Le processus de fusion du PT et du PS dans l'USFP est un début pour un projet de rassemblement de la gauche. Le PJD, tout comme le courant d'Ahmed Zaidi, se sentent directement visés par cette annonce précipitée. Du point de vue électoral, l'USFP ne gagne rien dans ce projet. Le poids politique du PT et du PS est insignifiant. Alors que la crise de la majorité battait son plein, les socialistes opportaient les dernières retouches à un projet dont l'annonce aurait été plus percutante en d'autres circonstances. La nouvelle direction de l'USFP, Driss Lachgar, premier secrétaire d'un côté et Habib El Malki, président de la commission administrative de l'autre, annonçaient, non sans fierté, mercredi 22 mai, l'aboutissement d'un projet en gestation depuis plusieurs semaines. Le projet de réintégration de deux petits partis, le Parti travailliste (PT) et le Parti socialiste (PS), dans l'USFP. Pour le moment, «l'événement politique majeur», comme il plaît aux socialistes de le qualifier, n'est qu'au stade de projet. «Un processus d'intégration», pour être plus précis, initié par les secrétaires généraux des trois formations, Driss Lachgar pour l'USFP, Abdelkarim Benatiq pour le PT et Abdelmajid Bouzoubaâ pour le PS. «Il faut qu'on se le dise tout de suite, ce n'est pas un effet d'annonce comme certains se sont empressés de commenter cet événement. C'est une décision on ne peut plus sérieuse», précise un membre de la commission administrative, proche de Driss Lachgar. Ce n'est pas non plus, en tout cas pas encore, une réalité. Ce n'est donc que le début d'un processus qui risque de prendre plusieurs mois. Les instances décisionnelles des trois partis devraient, en effet, se réunir, pour entériner cette démarche fusionnelle. Théoriquement, la commission administrative de l'USFP devrait se réunir pour approuver l'intégration des militants et dirigeants des deux autres formations. Pour leur part, le PT et le PS devraient se réunir en congrès extraordinaire pour décider de leur autodissolution et, ensuite, d'une opération d'adhésion massive à l'USFP. Ce dernier n'en est d'ailleurs pas à sa première expérience du genre. Il est déjà passé par là. Début 2006, sa fusion avec le PSD a entraîné l'élargissement de son bureau politique à trois nouveaux membres et de son conseil national à 70 nouveaux venus issus du PSD. Six ans et deux congrès plus tard, les «anciens du PSD» sont complètement intégrés dans les différentes instances du parti. Les choses sérieuses vont commencer D'anciens cadres PSD sont même devenus stratèges et nouveaux idéologues de l'USFP, certains ont d'ailleurs été la cheville ouvrière de cette dernière initiative d'intégration du PT et du PS. Dans les faits, les décideurs des trois formations devraient trancher plusieurs questions épineuses : Quel quota faut-il fixer pour incorporer les dirigeants des deux petites formations dans le bureau politique et la commission administrative de l'USFP ? A combien de sièges faut-il élargir le bureau politique de l'USFP pour recevoir les nouvelles recrues ? Comment répartir les sièges électoraux entre les militants des trois partis, au moment des élections. Tous ces détails devraient être abordés lors des réunions marathoniennes que les dirigeants des trois formations ne manqueraient pas de tenir en perspective de l'étape finale. Inutile de parler idéologie puisque la scission des deux formations, le PT directement et le PS indirectement, n'a jamais été motivée par un quelconque désaccord sur le plan idéologique. Les départs de Abdelkarim Benatiq de l'USFP et d'Abdelmajid Bouzoubaâ du CNI, lui-même né d'une scission de l'USFP, étaient plutôt liés à des motivations d'ordre personnel et à ce qu'on peut qualifier d'incompatibilité d'humeur. Il faut dire que la situation que traversait l'USFP en cette période était derrière bien d'autres départs. Le parti n'a jamais subi autant de scissions depuis sa création, en 1975, que durant ses 13 années au gouvernement (1998-2011). La seule autre scission date du début des années 80, lorsque les membres de la commission administrative de l'époque ont claqué la porte du parti pour aller créer, quelques années plus tard, l'actuel PADS. Pendant tout ce temps, le projet, utopique pour certains, de réunification de la grande famille ittihadie et de la gauche dans sa globalité (soit une dizaine de partis politiques, sans compter la défunte UNFP), n'a jamais cessé de faire partie du débat public. Certaines expériences ont même été tentées, mais n'ont jamais pu aboutir. Tout, ou presque, n'est que calculs politiques Pourquoi alors ce n'est qu'aujourd'hui précisément qu'un projet vieux de plusieurs années arrive enfin à voir le jour ? En guise de réponse, chacun y va de sa lecture. Dans l'entourage de Driss Lachgar, on insiste sur le fait que c'est l'une des recommandations du dernier congrès et un engagement électoral du nouveau premier secrétaire. Cela d'autant que cette initiative cadre très bien avec les nouveaux choix des socialistes, du moins une grande partie d'entre eux, de monter un front d'opposition au projet de société du clan conservateur qui dirige le gouvernement. En d'autres termes, et pour reprendre les paroles de Driss Lachgar, il s'agit de faire face aux «forces rétrogrades qui mettent en danger tous les acquis constitutionnels, politiques et culturels et risquent d'entraîner le pays dans une crise structurelle totale». Derrière ces considérations idéologiques, ce coup de maître n'a pas laissé indifférent, au sein même de l'USFP. Les amis d'Ahmed Zaidi, qui selon toute vraisemblance sont en train de faire au premier secrétaire un enfant dans le dos, ont vite fait de réagir. L'intégration de deux anciens alliés du PAM dans le cadre du G8 n'a rien d'innocent, affirme-t-on auprès de ce courant, baptisé «Ouverture et démocratie» qui s'active actuellement à mettre en place des coordinations régionales, une coordination pour les femmes et une autre pour les jeunes, soit pour ainsi dire l'infrastructure d'un nouveau parti politique. «Ils appréhendent cette initiative avec la plus grande suspicion, comme d'ailleurs tout ce qui vient de la nouvelle direction du parti», affirme un proche de Driss Lachgar, membre de la commission administrative. Certains y voient déjà une tentative de renforcement des rangs du clan de l'actuel premier secrétaire par des «éléments externes». Les deux partis, le PT et le PS, feraient office, en ce sens, d'un réservoir de cadres et d'élites électorales dans lequel puiserait la nouvelle direction du parti au cas où les amis de Zaidi devenaient indésirables ou s'ils venaient à quitter le parti. Autrement dit, c'est désormais une question existentielle pour le clan Zaidi. Et ce, dans la mesure où, au moment des élections, c'est la direction du parti qui décidera des accréditations et donc de qui représentera l'USFP dans les institutions élues. Ce qui revient, à terme, à priver Ahmed Zaidi et les siens de leur force de frappe : le groupe parlementaire. En dehors du parti, l'initiative n'est pas non plus passée pour anodine. La gauche en est convaincue, depuis longtemps, si union il y a, elle ne sera pas décidée d'en haut. Pour lui donner toutes les chances de réussir, elle doit être une émanation des bases des partis concernés. Ce qui jette du doute sur cette décision de fusion prise, en premier, par les directions des trois partis. Le PJD non plus ne voit pas d'un bon œil cette initiative. «Comment se fait-il que soit annoncée une unification de la grande famille ittihadie avec une telle facilité alors que la petite famille usfpéiste n'a pas encore fini de panser les plaies du dernier congrès ?», s'interroge le quotidien Attajdid, quotidien arabophone très proche du parti islamiste. Le PJD se sent d'autant plus visé par cette initiative que deux de ses initiateurs faisaient partie, avant les élections de novembre 2011, du fameux G8. Elle intervient également alors que l'USFP, formation que le même PJD souhaitait avoir avec lui au gouvernement dans une concrétisation de la Koutla historique, lui a non seulement tourné le dos, mais déclaré une guerre frontale qui s'est accentuée avec l'accession de Driss Lachgar aux commandes. Il faut dire que ce projet de fusion intervient également dans un contexte régional très particulier. Une conjoncture caractérisée par le retour en force de la gauche et des forces démocratiques et progressistes en général, dans les pays qui ont connu des troubles sociaux, l'ascension des islamistes et leur accession au pouvoir, en l'occurrence l'Egypte et la Tunisie. Tout le monde y trouve son compte Pour revenir au plan interne, cette annonce de fusion aura certainement des retombées positives pour tout le monde. C'est une évidence, vu la taille des deux partis : il ne faut pas s'attendre à un retour en éclat de l'USFP sur la scène politique. Le PT ne compte actuellement que quatre sièges à la première Chambre. Le PS, lui, n'y est même pas représenté. Pourtant, lors de sa création, le PT voulait surtout fédérer un groupe de militants et cadres de l'USFP qui ne se retrouvaient plus dans ce parti. On y retrouva alors des syndicalistes, Abdelkarim Benatiq ayant été lui-même leader du syndicat des banques affilié à la CDT, des acteurs de la société civile et des acteurs économiques tous réunis autour d'un projet vaguement socialiste avec comme objectif de réconcilier les citoyens, les jeunes en particulier, avec la chose politique et surtout avec le processus électoral. C'était à la veille des élections de 2007. Aujourd'hui, un peu plus de cinq ans plus tard, le PT a largement revu à la baisse ses ambitions. Il n'a pu mobiliser que près de 136 000 électeurs qui lui ont donné quatre sièges lors des dernières élections législatives anticipées de novembre 2011. Le Parti travailliste a pu quand même couvrir 60 circonscriptions sur 92, soit 65% contre 42 pour le Parti socialiste. Sur le plan local, les performances des deux partis ne sont pas plus brillantes. Les listes du PT n'ont séduit qu'un peu plus de 70 000 votants aux élections communales de juin 2009, ce qui lui a permis de glaner quelque 288 sièges. Les quelque 21 000 électeurs du PS ne lui ont permis, lui, de décrocher que 81 sièges dans les différentes assemblées communales du pays. C'est dire que sur le plan quantitatif, cette fusion n'apportera pas grand-chose à l'USFP. Pour le PT et le PS, c'est peut-être la seule issue de secours dans un contexte où l'électorat a tendance à faire le tri dans la classe politique. Pour une lecture plus claire de la scène politique C'est une tendance qui s'est confirmée au cours des deux derniers scrutins : seuls huit partis politiques sortent du lot en remportant à chaque fois plus de 90% des sièges à pourvoir. Quant aux petites formations dont la plus «performante», n'a pu remporter que quatre sièges aux élections de novembre 2011, elles ne semblent pas avoir beaucoup le choix : soit elles fusionnent, soit elles disparaissent à terme… La nouvelle loi sur les partis, l'interdiction constitutionnelle de la transhumance des élus et la toute récente création d'une entité chargée de contrôler les finances des partis au sein de la Cour des comptes viennent, en plus, sonner le glas des petites formations. Rejoindre l'USFP en ces moments précis semble donc une issue salvatrice pour les deux formations. Elles ne sont pas les seules d'ailleurs. Le CNI, une émanation lui aussi de l'USFP, est également pressenti pour leur emboîter le pas. «Les négociations sont en cours», confirme un membre de la commission administrative de l'USFP. Cela même si ce bras politique de la CDT est actuellement impliqué dans une alliance avec le PADS et le PSU. Cependant, tout n'est pas que calculs politiques. En effet, il y aura toujours cela de positif en cette fusion, si elle aboutit, que le champ politique en sera plus ramassé, la carte politique plus lisible et moins balkanisée, mais ce n'est pas tout. De même, pour les plus optimistes, cette initiative aura le mérite d'animer encore plus une scène politique déjà en effervescence à cause du conflit qui oppose actuellement les deux principales composantes de la majorité, le PJD et l'Istiqlal. Par ailleurs, «c'est un pas qualitatif sur le chemin de la réunification de la famille de gauche et de la création du tant espéré grand pôle de la gauche», estime cet analyste politique. Il est vrai que notre époque ne peut pas produire de manière mécanique le bloc de gauche des années 70 et 80 qui a donné naissance, avec l'Istiqlal, à la Koutla démocratique, partie prenante de toutes les réformes politiques qu'a connues le Maroc pendant ces deux dernières décennies. Mais cette fusion du PT et du PS dans l'USFP est en soi fondatrice d'une nouvelle étape qui est la reconstruction d'un front démocratique et progressiste. C'est aussi, et ses trois initiateurs ont beaucoup insisté sur ce point, un retour aux valeurs dans la pratique politique largement dominée aujourd'hui par le discours populiste. Pour ceux qui veulent verser dans le symbolisme, cet évènement fait, enfin et aussi, l'effet d'un mini-séisme sur la scène partisane, pour ne pas dire politique. Qu'on l'approuve ou que l'on soit contre, cette annonce, quelles que soient ses motivations, vient confirmer que l'union de la gauche n'est, après tout, pas une utopie ou une chimère. C'est une possibilité pour peu que l'on y mette la volonté nécessaire.