73% de l'IR provient des salaires et 11% seulement des professions libérales. Seulement 47 % des salariés paient effectivement l'impôt sur le revenu. 1,6 million en sont exonérés. Le montant de l'impôt mensuel moyen est de 1 000 DH pour un salarié et de 972 DH pour un professionnel ! Qui paie l'impôt sur le revenu (IR) au Maroc ? On savait, sommairement, que cette charge était supportée surtout par les salariés. On était loin de se douter que même parmi ces derniers, une grande majorité y échappe. Selon des statistiques obtenues auprès de la Direction générale des impôts (DGI), 1,8 million de contribuables sont exonérés de l'IR en 2010, contre près de 1,64 million en 2009, soit une augmentation de 9,7%. Et ceci, on l'aura compris, résulte des réformes de l'IR dont la dernière, intervenue en 2010, a porté le seuil d'exonération à 30 000 DH par an. Et dans ce 1,8 million personnes exonérées (dont 1,6 million sont des salariés et le reste des indépendants), on ne tient pas compte des pensionnés, dont la population est, elle aussi, exonérée de l'IR à hauteur de…97%, selon le ministre de l'emploi, Jamal Rhmani. En estimant le nombre de salariés déclarés, donc assujettis à l'impôt, à un peu plus de 3 millions de personnes, dont 2,2 millions dans le privé, ceux qui, de par la loi, en sont dispensés représentent aujourd'hui 53%. Par conséquent, l'impôt sur le revenu est acquitté par seulement 47% des salariés déclarés (1,6 million de personnes). Quand on sait que la population active occupée est de 10,4 millions de personnes, on mesure le manque à gagner pour le Trésor public. A cette précision près, mais qui est de taille, que toute la population active occupée n'est pas salariée. Sur les 10,4 millions de personnes occupées, 76,7% exercent un travail rémunéré, soit près de 8 millions. Et sur ces 8 millions, seulement 57,7% sont des salariés, soit un peu plus de 4,6 millions de personnes. Il y a donc, comme on le voit, beaucoup de «déperdition» en matière d'impôt sur le revenu. Et par déperdition, il faut entendre non pas les exonérations – qui profitent après tout aux salariés, donc aux familles – mais tous les revenus distribués dans le secteur informel. 25 milliards de DH perçus au titre de l'IR en 2010 En 2010, l'Etat a perçu 25 milliards de DH d'impôt sur le revenu, en baisse de 3,5% par rapport à 2009. Sur ces 25 milliards, 18,25 milliards proviennent de l'IR sur les salaires. Ils ont été acquittés par le 1,6 million de personnes qui paient encore cet impôt. Une petite arithmétique permet de déduire que chacun de ces contribuables a payé en moyenne 11 400 DH d'IR en 2010, soit encore une moyenne d'environ 1 000 DH par mois. Mais ce n'est qu'une moyenne ; autrement dit, les contributions des salariés, pris individuellement, sont différentes puisque adossées au revenu déclaré de chacun. Il y en a qui paient moins de 200 DH par mois, et ils sont nombreux, et d'autres qui peuvent dépasser 10 000 DH ou 20 000 (la tranche de revenu soumise au taux marginal n'ayant pas de limite) et ceux-là ne sont pas légion. S'ajoute à cela le fait que l'on ne paie pas tout ce que l'on devrait. Beaucoup ignorent en effet que les taux d'imposition que l'on agite souvent à la face de son interlocuteur sont précisément des taux… faciaux; et ce n'est pas un jeu de mot. A titre d'exemple, un salarié dont le revenu net imposable est de 50 000 DH par an (ou 4 166,66 DH par mois) est soumis à un taux facial de 10%, applicable à la tranche de revenu allant de 30 001 à 50 000 DH. En réalité, il ne paie que 4%. Grâce au système de déduction, et notamment l'abattement pour frais professionnels, aucun salarié, en fait, ne paie le taux facial appliqué à la tranche de revenu à laquelle il appartient. Tous paient un taux dit réel ou effectif (voir tableau) Vu sous cet angle, l'impôt sur le revenu n'est pas tellement un fardeau lourd à porter. Cela dit, des améliorations peuvent toujours être apportées en direction des petits revenus, ou perçus désormais comme tels. Mais rien n'empêche dans le même mouvement, à titre de compensation, de mettre en place une tranche supplémentaire qui imposerait à un niveau un peu plus élevé (40%, 45%…) les très gros revenus, ceux dépassant un certain seuil. Ne perdons pas de vue que les impôts sont la ressource principale de l'Etat, et il n'est pas équitable que celui qui touche 15 000 ou même 25 000 DH par mois paie le même taux d'IR (38% comme taux facial) que celui qui a des revenus dépassant les 50 000 DH nets par mois. Aujourd'hui, les salaires de 80 000 DH, 100 000 et bien davantage existent, et il serait juste que ceux qui les perçoivent paient un peu plus pour que les plus faibles paient un peu moins. Le seul problème est que 53% des salariés ne paient déjà pas d'impôt, et pour cela il n'y a rien à faire sur le plan fiscal. Ceux-là ont plutôt besoin de voir leur salaire s'améliorer… L'IR sur les profits immobiliers reste très faible Mais l'effort des pouvoirs publics, s'il doit se déployer, devrait s'orienter non plus seulement en direction des salariés, mais aussi, et peut-être surtout, des autres contribuables assujettis à l'impôt sur le revenu : les professions libérales, certaines activités industrielles, commerciales et immobilières, etc, regroupés sous la rubrique «revenus professionnels». C'est certainement à ce niveau que les «déperditions» en matière d'IR sont les plus importantes. Songez que sur les 25 milliards de DH d'IR récoltés par l'Etat en 2010, 73% ont été payés par les salariés, soit 18,25 milliards de DH. L'IR issu des revenus professionnels (médecins privés, avocats, architectes, notaires, experts-comptables, pharmaciens, etc.) s'est, quant à lui, chiffré à 2,8 milliards de DH en 2010, soit 11,2% de la recette globale de l'IR, et même baisse de 3,3 points par rapport à 2009 (voir graphe). Cette catégorie professionnelle compte quelque 400 000 déclarants. En tenant compte de ceux parmi eux qui bénéficient de l'exonération (environ 40 %), l'IR professionnel est donc acquitté par 240 000 contribuables, soit une moyenne annuelle de 11 667 DH chacun ou près de 972 DH par mois ! C'est évidemment très faible et presque scandaleux au regard de l'argent que brassent les professions libérales. D'ailleurs, la Direction générale des impôts (DGI) ne cesse d'appeler ces dernières à s'acquitter convenablement de leurs obligations en matière fiscale. On peut en dire autant des assujettis à l'IR sur les profits immobiliers. Ceux-ci ont payé 3,7 milliards d'IR en 2010, soit 14,9% de la recette totale de l'IR. Cette part est certes en hausse de deux points par rapport à 2009, mais c'est bien connu, l'immobilier est l'activité où les profits sont les plus gros. Les baisses du taux de l'IR n'ont pas été compensées par une hausse conséquente du nombre de salariés déclarés Enfin, l'impôt sur les revenus de capitaux mobiliers, celui des profits sur les actions et obligations : la part de la recette issue de cette catégorie a reculé de 1,1% à 0,9% en 2010 soit, 225 millions de DH, sauf qu'à ce niveau, le problème semble plutôt être celui de la baisse d'activité, car cet impôt, comme celui des salariés, est pris à la source, donc théoriquement peu susceptible d'être minoré ; une pratique assez courante en matière d'impôt déclaratif – même si les services du fisc serrent de plus en plus fort les mailles du filet pour empêcher les gros poissons de passer ! Au total, l'impôt sur le revenu reste très largement assuré par les salariés, ceux à la fois déclarés (tout le monde ne l'est pas) et ne bénéficiant pas de l'exonération. L'idée qui consiste à dire que la baisse du niveau d'imposition encouragerait l'informel à se déclarer est certainement séduisante en théorie. En pratique, les baisses successives décidées en 2007, 2009 et 2010, qui ont coûté au Budget près de 14 milliards de DH, n'ont pas été compensées par une hausse conséquente du nombre de salariés déclarés. Et même parmi les salariés déclarés, ceux qui le sont tout au long de l'année représentent encore moins de la moitié (48%) de l'ensemble des salariés déclarés. Autrement dit, 52 % des salariés déclarés à la CNSS (le problème ne se pose pas dans le public) le sont pour moins de 12 mois, et 39 % pour moins de 9 mois. Cela montre la fragilité qui caractérise certaines activités, comme le textile ou le tourisme où le phénomène de saisonnalité est encore prégnant. Mais cela explique-t-il tout ? Sans doute pas !