L'appareil judiciaire est prévu pour rectifier les différentes déviances que peut commettre l'être humain. Il se doit donc de faire preuve de rigueur, de patience et de compréhension parfois. En tout cas, le monde des tribunaux n'est pas celui des adolescents. L'appareil judiciaire est prévu pour rectifier les différentes déviances que peut commettre l'être humain. Il se doit donc de faire preuve de rigueur, de patience et de compréhension parfois. En tout cas, le monde des tribunaux n'est pas celui des adolescents. En ce mois de septembre, il fait encore doux en fin d'après-midi. Devant un établissement scolaire huppé, des lycéens sortent de cours. Ça bavarde, ça papote et ça chahute. L'un des jeunes remarque un scooter, dont le cadenas est cassé. Il s'assoit dessus, puis apercevant une amie de classe, lui propose de faire un petit tour en moto, pas très loin, juste autour du lycée. «Je le remettrais à sa place», se dit-il. Aussitôt dit, aussitôt fait, et les voilà partis pour une agréable promenade… qui n'allait pas tarder à virer au cauchemar ! En effet, quelques centaines de mètres plus loin, les deux jeunes amis sont interpellés par un motard de la police, qui avait remarqué qu'ils ne portaient pas de casque. Invité à présenter les papiers du scooter, le conducteur répond en toute naïveté que l'engin ne lui appartient pas, qu'il n'a fait que l'emprunter et que, de toute façon, il allait le rendre immédiatement. Pas si vite, lui répond le policier ; en droit pénal, «emprunter quelque chose, à un inconnu, et sans son accord explicite» , s'appelle du vol. Quant à la pieuse intention de la restitution, elle est amusante et pourrait (éventuellement) être retenue comme circonstance atténuante. Les adolescents croient encore que ce n'est qu'une plaisanterie, lorsque le fourgon de la sûreté nationale arrive, et que des policiers affairés en descendent. «Où sont les voleurs ? Comment ont-ils été arrêtés, y a-t-il flagrant délit» , clament-ils, pensant avoir affaire à de dangereux malfrats …avant de découvrir avec stupeur deux enfants apeurés, qui commencent confusément à comprendre que la situation se compliquait. Dorénavant, tout le monde est bien embêté : le motard zélé explique qu'un conducteur de moto sans casque devait être contrôlé, et qu'il n'a fait que son devoir en signalant la situation à son PC, lequel a bien dépêché des policiers sur place, déplacement consigné dans les registres, donc pas question de rentrer au central sans les «voleurs» appréhendés ! Et voilà tout ce beau monde de retour au commissariat : les policiers ne sont pas fiers de leur prise (mais n'y peuvent plus rien), les adolescents sont complètement paniqués et les agents en poste bien embarrassés. Un vol simple est puni de six mois à trois ans de prison, un vol qualifié (et c'est apparemment le cas, avec la présence du cadenas cassé) peut coûter jusqu'à cinq années d'emprisonnement. Que faire en pareil cas ? Se montrer intransigeant et appliquer les procédures prévues, c'est-à-dire placer les jeunes en garde à vue, rédiger des procès-verbaux d'audition, puis déférer les prévenus devant un substitut du procureur du Roi qui décidera de la suite à donner à l'affaire ? Ou se montrer conciliant, compréhensif et laisser partir les deux jeunes sans autre forme de procès ? Les policiers hésitent, jaugent le pour et le contre, se consultent, puis optent pour la seconde solution, au grand soulagement des adolescents qui ont suivi le débat. Mais nous sommes au Maroc : décider une chose, c'est bien, encore faut-il l'appliquer : et là, problème ! Les policiers sont bien d'accord pour se montrer magnanimes, mais aucun d'entre eux n'est volontaire pour signer le procès-verbal mettant fin à la garde à vue. (Il faut bien savoir gérer une carrière, et la clémence chez un policier n'est pas la qualité particulièrement appréciée par la hiérarchie !) Retour à la case départ : on applique le règlement. Les parents des adolescents sont avisés, les interrogatoires de routine commencent, les jeunes jurant n'avoir jamais eu d'intention criminelle (ce que les policiers veulent bien admettre), et les procès-verbaux d'audition rédigés, signés…puis déposés sur un bureau. Fin du service : il est 20 heures pile. On renvoie les parents atterrés, on place les adolescents dans une cellule de garde à vue, on explique la situation aux nouveaux policiers venant prendre leur service, leur enjoignant de ne pas trop brusquer les jeunes maintenant carrément terrorisés…et on s'en va. On imagine la longue nuit qui a suivi, l'angoisse des parents, la peur des adolescents, les conciliabules familiaux, les appels tous azimuts pour trouver une aide ou un soutien…Dans certaines situations, les nuits peuvent sembler durer une éternité… Le lendemain matin, les deux jeunes gens sont enfin transférés au parquet, où, contre toute attente, leur cauchemar va enfin cesser. Un magistrat compréhensif et humain leur fait une courte leçon de morale, expliquant qu'en Droit la notion d'«emprunt provisoire» n'avait pas la même signification que dans une cour de lycée, et les invitant à faire désormais plus attention à ce genre de détails, qui ne concernent pas que les adultes.