Lachgar et Zaidi se sont entendu pour gérer démocratiquement leur différend en évitant les déballages sur la place publique. Pour plusieurs observateurs, la réconciliation n'est pas définitive L'USFP vient d'échapper, encore une fois, à une énième scission. Cependant, le risque d'un éclatement n'est pas complètement écarté. En attente d'un nouveau clash, les deux frères ennemis, le premier secrétaire, Driss Lachgar et le président du groupe parlementaire, Ahmed Zaidi, ont mis au-devant toute leur bonne volonté, en cette réunion cruciale du 20 mars dernier, pour limiter les dégâts. Une trêve, donc. Car aucun des deux ne souhaite voir l'USFP, ou ce qui en reste, partir en éclats. Aussi, les deux hommes ont-ils convenu de gérer dorénavant leur différend, avec le moins de dégâts possibles et en interne. Autrement dit : Driss Lachgar s'est engagé à respecter les opinions et positions de ses adversaires et Ahmed Zaidi a promis d'œuvrer pour préserver l'unité du parti et exprimer ses divergences, non plus dans les colonnes de la presse, mais à travers les canaux institutionnels et les instances du parti. Et pour sceller cette entente, une première initiative déjà : Driss Lachgar promet de doter le groupe parlementaire d'une commission d'experts et de politiciens qui travaillerait avec ses membres sur toutes ses initiatives législatives. Après tout, mis de côté le différend entre les deux hommes, le groupe reste un bras institutionnel du parti, pour reprendre les termes d'Ahmed Zaidi, dont la mission est d'exposer et défendre ses positions devant les institutions. C'est sans doute pour cette raison que les deux parties ont également convenu de tenir des réunionsrégulières entre le groupe et le premier secrétaire, pour mieux coordonner les actions et harmoniser les positions. Ce faisant, les amis d'Ahmed Zaidi ont tenu, confie une source proche de Driss Lachgar, à ce que les autres membres du bureau politique (qui ne sont pas des députés) ne fassent pas partie de ces réunions. Une requête que notre source explique par la peur de voir changer la tête du groupe. Car, «comme le veulent les statuts du parti, le bureau politique (BP) peut très bien imposer un nouveau chef de groupe», explique ce proche de Driss Lachgar. Et si les députés contestent le nouveau choix ? «Ils n'ont pas d'autre recours que s'y confirmer sinon ils risquent d'être radiés, et c'est une autre prérogative du BP. Auquel cas ils risquent également leur mandat de parlementaire puisque devenus sans parapluie du parti sous lequel ils ont été élus. Ils seronts automatiquement déchus de leur mandat et remplacés par les candidats suivants sur les listes présentées aux dernières législatives». C'est pour dire que, d'une part comme de l'autre, cette réunion entre les chefs des deux clans a été salvatrice. «De toutes les manières, l'on ne peut pas refaire le congrès», ironise ce cadre ittihadi. Sauf qu'il ne faut pas en attendre plus que cela. La rupture est consommée, on ne fait que limiter les dégâtsEn clair, cette rencontre est un appel à gérer l'opposition à l'intérieur du parti, autrement que par l'escalade et les accusations lancées de part et d'autre. Pour un grand nombre de militants «il ne faut pas s'y méprendre, il ne s'agit pas du tout d'une réconciliation totale et définitive», explique ce membre de la commission administrative (le nouveau parlement de l'USFP formé de 300 membres majoritairement pro-Lachgar). Il faut reconnaître, en même temps, affirme la même source, que même s'ils en ont manifesté l'intention, «les contestataires ne peuvent pas aller jusqu'au bout dans leur entreprise qui est de mettre sur pied un courant politique. Et ce, pour la simple raison que ce qui les unit, ce n'est pas une idée politique ou une plateforme idéologique». Sur ce point, confirme le politologue Ahmed Bouz, l'un des rares observateurs ayant suivi de très près les dernières évolutions du parti, «c'est la première fois dans l'histoire du parti que naît un différend qui n'a pas de fondement politique. L'on a certes essayé de lui donner une couverture politique, mais on n'a pas réussi à en trouver une. Ainsi, les amis d'Ahmed Zaidi ont refusé toute orientation dont l'objectif est de s'allier avec le PAM. Ils ont de même exprimé leur refus de pratiquer une opposition systématique au PJD, mais en réalité, même si l'on veut lui en créer un, le différend n'a pas de fondement politique». Pour ce professeur de sciences politiques, «c'est à ne pas s'y méprendre, il s'agit bien d'une lutte pour les positions, qui n'a pas de portée idéologique. Autrement, cela aurait créé un clivage politique entre deux courants avec deux visions et deux plateformes politiques différentes». Ce qui aurait été fortement bénéfique pour le parti qui, depuis le VIe congrès, en 2001, a déjà connu quelques tentatives de création de courants. L'expérience des nouveaux socialistes en est un exemple, celle, plus récente, du trio Ali Bouabid, Larbi Ajjoul et Mohamed Achâari en est un autre. Cela dit, il ne faut pas non plus oublier que la tension entre les deux clans est allée trop loin pour une réconciliation immédiate et définitive. En effet, affirme ce politologue, «c'est aussi la première fois dans l'histoire du parti que des militants essaient d'impliquer l'Etat, ou une partie de l'Etat, dans un différend interne». Allusion faite aux récentes sorties médiatiques des députés et membres de la commission administrative, Abdelali Doumou et Ali Elyazghi, évoquant des interventions externes au moment de l'élection du premier secrétaire, Driss Lachgar. C'est pour dire que cette rencontre entre le président du groupe parlementaire et le bureau politique au complet n'est autre qu'«un arrangement dans le sens de limiter relativement l'étendue du conflit, mais cela ne veut pas dire que la page est définitivement tournée», observe Ahmed Bouz. Au fond, la situation de l'USFP est, et de loin, bien plus grave qu'une querelle interne comme il en a vécu tant. Et si Driss Lachgar était l'obstacle ? «La crise n'est pas seulement interne. Ce que vit le parti au niveau organisationnel n'est autre que les répliques d'un séisme bien plus dévastateur», affirme ce politologue. C'est pour dire que le différend entre le clan d'Ahmed Zaidi et celui de Driss Lachgar n'est pas la source du malaise que vit le parti, mais il n'en demeure pas moins qu'il en aggrave les conséquences. Bref, note cet observateur, il est difficile d'affirmer que la réconciliation entre les parties en conflit à l'intérieur de l'USFP pourrait lui permettre de sortir d'une crise qu'il traverse depuis des années. Depuis les élections de 2002, en fait. Le problème est bien plus profond. Cependant, on peut se demander jusqu'à quel point cette initiative de remettre de côté ce différend entre les deux parties et commencer à reconstruire, ensemble, l'USFP (ce qui est un vœu exprimé par les deux clans) pourrait recoller les morceaux. Comme on peut se demander si cette trêve pourrait inciter un grand nombre parmi ses militants en rupture à revenir dans ses rangs. A y voir de près, explique ce professeur de sciences politiques, deux grands problèmes expliquent cette quête d'ouverture de l'USFP sur les siens d'abord et sur son entourage, ensuite. Le parti essaie, en effet depuis peu, de renouer notamment avec les syndicats et avec la gauche, mais il rencontre encore certains obstacles. La nouvelle direction en fait partie. C'est le premier problème. C'est d'ailleurs le patron de la CDT, Noubir Amaoui, qui a le premier soulevé cette question. L'éternel secrétaire général de la CDT est pour le moment le seul à l'avoir affirmé ouvertement en public : il n'est pas question d'un quelconque accord avec Driss Lachgar. Une partie de la FDT, de la CDT et même du PSU ne sont pas non plus, pour le moment, pour un éventuel rapprochement avec la nouvelle direction de l'USFP. «Si le bureau politique avait été constitué en mixant des pro-Lachgar et des pro-Zaidi, comme il en a été convenu au tout début, cette problématique ne serait pas posée», note Ahmed Bouz. Cela, bien que sur le plan politique il n'y ait aucune différence entre Lachgar et Zaidi. La seule différence réside, observe un cadre du parti, dans le fait que le premier s'est fait beaucoup d'ennemis alors que le second est plutôt de tempérament conciliateur. C'est un obstacle psychologique qui empêche de jeter les ponts avec les différentes parties et sensibilités alliées objectives de l'USFP. La fonction change la personne «Beaucoup considèrent encore Lachgar comme une machine de destruction», reconnaît-on dans l'entourage de la nouvelle direction du parti. Pour ces derniers, l'on oppose cet adage politique qui veut que «la fonction change la personne». Sauf que les premiers signes envoyés par le nouveau premier secrétaire ne vont pas dans cette direction, observe-t-on. Le deuxième problème est cette obstination de la direction de l'USFP de s'allier, contrairement à la volonté des autres tendances de la gauche, au PAM. Même le récent rapprochement avec l'UMT, qui est une première dans l'histoire, risque d'être mal perçu. Il est d'ores et déjà considéré comme une réaction de la direction du parti face aux difficultés qu'elle rencontre dans ses rapports avec les deux centrales CDT et FDT. L'accord avec l'UMT serait donc une réaction qui vise, en même temps, la création d'une «alliance sacrée» contre le PJD. Ce qui aux yeux des détracteurs de la nouvelle direction en fait ipso facto une action «orientée» contre le gouvernement. «C'est vrai que cela devrait être une démarche fortement appréciée si seulement elle était le fruit d'un débat interne au sein du parti», note ce cadre du parti. Bien sûr, l'USFP fait face à d'autres problématiques. L'une d'entre elles et non des moindres est ce nouveau courant qui traverse actuellement la gauche et qui s'écarte peu à peu de l'idée qui veut que si rassemblement de la gauche il y a, il doit se faire obligatoirement autour de l'USFP qui en sera la locomotive. La dernière annonce de la création d'une fédération de gauche entre le PSU, le PADS et le CNI est un exemple concret de cette nouvelle orientation. De même que l'USFP a perdu beaucoup de ses ramifications dans la société, il n'est plus la tendance dominante dans aucun acteur sociétal. A l'exception peut-être du SNESup (syndicat national de l'enseignement supérieur) où il reste encore la tendance politique dominante, mais le syndicat lui même a perdu beaucoup de son aura. Bien plus, l'USFP qui a toujours été connu pour son initiative et l'autonomie de ses décisions se contente aujourd'hui beaucoup plus de réaction que d'actions. Ses alliances avec les syndicats, son retrait des différents dialogues nationaux lancés par le gouvernement… ne sont en fin de compte que des réactions. Cela lui donne-t-il encore une valeur ajoutée aux yeux des citoyens ? Les trois dernières élections partielles auront prouvé que non. L'USFP, non seulement, n'a remporté aucun des 11 sièges mis en compétition pendant les trois scrutins partiels, mais il s'est tout juste contenté de faire de la figuration, laissant le terrain de bataille aux autres, le PJD, le PAM et l'Istiqlal notamment. En définitive, l'USFP semble avoir perdu son âme. Son image auprès de la société s'est complètement altérée. Ses 13 années au gouvernement y ont fortement et certainement contribué, de l'avis même de son nouveau premier secrétaire. Son ouverture sur les notables et les élites rurales n'a pas arrangé les choses. L'USFP a perdu un pari, affirme Ahmed Bouz. En effet, observe-t-il, «alors où l'on s'attendait à ce que ces notables soient remodelés et façonnés par le moule de l'appareil organisationnel du parti, ce sont eux qui sont arrivés à façonner l'appareil selon leur logique».