Le Festival «Théà¢tre & Cultures» (du 8 au 17 avril) a jeté son dévolu, cette saison, sur le lumineux Molière, auteur, comédien, metteur en scène et directeur de troupe. Du lot des réjouissances se détachait une création. «Il était une fois Molière», dont une des singularités est d'avoir mis à contribution Noureddine Ayouch, après 42 ans d'absence. Aux théâtres Anfa, Moulay Rachid, Hassan Skalli, Mohammed V et partout où séjournait la dernière édition du Festival «Théâtre & Cultures», les spectateurs étaient venus en foule. Surprenant. D'ordinaire, les masses se déplacent pour un concert de raï ou de aïta, rarement pour une représentation théâtrale. Mais là l'hôte était irrésistible : Molière soi-même, l'insurpassable homme de théâtre, pour lequel les Marocains vouent un culte, depuis qu'un certain Ahmed Taïeb El Alj a eu l'heureuse initiative de le mettre à l'ordre du jour par de nombreuses adaptations et recréations de son œuvre. Merci qui ? Merci «Théâtre & Cultures» qui, après avoir enroulé son thème autour de Federico Garcia Lorca, l'écrivain espagnol mort sous les balles franquistes, du théâtre méditerranéen et du théâtre africain, auxquels le nôtre est ressemblant par plusieurs aspects, a mis à l'honneur Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière (1622-1673). L'idée, baptisée Molière dans tous ses états, émane de Noureddine Ayouch, président fondateur de la Fondation des Arts vivants, qui tient Molière en inaltérable estime : «Molière est un auteur classique, en ce sens que son œuvre surplombe le temps et l'espace. Il décrit un monde où tout n'est que lucre, superficialité, avidité, arrivisme, hypocrisie et mensonge. Très exactement le reflet de l'époque dans laquelle nous vivons. Et quand il s'en prend aux mœurs bourgeoises de son temps, nous avons le sentiment que c'est de notre bourgeoisie qu'il parle». Il en résulta un festin, non pas de pierre comme celui auquel fut convié Don Juan, mais de représentations jubilatoires, dont le morceau de choix est cette fresque nommée Il était une fois Molière, tissée de main de maître par Noureddine Ayouch lui-même. En 1972, N. Ayouch a renoncé au théâtre, après s'y être frotté pendant une décennie On n'imaginait pas l'élégant président de Shem's publicité dans le bleu de chauffe de metteur en scène. Mais si la communication représente son côté cour, le théâtre constitue son côté jardin. Jeune déjà, son désir de brûler les planches était si ardent qu'à peine accosté sur les rivages parisiens, en 1962, il se mit à courir les hauts lieux de la formation théâtrale, tels les cours Dullin, l'université du théâtre des nations ou l'Institut des études théâtrales de la Sorbonne. Noureddine Ayouch n'est pas peu fier d'y avoir coudoyé des monstres sacrés tels Wilson ou Darras. Au terme de son apprentissage, il était capable de jouer dans des pièces ou de monter des spectacles, avec une réussite certaine. A preuve, son 2e prix d'interprétation à la Biennale de Paris, et le triomphe de ses reprises des pièces d'Albert Camus : Caligula, L'état de siège, Le Malentendu et Les Justes. A l'issue de la représentation du Malentendu, le dramaturge eut droit à cet éloge de la part de la veuve de Camus. «Si mon mari était encore de ce monde, il aurait été ébloui par votre Malentendu». C'était en 1969. Noureddine Ayouch avait le feu sacré pour le théâtre, mais, inexplicablement, sa flamme s'éteignit brusquement. Rentré dans son pays, en 1972, Noureddine Ayouch, bardé de diplômes en sociologie, s'enflamme pour la communication publicitaire. Un règne presque sans partage qui lui fera oublier son premier amour : le théâtre. Perdu irréversiblement pour le genre ? Mais il faut croire que les grandes passions ne s'enterrent jamais ; elles s'éveillent un jour à la faveur d'une réminiscence, d'une rencontre fortuite ou d'un songe. On ne sait pas au juste ce qui a conduit Ayouch à vouloir renouer avec son ancien objet de désir, mais, depuis six ans, le théâtre retrouve grâce à ses yeux. C'est ainsi qu'il a commencé par créer la Fondation des Arts vivants, inspiratrice du Festival «Théâtre & Cultures», dédié essentiellement à la promotion de l'art de la représentation. Pour aller jusqu'au bout de son retour de flamme pour le théâtre, Noureddine Ayouch ne tarda pas à s'y impliquer plus fortement, en produisant, concevant et réalisant Il était une fois Molière. Le choix de l'auteur de Tartuffe n'est pas le fait d'un quelconque hasard, tant il figure en bonne place dans le panthéon personnel du dramaturge retrouvé. «Molière m'a toujours accompagné et je suis toujours réjoui de sa compagnie. Depuis l'école primaire où j'ai eu la chance d'avoir des instituteurs capables de transmettre leurs goûts des chefs-d'œuvre et des auteurs majeurs, et Molière était leur favori. Lors de mon séjour en France, je n'ai manqué aucune édition du Festival d'Avignon, en ce suprême lieu du théâtre, l'auteur du Malade imaginaire était le plus joué. Enfin, pour ma monographie de maîtrise, j'ai opté pour Bertolt Brecht et Ahmed Taïeb El Alj. Au contact de ce dernier, incollable sur Molière, mon admiration pour cet auteur s'est encore raffermie», nous confie Noureddine Ayouch. Il y a cependant un hic, qui réside dans le pari insensé de retrouver les planches après avoir déserté la rampe pendant quarante-deux ans. Quiconque aurait perdu la main et refusé de se jeter à cette eau tumultueuse, mais Noureddine Ayouch n'est pas taillé dans cette étoffe-là.  Il avoue toutefois avoir peiné pour venir à bout de la tâche qu'il s'est imposée : «C'était pratiquement mission impossible et j'en étais conscient. J'étais submergé par le doute, étreint par l'angoisse. Après tout ce temps, comment pourrais-je diriger les comédiens, comment ma pièce serait reçue par le public ? Autant d'interrogations qui m'ont valu des soirées agitées et des nuits blanches». Mais jamais Ayouch ne songea à jeter le manche après la cognée. Au bout du calvaire, une œuvre dont il dit, modestement, qu'il n'a pas à «rougir». Et encore plus modestement, il s'interdit de tirer la couverture à soi, associant au mérite de la pièce l'auteur, Roukaya Benjelloun, qui a su extraire tous les sucs magnifiques de l'arabe courant; l'assistant metteur en scène, Rami Fijjaj, qui confirme que la valeur n'attend point le nombre des années et les neuf comédiens (Abdessamad Miftah El Kheir, Jamila El Haouni, Mostafa El Houari, Meryem Zaïmi, Adil Abatorab, Hasna Tamtaoui, Hala Lahlou, Mohamed Aouragh et Mohamed Larbi Ajbar), des jeunes lauréats de l'Isadac promis à un bel avenir. Treize tableaux composent la pièce, répartis entre évocations de la vie de Molière et reprises de son œuvre Il était une fois Molière est composé de 13 tableaux, répartis équitablement entre évocations soufflantes de tranches de vie de Molière et interprétations inventives d'extraits de ses œuvres les plus célèbres, telles L'école des femmes, Tartuffe, Don Juan, Le Bourgeois Gentilhomme… En somme, vie et œuvre de Molière. L'une est consubstantielle à l'autre et réciproquement, comme l'observe Noureddine Ayouch qui soutient que la vie de Molière éclaire son œuvre et celle-ci permet de comprendre celle-là.  La furie atomisatrice de Molière à l'endroit des experts du bistouri est liée à la mort de son fils par la faute d'un Diafoirus malhabile, il faut chercher dans le choix de l'Ecole des maris une preuve de ses préoccupations personnelles, à quelques mois de son propre mariage avec Armande Béjart, de vingt ans plus jeune, et dont on dit qu'il avait lui-même surveillé l'instruction, comment justifier qu'il ait dépeint avec indulgence, même s'il lui fait prudemment subir un châtiment, un libertin comme Don Juan, sinon parce qu'il est son alter ego, lui l'homme à femmes ? C'est dire combien la vie de Molière n'a pas été un long fleuve tranquille.  Démêlés avec la justice, en août 1644, il est emprisonné pour dettes, interdiction de Tartuffe (12 mai 1664) qui ne sera autorisé que le 5 février 1669; amours, désamours et troubles conjugaux, en 1642, il rencontre Madeleine Béjart avec laquelle il convole en justes noces, qu'il abandonnera pour sa sœur ou fille, Armande Béjart, dont il se séparera, en 1669, soit 4 ans plus tard; deuils successifs, ses fils, Louis et Pierre, sa sœur, son père et surtout Madeleine Béjart, restée sa complice, malgré leur rupture, et surtout une flopée de pétrins dans lesquels Molière se serait enlisé si le Roi Louis XIV ne le couvrait pas de ses ailes tutélaires. La pièce, pimentée de quelques fausses vérités, a reçu un accueil plus qu'encourageant Ainsi que le reflète la scène 9 Molière et le roi de Il était une fois Molière, entre le Roi-Soleil et le bouffon magnifique ne s'insinuait aucune ombre. En 1664, Louis XIV accorde une pension de 1 000 livres à son comédien, qui sera portée, l'an d'après, à 6 000 livres, et la troupe, l'illustre théâtre, rebaptisée Troupe du roi. En compensation de cette généreuse protection, Molière compose des pièces susceptibles d'agréer au monarque. Quand il rabat le caquet aux nobles, le roi se gondole bruyamment, car il sait pertinemment que si ces derniers l'assaillent de courbettes, lui mangent dans la main, ils guettent sournoisement le moment propice de le mettre à bas. Lorsque Molière ridiculise les bourgeois, il venge le roi de l'arrogance de cette caste qui renfloue ses caisses sans cesse vides.  De la même manière, le roi s'amuse au spectacle de ces cocus qui meublent le répertoire molièresque, aux dépens de ces courtisans qui, en échange d'une faveur ou d'une prébende, déposent leurs épouses sur la couche royale… Mais si Il était une fois Molière veut conter la vie et l'œuvre du dramaturge, il se permet quelques privautés avec la vérité, non pas en la faussant, mais en en imaginant quelques pans. Ainsi, elle fait mourir sur scène Molière à l'épilogue du Bourgeois Gentilhomme, alors qu'il a lâché la rampe une demi-heure après la quatrième représentation du Malade imaginaire. Mais cette sorte de fantaisie renforce l'intérêt de la pièce, passionnante, indiscutablement. Noureddine Ayouche n'a pas, effectivement, à en rougir.