La CGEM réclame d'abord des garanties sur le financement du déficit des caisses d'assurance maladie, s'inquiète de la qualité des prestations et met en doute les études actuarielles de l'ANAM. La ministre de la santé évoque le vide juridique à combler avant de discuter les points d'inquiétude et juge la généralisation de l'AMO nécessaire. Le basculement des 350 000 assurés vers le régime d'assurance maladie obligatoire se fera-t-il finalement le 1er janvier 2013 comme le prévoit le gouvernement qui a préparé à ce sujet un projet d'amendement de l'article 114 de la loi 65-00 régissant l'AMO ? Alors que Yasmina Baddou, ministre de la santé, devait présenter le projet d'amendement dans le circuit d'adoption, le 30 septembre déjà, au gouvernement, la démarche risque d'attendre encore quelques semaines si toutefois elle a lieu. Car entretemps, la réunion tenue à ce sujet, le 2 novembre, entre les représentants du gouvernement et la Condéfération générale des entreprises du Maroc est venue compliquer les choses. Flash-back. Depuis l'entrée en vigueur de la loi sur l'assurance maladie obligatoire, l'article 114 de ladite loi donnait 5 ans aux entreprises ayant assuré leurs employés chez le secteur privé pour basculer vers le régime général, sachant que ce dernier avait récupéré lors de son démarrage toute la population des salariés privés, auparavant non assurée. Dans la loi, ce délai de cinq ans pouvait être reconduit pour une période restant à fixer par le Premier ministre. Les assureurs privés ayant demandé un délai supplémentaire de 5 ans, pour ne pas perdre un chiffre d'affaires de 2 milliards de DH, constitué des primes d'assurance payées par les 350 000 salariés en privé en compte et l'Agence nationale de l'assurance maladie ayant demandé à ce que le délai soit ramené à deux ans à peine, la poire a été coupée en deux. Trois ans à compter du 1er janvier 2010, ce qui ramène le fameux basculement au 1er janvier 2013. Ce qui devait alors être une simple réunion de concertation avec le patronat s'est révélé être un casse-tête. Selon des personnes présentes dans la salle, les représentants du patronat ont remis en cause la pertinence du basculement en invoquant le danger du déficit des organismes gestionnaires. Au cours de cette rencontre, le patronat a émis des réserves sur les projections actuarielles fournies par l'ANAM, en janvier dernier, au moment de l'extension de l'AMO à l'ambulatoire. D'après les prévisions de l'agence, le régime de la CNSS accusera, dès 2011, un déficit de 145 MDH qui atteindra 757 MDH dès l'année suivante puis 1,56 milliard en 2013. Certes, l'Anam soutient que le basculement des 350 000 salariés permettra, à travers l'augmentation de l'assiette des cotisations, de donner du souffle au régime mais, pour le patronat, il met en doute les données actuarielles avancées par l'agence. Pour un administrateur de la CGEM, «ces données ne sont pas fiables et donnent à réfléchir. Comment alors peut-on envisager un basculement des assurés vers la CNSS dont l'équilibre est sérieusement menacé ? Qui va financer le déficit». Plus ou moins de déficit pour la CNSS avec 350 000 cotisants/assurés de plus ? Derrière les interrogations des patrons se profile en fait un souci économique. Ce qu'ils craignent en fait c'est la hausse du taux de cotisation que les employeurs seraient contraints de payer pour couvrir leurs salariés, puisque l'AMO est, par essence, obligatoire. Il n'ont peut-être pas tort. Une étude réalisée récemment en interne chez la CNSS révèle que si le basculement se faisait en 2011, par exemple, l'équilibre du régime serait compromis. Pour éviter cela, l'étude recommande une hausse de trois points du taux de cotisation. Celui-ci devrait alors passer de 5,5 à 8,5% réparti entre les employeurs (50%) et les salariés (50%). Autre argument avancé par la confédération patronale qui insiste sur le fait qu'elle n'est pas contre un basculement mais que celui-ci doit être bien réfléchi, celui de la qualité des prestations. Il faut rappeler à cet effet que l'AMO a été étendue aux soins ambulatoires en février 2010 mais exclut de sa couverture, pour des raisons d'équilibres à préserver, les soins dentaires, sans compter que le taux de remboursement des frais engagés est nettement moindre que celui accordé par les assureurs privés. En ce sens, les entreprises craignent non seulement une hausse des taux destinés à couvrir le déficit du régime mais également de devoir payer une assurance complémentaire chez les assureurs privés, ce qui reviendrait, in fine, à payer plus cher que ce qu'ils déboursent actuellement. «Comment accepter que les salariés en passant à l'AMO aient un panier de soins plus réduit ?», s'interroge-t-on du côté du patronat. Le patronat a tiré donc la sonnette d'alarme lors de la réunion qui s'est terminée en queue-de-poisson. Pour certains, on s'éloigne un peu plus du basculement puisqu'il a été décidé de créer une commission technique constituée des représentants des divers ministères concernés, de la CGEM, de l'ANAM et des caisses gestionnaires. Cette commission aura pour rôle, explique une source proche du dossier, d'«expliquer et de sensibiliser la CGEM et les assureurs sur la position du gouvernement par rapport à l'article 114 de la loi 65-00». Reste à savoir si cette démarche de vulgarisation est nécessaire. Selon des assureurs, l'action de sensibilisation n'est actuellement d'aucune utilité «dans la mesure où il ne s'agit plus de vulgariser quoi que ce soit parce qu'il est grand temps de répondre à des questions cruciales liées à la faisabilité du basculement vers la CNSS» . Dans tous les cas, les différentes parties se sont donné un mois pour y voir plus clair et des réunions ont eu lieu cette semaine pour commencer à travailler sur le sujet. Et si rien de concret n'en sort ? Pour Yasmina Baddou, la décision sur le basculement doit avoir lieu d'abord pour des raisons juridiques. Jointe au téléphone par La Vie éco, dans la soirée du mardi 9 novembre, la ministre explique que «depuis août dernier, le délai fixé par la loi 65-00 a expiré et en vertu du texte, les 350 000 salariés du privé doivent aujourd'hui avoir basculé vers l'AMO». Les deux textes d'application qui ne sont toujours pas sortis Cet état de fait justifie largement à ses yeux l'amendement de la loi 65-00. «Il faut d'abord changer la loi. Les entreprises sont aujourd'hui en situation d'illégalité. La prorogation ou non du délai de basculement doit se faire. On pourra ensuite discuter des modalités du basculement, des équilibres des caisses d'assurance maladie, des taux de cotisations et tout le reste. Nous aurons plus de deux ans pour le faire, mais mettons-nous en conformité d'abord. Il y a un vide juridique qui ne peut durer». A la question de la qualité des prestations offertes par les organismes gestionnaires de l'AMO, la ministre oppose d'autres arguments. «Il y a aura une offre de soins complémentaires qui sera fournie par des produits d'assurance que le secteur privé va développer. En revanche, seul le passage à l'AMO permettra aux assurés d'être couverts pour certaines maladies lourdes comme le cancer ou les pathologies cardiovasculaires, même s'ils ont été affectés antérieurement à leur couverture. Par ailleurs, seule l'AMO offre un déplafonnement du montant des soins. Il faut prendre cela en considération». En conclusion, les patrons ne veulent pas valider un basculement qui les conduit à ne pas savoir à quel sauce ils vont être mangés en matière de charges salariales, l'agence de l'AMO invoque la nécessité dudit basculement pour sauver le système d'une faillite annoncée et l'Etat brandit l'argument juridique, tout en rassurant au maintien des négociations… après fixation du délai de passage à l'AMO. Dans ces conditions, le basculement aura-t-il lieu en janvier 2013 comme prévu ? Y aura-t-il un délai plus long ? Aura-t-il lieu seulement ? La question mérite d'être posée surtout lorsque l'on sait qu'un argument juridique, à propos duquel le Secrétariat général du gouvernement avait déjà donné raison aux assureurs, pourrait être à nouveau brandi par ces derniers. En effet, la première période de transition de 5 ans, existant dans la loi 65-00, ne commence à courir, selon le texte, qu'après la publication de l'ensemble des décrets d'application l'accompagnant au Bulletin officiel. Or, à ce jour, deux d'entre eux ne le sont toujours pas. Le premier est relatif à l'extension de la couverture maladie obligatoire aux parents de l'assuré. Le retard de la publication de ce texte est dû au fait que l'ANAM n'a pas encore finalisé l'évaluation de l'impact financier de l'extension. Quant au second qui doit régir le transfert des malades à l'étranger, il dépend de la liste des pathologies nécessitant un transfert, qui n'est toujours pas établie. Enfin, si l'on ne parle aujourd'hui que de la CNSS, l'Etat devra faire également face à un autre problème. Celui de la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale, qui couvre les salariés du secteur publics. Le basculement de tout le monde vers l'AMO obligerait cette dernière à absorber les Caisses mutualistes déficitaires des salariés de nombreux établissement publics qui aujourd'hui n'entrent pas dans le champ de l'AMO. La CNOPS est tout aussi menacée d'un lourd déficit en cas de généralisation. Un casse-tête de plus.