Les délais se rallongent : jusqu'à six mois pour conclure une vente. L'offre augmente mais la demande ne suit pas : les acheteurs sont devenus plus regardants sur la qualité, les délais, la transparence… L'atonie s'installe profondément dans le marché de l'immobilier. Agents immobiliers, notaires, banquiers et même promoteurs le confirment : hormis le segment du social, la situation tourne au ralenti pour les autres catégories de logements. Les révolutions arabes, l'attentat terroriste de Marrakech et le mouvement de contestation et de réforme constitutionnelle au Maroc, précisent tous ces professionnels, n'y sont pour rien. Pour eux, ces événements ont certes accentué l'attentisme sur le marché, mais c'est le contexte économique global, à la fois au Maroc et à l'international, et le niveau élevé qu'ont atteint les prix des logements qui en sont à l'origine. Un attentisme que les acheteurs manifestent de plus en plus, et qui se traduit par un net ralentissement dans la réalisation des transactions. «Il y a deux ans, les ventes se réalisaient en deux ou trois semaines, voire un mois tout au plus. Aujourd'hui, il faut compter un mois et demi à deux mois au minimum, et cela peut même aller jusqu'à six mois entre l'expression du besoin de l'acheteur ou du vendeur et le dénouement de l'opération», affirme William Simoncelli, directeur de l'agence Carré Immobilier. Ceci sans parler des perturbations techniques venues ralentir davantage la cadence. «Les grèves qui ont duré plus de deux mois à la conservation foncière ainsi que le retard grandissant chez certaines banques dans le traitement des dossiers de crédit ont rallongé la durée d'exécution des opérations», confie Me Samira Chakroune, notaire à Casablanca. Les chiffres officiels ne manquent pas de confirmer le ralentissement dans le marché de l'immobilier. Selon les données du premier trimestre fournies par Bank Al-Maghrib et l'Agence nationale de la conservation foncière, les ventes de tous les types de logements (appartements, villas et maisons) ont reculé de 9,7% par rapport à la même période en 2010 (voir encadré en page II). Les promoteurs intègrent désormais le ralentissement des ventes dans leurs business-plans Nombre de professionnels trouvent cette situation tout à fait normale. «Le marché de l'immobilier obéit à la théorie des cycles et nous nous trouvons actuellement dans la phase la moins séduisante», explique un promoteur à Casablanca. Pourtant, même si l'euphorie des années 2007 et 2008 est passée, les prix n'ont enregistré aucune baisse, surtout en ce qui concerne les appartements neufs. «Les prix sont restés globalement stables à Casablanca par rapport à l'année dernière, et même par rapport à 2009 et 2008», précise M. Simoncelli. C'est que les promoteurs immobiliers intègrent actuellement dans leurs business-plans et leurs prévisions de ventes le ralentissement du marché, et préfèrent attendre plutôt que de baisser leurs prix. «Ils ont en plus des engagements à respecter vis-à-vis de leurs banquiers, et ont pour la plupart acquis des terrains à des prix élevés, ce qui les empêche de revoir leurs tarifs à la baisse», ajoute un agent immobilier à Rabat. «Il y a toutefois quelques promoteurs qui ont légèrement diminué leurs prix, vu qu'ils les ont fixés au début à un niveau excessif et que leurs immeubles commencent à se dégrader. Mais cela reste marginal. Globalement, les prix sont restés stables, car les professionnels ne peuvent pas s'amuser à revoir leurs tarifs. Cela les décrédibiliserait sur le marché», ajoute-il. Le marché des logements de seconde main plus dynamique que celui du neuf Cela dit, il y a lieu de distinguer entre le marché du neuf et celui de l'ancien. En effet, ce dernier se porte un peu mieux, selon les professionnels. «L'absence d'offre d'appartements neufs à bon rapport qualité/prix dans le moyen standing fait en sorte que les acheteurs se rabattent sur les logements de seconde main, ce qui rend ce marché un peu plus dynamique», explique M. Simoncelli. Et, bizarrement, malgré l'orientation de la demande vers ce marché, les prix qui y sont pratiqués n'ont connu aucune augmentation. Au contraire, ils ont même été revus à la baisse, et se situent actuellement à des niveaux intéressants par rapport aux prix exigés pour les logements neufs. A titre d'exemple, les appartements neufs dans le quartier Maârif extension à Casablanca démarrent actuellement à 13 000 DH le mètre carré et peuvent aller jusqu'à 17 000 DH, alors que pour un appartement de seconde main, les prix se situent entre 9 000 et 12 000 DH le mètre carré, soit un différentiel qui peut atteindre 5 000 DH entre les prix maximum des deux marchés. Les professionnels expliquent toutefois que ce ne sont pas les prix de réalisation des ventes, dans le logement de seconde main qui ont baissé, mais plutôt les prix demandés par les propriétaires. «Un appartement qui valait 1,5 million de DH en 2009 se vend toujours à ce prix-là aujourd'hui», précise l'un d'entre eux. «Mais au lieu d'avancer une première valeur de 2 millions de DH, comme c'était le cas auparavantt, le vendeur ne demandera actuellement qu'un prix de 1,6 ou 1,7 million avant de négocier», ajoute-t-il. Les propriétaires de logements ont donc fini par revenir à la raison, après des années d'euphorie où les prix de vente demandés pouvaient être complètement décalés de la réalité, car pour nombre d'entre eux le besoin de vendre est pressant. Les acheteurs sont également devenus plus exigeants, et les négociations plus âpres. «Les vendeurs réfléchissent désormais à deux fois avant de refuser une proposition», affirme M. Simoncelli. Les acheteurs plus exigeants même par rapport aux conditions de financement D'une manière générale, que ce soit dans le logement ancien ou neuf, les professionnels assurent que les acheteurs sont devenus plus matures et exigeants. «Ils ne veulent plus acheter sous la pression du marché, comme ce fut le cas durant les années d'euphorie, et exigent désormais plus de garanties», explique un agent immobilier. Pour lui, c'est toute la relation avec les promoteurs immobiliers qui a commencé à changer. Après des années où l'engouement était tel que tout le monde achetait sans que personne ne fasse de remarques aux promoteurs, les acheteurs tempèrent aujourd'hui, s'orientent vers le promoteur le plus exigeant envers lui-même et qui respecte ses promesses et son planning. Ils sont devenus plus regardants sur le niveau de qualité de la finition et son adéquation avec le prix, les délais de livraison et les équipements publics en ce qui concerne des projets intégrés. Pour leur part, et face à ce changement dans le comportement d'achat, certains promoteurs n'hésitent plus à ouvrir leurs livres et à jouer la transparence vis-à-vis des acheteurs, en espérant leur redonner confiance. L'attitude des acheteurs a également changé en ce qui concerne le financement. Ces derniers ne se contentent plus désormais de prendre leur crédit immobilier automatiquement chez leur banque. Ils prennent le temps de mettre en concurrence plusieurs établissements pour tenter de négocier les meilleures conditions possibles, surtout après l'augmentation qu'ont connue les taux d'intérêt des crédits immobiliers ces deux dernières années. Finalement, tous ces éléments, aussi bien du côté des acheteurs que des vendeurs, ont conduit à la raréfaction des transactions dans le marché de l'immobilier, à la stabilité des prix dans le neuf et au réajustement des prix demandés dans le logement de seconde main. Pour les professionnels, cette situation n'est pas près de changer, au moins jusqu'à la fin de l'année.