisations d'exercer le gardiennage dans les rues et les boulevards», affirme-t-il. Il faut noter que pour la première catégorie, la procédure légale voudrait qu'un appel à manifestation d'intérêt soit lancé, suite auquel une enchère est organisée. L'autorisation est alors octroyée à la meilleure offre de prix. Pour la deuxième catégorie, l'intéressé doit déposer sa demande auprès des services communaux ou de l'arrondissement concerné. Dès lors, une enquête est censée être diligentée par les services de police, une autre par le mokaddem du quartier. «L'octroi de ce genre d'autorisations répond d'abord à des considérations sociales», ajoute notre source. En fait, il s'agit de s'assurer que le prétendant à l'autorisation de gardiennage est dans une situation précaire et qu'il est digne de confiance. La redevance annuelle dont devra s'acquitter le gardien est alors calculée en fonction du nombre de voitures que peut accueillir la zone définie. Cette redevance serait comprise entre 3 000 DH et 4 000 DH par an en moyenne, soit entre 8 DH et 11 DH par jour. Elle est en principe totalement reversée à la ville, ce qui peut lui rapporter entre 7 et 10 MDH par an, selon des sources au sein du Conseil de la ville de Casablanca. Ceci dit, une grande partie des autorisations en circulation dans la métropole est gérée par des intermédiaires. «Je paie 60 DH par jour aux propriétaires de la licence», confie un gardien de voitures exerçant dans une ruelle dans le quartier Racine. Pour contourner la réglementation, ces intermédiaires ont souvent recours à des «prête-noms» afin de disposer de plusieurs autorisations qu'ils reloueront plus tard à des prix jusqu'à dix fois supérieurs à la redevance versée aux communes. «Le prix, on nous le fixe selon la fréquentation de l'endroit et, surtout, la durée de passage des clients», ajoute le même gardien. En fait, dans les zones proches des marchés, snacks et autres, les automobilistes dépassent rarement une heure de stationnement. La location de l'autorisation y est généralement plus chère. Du coup, le gardien fait passer tout le monde à la caisse, même ceux qui stationnent en deuxième position ou restent dans leur voiture le temps que leur passager fasse rapidement une course. Dans les rues de Casablanca, l'anarchie est donc devenue une normalité, sans que personne ne bronche.