Ahmed Khaouja, consultant en télécommunications et TIC en Afrique, alerte sur les risques en matière de sécurité des données du service Internet par satellite développé par SpaceX. Paroles d'expert. Suivez La Vie éco sur Telegram Bien que la technologie satellitaire permette une couverture mondiale, remplacer un réseau terrestre par une infrastructure satellitaire reste une entreprise complexe et comprend de nombreux risques. Eclairage. Quels sont les développements récents liés au projet Starlink ? Starlink, service Internet par satellite développé par SpaceX, repose sur la technologie des satellites en orbite basse. Actuellement, il offre une connexion à haut débit et prévoit à terme de proposer un service de téléphonie mobile. Contrairement à d'autres acteurs opérant en orbite terrestre basse (LEO), Starlink utilise un mode de régénération embarqué, et non une transmission transparente. Cela signifie que ses satellites intègrent des capacités avancées, telles que la modulation/démodulation, le codage/décodage, la commutation et, surtout, la fonction de routage, en plus de l'amplification radiofréquence (RF). Cette complexité technique engendre des préoccupations en matière de protection des données personnelles. Quelles sont les principales inquiétudes en matière de sécurité des données concernant Starlink ? La sécurité des données est une priorité cruciale pour tout gouvernement. Starlink pose des risques significatifs dans ce domaine, notamment en raison des spécificités technologiques de son réseau. Premièrement, toutes les données doivent transiter par des passerelles terrestres avant d'accéder à Internet. Cependant, le nombre de ces passerelles est très limité, surtout en Afrique où, à ma connaissance, seules deux existent, au Nigéria et au Ghana. Cela implique que les données des utilisateurs africains doivent obligatoirement être transmises vers ces deux pays, en contradiction avec le principe fondamental selon lequel les données ne doivent pas quitter leur territoire d'origine. Deuxièmement, l'adoption des communications intersatellites rend le contrôle des données encore plus difficile, même en présence de passerelles locales. Ces communications permettent en effet le transfert de données d'un pays à un autre, sans que celles-ci soient interceptées au niveau national. Enfin, les satellites Starlink étant déployés au-delà de l'espace aérien national, aucune mesure légale ne peut les contraindre à respecter les réglementations locales. Quels autres types de risques sont associés au déploiement de Starlink ? Un premier point de friction réside dans le non-respect par Starlink des dispositions légales liées aux interceptions satellitaires. En France, par exemple, cela a engendré des tensions avec les autorités nationales. De plus, Starlink dispose de la capacité d'activer ou de désactiver ses signaux satellitaires à sa discrétion, ce qui introduit une incertitude quant à la continuité de ses services dans les pays où il opère. Cette instabilité pourrait représenter un risque stratégique pour les gouvernements. Starlink peut-il réellement constituer une solution viable pour répondre aux besoins de service universel des gouvernements ? Le service universel est encadré par des lois nationales. Seuls les opérateurs titulaires de licences spécifiques peuvent le fournir. Bien que la technologie satellitaire permette une couverture mondiale, remplacer un réseau terrestre par une infrastructure satellitaire reste une entreprise complexe. Un aspect clé est l'accessibilité. Actuellement, Starlink exige des équipements compatibles Wi-Fi, ce qui dépasse largement les moyens de nombreux foyers ruraux en Afrique. Pour ces populations, le service voix/SMS, accessible avec un téléphone basique, est souvent plus essentiel que l'accès à Internet. Par ailleurs, les coûts des terminaux et des abonnements Starlink sont élevés par rapport au niveau de vie des citoyens ruraux dans la plupart des pays africains, ce qui limite sa viabilité comme solution de service universel. Quelle est la position des gouvernements africains vis-à-vis de l'implantation de Starlink dans leurs pays ? Les gouvernements africains ne parviennent pas à adopter une position commune sur le sujet. Certains pays expriment de sérieuses préoccupations, notamment en matière de sécurité des données. À ce jour, plus de 12 pays africains, tels que le Sénégal, le Congo, la Guinée ou la Côte d'Ivoire, ont interdit l'utilisation de Starlink jusqu'à la mise en place de politiques réglementaires claires. Quelles recommandations politiques pourraient être envisagées pour encadrer Starlink au Maroc ? Au Maroc, la loi 24-96 encadrant le secteur des télécoms prévoit cinq régimes distincts. Toute entreprise souhaitant opérer dans le pays, y compris Starlink, doit obtenir une licence assortie d'un cahier des charges. Ce dernier inclut des obligations de sécurité, ainsi que des exigences en matière d'agrément et d'homologation des équipements. Conformément à la réglementation marocaine, une passerelle terrestre de Starlink devrait être installée sur le territoire national, et la technologie de communication intersatellite devrait être interdite pour garantir la souveraineté des données. De plus, Starlink doit opérer dans des conditions équitables, similaires à celles des opérateurs terrestres, en assumant des obligations comparables, telles que le paiement de droits de licence, de taxes locales et le respect des standards de qualité de service. Pour maximiser les bénéfices de cette technologie tout en protégeant les citoyens, il serait pertinent d'encourager Starlink et d'autres opérateurs de LEO à collaborer avec les opérateurs télécoms locaux, qui disposent déjà de licences nécessaires pour fournir ces services.