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Maroc : Fin des partis monolithiques
Publié dans La Vie éco le 26 - 04 - 2013

Aucun des grands partis n'a échappé aux mouvements de réforme ou aux courants politiques. L'apparition de courant politiques est un signe de maturité du débat Nos politiciens confondent souvent courant politique et parti parallèle dans le parti.
Vendredi 19 avril, l'USFP s'apprête à tenir la première réunion, les 20 et 21 avril, de sa toute nouvelle commission administrative qui fait désormais office de parlement du parti en lieu et place du conseil national. Et c'est ce jour que les amis d'Ahmed Zaidi, président du groupe parlementaire et candidat malheureux à la succession d'Abdelouahed Radi à la tête du parti, ont choisi pour tenir leur dernière réunion avant l'officialisation de leur courant politique. Près d'un demi-millier de militants ont répondu présent à cette réunion tenue à Casablanca. «Un véritable congrès constitutif d'un courant politique au sein de l'USFP», commente une source ittihadie qui a participé à cette rencontre. La démarche a porté ses fruits. La direction du parti a reconnu à ses initiateurs le droit de se constituer en courant. «La création d'un courant politique au sein du parti est une idée noble», leur a répondu le nouveau secrétaire général, Driss Lachgar. Pourquoi n'en serait-il pas ainsi, rappelle un membre de la commission administrative ? N'est-ce pas le même Driss Lachagar qui avait revendiqué pour la première fois, avec un certain Mohammed Sassi, l'institutionnalisation des courants, il y a un peu plus d'une décennie ? Ce fut pendant le VIe congrès tenu en 2001. La revendication a été réitérée lors du congrès suivant, et encore une fois au VIIIe congrès, puis au IXe sans avoir eu, toutefois, la chance d'être inscrite clairement et officiellement dans les statuts du parti. Et c'est encore le cas aujourd'hui.
Les initiateurs de ce mouvement de réforme, eux, ne se formalisent pas de ces considérations. Le mouvement initié par Ahmed Zaidi et ses amis, fort de près d'un demi-millier de membres, prend officiellement un nom : «USFP, identité et valeurs». Il a réussi là où ont échoué ses prédécesseurs, les «néo-socialistes» ou, plus récemment, le mouvement initié par le trio Ali Bouabid, Mohamed Achâari et Larbi Ajjoul (tous anciens membres du bureau politique) et bien d'autres avant eux. Ils ont mis la direction du parti devant le fait accompli. Celle-ci fait sienne aujourd'hui l'idée de l'importance de la «gestion démocratique des différences». Cette gestion, explique un proche de Driss Lachgar, peut se faire ainsi : «Ceux qui prônent une position et portent des idées différentes de celle de la direction du parti peuvent s'exprimer directement à travers les instances du parti ou créer carrément, si tel est leur choix, un courant politique».
De gauche comme de droite, tout le monde y passe
«C'est une sage réaction», affirme le professeur de sciences politiques à l'université de Rabat, Ahmed Bouz. «Si l'USFP avait autorisé la création de courants politiques au début des années 90, il n'aurait pas connu autant de scissions qui l'ont considérablement affaibli», ajoute-t-il. L'USFP vient donc de franchir un stade crucial dans son évolution. L'ère d'«un parti, une direction, une voix» est donc révolue. Il faut dire que la déferlante des mouvements de réforme et des courants politiques n'est pas l'apanage du seul USFP.
Aucun parti au Maroc n'y échappe. Même l'Istiqlal, connu pour son imperméabilité à la contestation et à la divergence d'opinions, a vu naître, il y a quelques mois, son courant ou ligne politique comme il plaît de dire à ses initiateurs. «Pas de répit dans la défense des fondements du Parti de l'Istiqlal», c'est ainsi que les «anti-Chabat» ont baptisé leur mouvement de contestation. Officiellement, le courant existe toujours, et, en toute logique, il devrait se manifester pendant la première session du conseil national, initialement annoncée pour la fin de ce mois d'avril.
Cependant, si les deux «courants», celui de l'USFP et celui de l'Istiqlal sont nés presque dans les mêmes conditions, il existe toutefois une différence, qui est d'ailleurs de taille, entre les deux. Contrairement aux Usfpéistes qui ont placé un chef de groupe parlementaire, deux anciens ministres et plusieurs députés à la tête de leur courant, les Istiqlaliens ont préféré pousser vers les devants de la scène des figures de deuxième, voire de troisième rang. Peut-être que si le courant avait été mené par Abdelouahed El Fassi ou Nizar Baraka, il aurait pu percer.
Le MP, lui, a la particularité d'avoir connu le plus grand nombre de mouvements de réforme. Le parti étant une recomposition de trois anciennes formations harakies (le MP, le MNP et l'UD), il est logique que depuis 2006, année de la fusion, il subsiste encore des rémanences des anciennes formations fusionnées. Sauf que les deux courants qui se sont déclarés pour le moment ne sont pas des courants d'idées ou de positions politiques, mais de simples clans rivaux qui se sont constitués dans le sillage de la course à la succession de Mohand Laenser à la tête du parti. Bien sûr, le parti en a connu d'autres : en 2007, on parlait déjà d'un «comité élargi pour la bonne gouvernance» conduit par l'ancien parlementaire Mohamed Mansouri. L'ancien patron du réseau des cadres, Mohamed Mourabet, a mené lui aussi pendant un certain temps un mouvement de réforme qui n'a pas survécu au dernier congrès. De même que les anciens ministres Mohamed Boutaleb et Hassan Maouni. Plus récemment, la jeunesse a tenté sa propre révolte, mais celle-ci a été étouffée.
Seul le RNI a vu aboutir son mouvement de réforme
Le PJD n'a pas non plus échappé à ce phénomène. Toutefois, depuis qu'il est au gouvernement, les multiples critiques et attaques qu'il subit continuellement aussi bien de la part de ses alliés que de ses adversaires politiques et idéologiques lui ont fait oublier ses dissonances internes. Les radicaux comme Mustapha Ramid, Lahbib Choubani, Abdelali Hamieddine…, ont laissé de côté leurs différends avec le chef de file du parti, qui ont atteint leur paroxysme au moment où le mouvement 20 Février battait le pavé, pour ne faire qu'un seul bloc derrière Abdelilah Benkirane. Celui-ci avait même fait, à la veille des élections du 25 novembre 2011, l'objet d'une tentative de destitution qui n'a finalement pas abouti. C'est pour dire que sa cohésion, le PJD la doit aujourd'hui beaucoup plus à l'acharnement de ses adversaires qu'à la légendaire discipline de ses bases. En atteste cette récente velléité de rébellion de sa jeunesse. La JJD met de côté les orientations, pourtant strictes en la matière, des aînés, elle fait sienne depuis peu la revendication d'une «monarchie parlementaire». Il faut rappeler qu'en ce sens le parti avait opté plutôt pour une «monarchie démocratique» et c'est une position qu'il a inscrite dans le mémorandum remis en son temps à la Commission royale chargée de la réforme de la Constitution. Bref, c'est peut-être pour dire que la jeunesse n'est plus cette antichambre, cette fabrique de cadres disciplinés qui alimente les rangs du parti. Elle tente de s'émanciper de la prise du parti.
Autre exemple : le PAM où les divergences d'opinion entre «notables» et «gauchistes» ont défrayé, pendant un temps, la chronique. Le parti a fini par faire le ménage et est sorti renfoncé et plus soudé de son dernier congrès où la machine démocratique a fait son travail. Tout récemment, le PPS a, lui aussi, vu les travaux de la dernière réunion de son comité central légèrement perturbés par un courant contestataire, plutôt minoritaire. L'une des ses propositions a même été reprise, confie-t-on, par le communiqué final du comité central. A l'UC, la succession de Mohamed Labied divise les partisans de la continuité et les défenseurs du changement et de la rupture. Mais à l'image du MP, ce ne sont que des dissensions motivées par la course à la tête du parti.
Au final, seul le RNI a vu aboutir son mouvement de réforme qui a porté Salaheddine Mezouar à sa présidence, en janvier 2010. Quant au courant politique, c'est le PSU qui est le plus souvent cité en exemple. C'est le premier et, à aujourd'hui, le seul parti politique au Maroc à avoir garanti à ses militants le droit de création de courants politiques et de leur représentation dans ses instances décisionnelles.
Plutôt que des scissions, des courants politiques
Que ce soit les mouvements de réforme ou les courants politiques, c'est un phénomène relativement récent. Pourquoi on en voit donc de plus en plus ces dernières années ? Peut-être parce que les scissions n'ont pas réussi à terme aux partis qui en sont nés. La preuve : à l'issue des élections de novembre 2011, les plus transparentes, les plus crédibles de l'histoire du Maroc, aucun des partis politiques nés depuis la fin des années 70 d'une scission n'a percé. Aucun des partis de création récente, principalement né d'une scission, n'a obtenu plus de quatre sièges.
Le constat est frappant : ils n'ont tout simplement pas réussi à convaincre l'électeur. Du coup, personne ne veut plus tenter l'expérience au résultat incertain d'une scission. «Il faut dire aussi que la démocratie interne est peu à peu imposée aux partis politiques ces dernières années. Les courants politiques sont donc devenus le seul moyen pour éviter que les différends et les divergences d'opinions n'entraînent des scissions», explique Ahmed Bouz. Le nouveau cadre légal des partis est également pour beaucoup dans cette démocratisation forcée de notre classe politique. Cela d'une part. D'autre part, note ce même politologue, nous ne sommes plus dans la configuration des partis politiques des années 70. Les temps ont changé, au même titre que les mentalités. Plus de chef charismatique, de figure paternaliste ou de leader incontesté à la tête des partis politiques.
Au-delà des motivations personnelles et des intérêts individuels qui alimentent certains mouvements de réforme, l'apparition récente de ce phénomène dans nos partis est plutôt à attribuer au changement démographique au sein même des formations politiques. «Les militants sont aujourd'hui instruits, le rang des élites politiques s'est considérablement élargi, les ambitions des uns et des autres se sont fortement manifestées et les envies de participation politique accentuées, c'est normal qu'il y ait des divergences d'opinion qui cherchent à s'exprimer. Et cela ne peut se faire qu'à travers les courants politiques», affirme la même source. C'est d'ailleurs leur principal avantage, celui de maintenir la cohésion des partis et en finir avec ce phénomène de scission qui a balkanisé notre paysage politique. Le seul hic, se désole ce professeur de sciences politiques, «c'est que notre classe politique a encore du mal à comprendre le sens d'un courant politique.
Il ne s'agit pas d'une structure permanente d'opposition dans un parti, ce n'est pas non plus un parti parallèle dans un parti». Il faut dire, ajoute notre interlocuteur, que même au sein du PSU l'expérience est loin d'être une réussite totale. D'où le risque d'avoir des partis à deux têtes et même plus. Ce qui n'est pas pour faciliter les négociations politiques et les alliances. Mais de là à vouloir conserver, à tout prix, une version archaïque de partis politiques monolithiques, c'est une autre histoire. Nous ne sommes plus dans l'ère des partis à «opinion unique, il existe désormais et de plus en plus des différends liés à la lecture politique des évènements, d'ordre personnel ou qui ont trait au volet organisationnel», explique M. Bouz. Ces opinions, voire clivages politiques, ont besoin d'être exprimés et canalisés au sein même des instances des partis. Cela ne veut pas dire non plus que ces derniers doivent céder à la cacophonie. Les divergences d'opinion peuvent très bien être exprimées librement et prises en compte à condition de se retrouver au final avec une seule voix, une seule position et un seul acte politique. Ceux votés par la majorité ou objet du consensus. Ce sont les règles de la démocratie interne qui le veulent.


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