La FDT paie son arrimage à l'USFP et risque une scission. L'UMT a réussi à surmonter l'influence de la gauche. L'UGTM paie sa fidélité à l'Istiqlal par un mécontentement de ses militants. L'UNTM sous la coupe du PJD et du MUR se déchire. Dimanche 2 janvier, au bout d'une réunion marathonienne de douze heures, les militants de la Fédération démocratique du travail (FDT) n'avaient toujours pas trouvé un terrain d'entente sur la composition de leur bureau central, instance exécutive du syndicat. Un prochain rendez-vous a été fixé pour le 22 janvier pour reprendre les travaux du Conseil national, aujourd'hui au bord de l'implosion. Et cette situation de blocage dure depuis le 28 novembre à Bouznika, date de la clôture des travaux du IIIe congrès de la centrale affidée à l'USFP. Ce jour-là, les 207 membres du Conseil national, parlement du syndicat, désignés par les 1 187 congressistes ayant participé à la grande messe de Bouznika, avait convenu de se retrouver le 26 décembre pour élire, à leur tour, les 15 membres du bureau central, puis dans un second temps, le nouveau secrétaire général de la FDT. Seul hic, le syndicat se retrouve avec deux prétendants au poste de patron : Abderrahmane Azzouzi, le sortant et son ex-adjoint, Abdelhamid Fatihi, qui est, par ailleurs, président du groupe parlementaire de la FDT à la 2e Chambre. Qu'est-ce qui coince ? L'épine de la rose socialiste. La candidature de Fatihi n'est en fait pas pour plaire aux grands ténors du bureau politique de l'USFP. Ainsi, le premier secrétaire Abdelwahed Radi et d'autres membres ont pesé de tout leur poids pour dissuader le candidat, partisan de l'indépendance du syndicat vis-à-vis de la direction du parti, de se présenter à la course. Cela, au terme d'une longue réunion tenue la veille de la session du Conseil national, du 26 décembre dans le siège régional de l'USFP au quartier des Habous, entre membres du bureau politique et une majorité des membres du conseil. Les appuis que M. Fatihi compte dans le même bureau politique n'ont pu faire pencher la balance de son côté. Pour le moment. L'USFP vit dans la hantise de la séparation avec la CDT et tient à garder la main sur la FDT Mais, avant d'aborder l'épineuse question de désigner son nouveau secrétaire général, la FDT devrait d'abord résoudre une équation tout aussi problématique : comment contenter les quatre sensibilités politiques qui la composent, entre l'USFP -qui est majoritaire-, le PPS, le PSU et le Parti de la gauche verte (PGV). De ce fait, la répartition des 15 sièges du bureau national se ferait, non pas selon le poids politique de chacune des formations, mais en tenant compte d'autres calculs politiques. Une situation que les militants du syndicat revivent pour la deuxième fois en ces deux dernières décennies. «Cela s'est passé exactement de la même manière au premier congrès de la FDT, en 2003. Le bureau politique, dirigé par Abderrahmane Youssoufi, alors premier secrétaire, avait imposé Taïb Mounchid à la tête du syndicat nouvellement créé après la rupture, en 2002, entre la CDT [NDLR : Confédération démocratique du travail] et l'USFP», se rappelle Houcine El Kafouni, ancien dirigeant du syndicat des phosphatiers affilié à la CDT qui a rejoint, depuis, la FDT. Aujourd'hui, «cette impossible cohabitation entre deux tendances au sein de la FDT risque très fort d'aboutir à une scission au sein du syndicat», observe le politologue Mohamed Darif. Il faut rappeler que la FDT est la troisième force syndicale dans le secteur privé, après l'UMT et la CDT et la deuxième dans la fonction publique après la CDT, selon les résultats des dernières élections professionnelles de mai 2009. On l'aura compris, l'USFP, déjà mal en point sur le plan politique, ne tient pas à perdre son influence syndicale et l'épisode vécu avec la CDT est encore vivace dans les mémoires. Mais l'USFP n'est pas la seule à se démener. Ces accointances entre partis et syndicats ont déjà coûté quelques scissions à la même CDT, à l'UGTM (Union générale des travailleurs du Maroc) mais aussi, plus récemment, à l'UNTM (Union nationale du travail au Maroc). Selon Mohamed Darif, «l'histoire du syndicalisme marocain a toujours été caractérisée par des liens étroits entre le politique et le syndical. Il est d'ailleurs impossible de séparer les deux. Ce qui est, par contre, problématique c'est l'interférence du partisan dans le syndical». Si, comme l'explique cet universitaire, cette dimension politique dans l'action syndicale a toujours servi comme une boussole, l'obligation faite aux syndicats affidés aux partis de suivre le propre agenda de ces formations politiques conduit immanquablement à des situations de blocage et vide l'action syndicale de son sens. L'UMT réussira-t-elle à garder éternellement son indépendance ? Seule l'UMT semble avoir compris la leçon et décidé, depuis 1978, de couper ses liens directs avec les partis politiques. Ceux entretenus avec l'Istiqlal depuis 1955, puis l'UNFP, à partir de 1959. «C'est sans doute pour cette raison que le Xe congrès du syndicat, tenu les 11 et 12 décembre dernier, s'est passé dans de bonnes conditions et sans heurts», commente Saïd Safsafi, membre du bureau national de l'Union syndicale des fonctionnaires, USF-UMT, et néanmoins siégeant au sein du comité central du PPS. Toutefois, même la puissante UMT n'a pas totalement résolu cette question. En effet, une rencontre nationale à ce sujet doit se tenir prochainement. Pour la première fois, en effet, depuis la rupture de tout lien direct avec les partis politiques, se pose la question de la présence des sensibilités politiques dans les instances dirigeantes du syndicat. Deux tendances majeures ont pu, en effet, obtenir droit de cité dans le secrétariat national désigné au dernier congrès : Annahj Addimocrati, représenté au moins par 3 des 15 sièges de cette instance et le PPS, sans compter le PADS d'Ahmed Benjelloun et le PSU de Mohamed Moujahid. Cela ne veut pas dire que les autres tendances politiques, à l'instar de l'UC et du RNI, sont complètement absentes, mais la gauche pèse lourd. Ainsi, au niveau sectoriel, les petits partis de la gauche contrôlent actuellement les secteurs de l'agriculture et l'Union des fonctionnaires. Un changement radical. En effet, «dans le passé, sous Mahjoub Benseddik (NDLR : décédé le 17 septembre 2010), des consignes avaient été habituellement données aux militants pour voter UC lors des élections», note Mohamed Darif. Il faut dire que dans l'histoire moderne du pays, le mouvement national a été, dès le début, indissociable du mouvement syndical. Partis et syndicats ont, de ce fait, toujours cohabité. «Nous avons vécu plusieurs manifestations de cette cohabitation. Généralement, ce sont les partis qui ont toujours contrôlé les syndicats. Pendant certaines périodes c'est plutôt le contraire qui s'est produit», explique Mohamed Darif. L'USFP, à l'origine de la création de la CDT en 1978, a bien été contraint de se plier à certaines positions, jugées alors très avant-gardistes, de son syndicat alors au summum de sa force, au début des années 1980. La même CDT, une fois sa rupture consumée avec l'USFP, en 2002, a créé son propre parti, le Congrès national ittihadi (CNI). Des idées partisanes mais également extrémistes… Parfois, ces liens s'avèrent dangereux. Par exemple, chez l'UNTM, bras syndical du PJD, c'est une problématique d'un autre ordre qui se pose. Cette fois, ce n'est pas seulement le parti qui impose sa musique au syndicat -un accord a d'ailleurs été signé entre les deux organisations en février 2008- mais l'UNTM, dont la création est, rappelons-le, antérieure à celle du PJD, est également soumise au diktat du Mouvement unicité et réforme (MUR), matrice idéologique du PJD. Conséquences de cette liaison à trois dimensions : plusieurs défections dont les premières remontent à 2002. La dernière scission est signée, en septembre dernier, par Abdeslam El Maâti, fondateur de l'UNTM, alors sous la coupe du MPDC (Mouvement populaire démocratique et constitutionnel) de Abdelkrim El Khatib. Depuis, l'UNTM est déclinée en deux versions, toutes les deux reconnues par l'autorité compétente, le ministère de l'intérieur en l'occurrence. L'affaire a été portée devant la justice. En attendant, l'UNTM tendance Abdeslam El Maâti est régulièrement mise au devant de la scène pour affaiblir le bras syndical du PJD et par-delà même le parti. Quant à l'UGTM, syndicat créé en mars 1960 par l'Istiqlal pour contrer l'hégémonie de l'UMT, il se retrouve aujourd'hui dans une bien mauvaise posture. Le syndicat est considéré comme organe parallèle du parti et Hamid Chabat, qui a réussi à en prendre les commandes après deux putschs, siège au comité exécutif de la formation aux commandes du gouvernement. Une posture qui a imposé au syndicat un alignement inconditionnel sur les positions de l'exécutif, mais qui lui a également coûté quelques défections. C'est l'exemple de l'Union générale démocratique du travail (UGDT), née, en novembre 2008, sous l'aile du Parti de l'unité et de la démocratie (PUD), lui-même issu de la deuxième scission de l'histoire de l'Istiqlal. L'UGDT est, aujourd'hui, membre fondateur de l'Union des syndicats autonomes au Maroc, créée en avril 2009 et qui s'apprête à accueillir, dans les jours à venir, une vague de syndicalistes des transports mécontents de traitement que l'UGTM a réservé au nouveau code de la route, confie Mohamed Marfouq, membre du bureau national de l'USAM. Face à ces départs collectifs, l'UGTM change de stratégie et a commencé à participer aux différents mouvements de contestation sociale. «Ce revirement s'explique par une quête de légitimité. L'UGTM ne pouvait plus rester les bras croisés alors que d'autres syndicats affidés aux partis partenaires de l'Istiqlal au gouvernement, la FDT en l'occurrence, battent le pavé pour dénoncer la politique gouvernementale», explique Mohamed Darif. Ce n'est pas la première fois qu'on fait face à une telle concurrence. La CDT, dont les dirigeants de l'époque, Noubir Amaoui et Abdelmajid Bouzoubaâ, du temps du gouvernement d'alternance, siégeaient au bureau politique de l'USFP, n'hésitait pas à observer des mouvements de grève dans plusieurs secteurs. Parapluie politique et prolongement syndical En somme, pour reprendre les termes de l'universitaire Mohamed Darif, chaque parti a veillé à disposer d'un prolongement dans la classe ouvrière à travers son propre syndicat, ce qui a dénaturé le rôle même des centrales, qui sont devenues des arrière-cours de pouvoir. Seul le PPS semble avoir dérogé à la règle. L'expérience des commissions ouvrières marocaines, tentée en 1997 par certains militants du parti, a tourné court. Actuellement, le parti de Nabil Benabdellah est très présent dans l'UMT et, dans une moindre mesure, la FDT et la CDT. Les relations entre l'UC et l'UMT ne sont plus à prouver alors que le MP dispose actuellement de trois syndicats hérités des trois anciennes composantes de la mouvance populaire. Quant au PAM, certaines parties de la classe politique lui prêtaient déjà une velléité de rapprochement avec l'UMT depuis les premiers mois de sa création. Car, c'est désormais chose consacrée, la création d'un syndicat suit immédiatement la création d'un parti politique à telle enseigne qu'on compte actuellement une vingtaine de centrales syndicales au Maroc. Balkanisation ou pluralisme syndicale ? Les avis sont partagés. Quant à une éventuelle unité syndicale, discours de plus en plus en vogue, elle reste dans le domaine de l'utopie. Faut-il pour autant tracer une ligne de démarcation entre le politicien et les syndicalistes ? Ce serait illusoire, rétorquent de nombreux interlocuteurs. «Il ne faut pas se leurrer, c'est au Parlement que se décident les lois qui régissent le pays. Nous sommes donc contraints d'ouvrir des canaux vers cette institution pour faire entendre notre voix. Cela ne peut se faire sans l'appui des parlementaires et des partis politiques», affirme Mohamed Marfouq, dirigeant de l'USAM. C'est pour dire que les liaisons entre les deux monde ne sont pas pour disparaître, bien que ces accointances partis-syndicats ne sont plus que de vagues souvenirs dans les pays qui servent comme exemple.