Un citoyen a emprunté une somme, l'a remboursée avant l'échéance prévue, et a même reçu une attestation de bonne fin de crédit, dans laquelle la banque le félicite et se déclare à sa disposition pour toute autre demande. Tout va bien, sauf que le client voit arriver un huissier de justice, le sommant d'acquitter rapidement sa dette, sous peine des pires maux. Les litiges entre citoyens et banques sont légion, ce qui est d'ailleurs normal et témoigne d'une certaine vitalité de l'économie nationale. Etant donné qu'en cas de conflit les avis des deux parties divergent, le législateur, dans sa grande sagesse, a instauré des règles précises, afin de faciliter le traitement de ce genre d'affaires. Ainsi lors d'un désaccord bancaire porté devant la justice, le dahir du 6 juillet 1993, réglementant l'activité des institutions bancaires prévoit que le relevé de compte, issu des registres comptables de la banque fait foi entre les parties, jusqu'à preuve du contraire. C'est le fameux article 106 dont l'application a fait, et fait encore, couler beaucoup d'encre. Cet article précise, notamment, que ces relevés doivent respecter les mesures édictées par la Banque du Maroc, entre autres la présence obligatoire de certaines mentions comme le mode de calcul des intérêts, le taux d'intérêt appliqué ou encore la nature et le montant des taxes prélevées (art. 1 et 2 de la circulaire n° 4/J/98 du wali de Bank Al Maghrib). Or les banques n'appliquent que rarement ces dispositions, et ont tendance à confondre «l'extrait de compte» avec le «relevé de compte», le premier étant moins précis que le second. Dès lors, les tribunaux se retrouvent bien embarrassés lorsqu'il s'agit de statuer. Ils arrivent ainsi à prononcer des jugements cocasses, pour ne pas dire plus. Voici donc le cas d'un citoyen en litige avec sa banque : il a emprunté une somme, l'a remboursée avant l'échéance prévue, et a même reçu une attestation de bonne fin de crédit, dans laquelle la banque le félicite et se déclare à sa disposition pour toute autre demande. Tout va bien, sauf que le client voit arriver un huissier de justice, le sommant d'acquitter rapidement sa dette, sous peine des pires maux. Interloqué, il saisit la justice et se voit opposer par la banque le fameux relevé de compte où il apparaît toujours comme débiteur. Il conteste alors la validité du relevé de compte produit, arguant qu'il ne comporte pas les mentions prévues dans l'article 106 déjà cité. La Cour reconnaît qu'effectivement le document en question n'est pas conforme aux dispositions légales et ordonne une expertise… aux frais (élevés) du citoyen. Lequel se rebiffe et refuse de payer, s'estimant suffisamment lésé. Erreur d'appréciation car le voilà condamné à s'acquitter (une seconde fois) de sa dette envers la banque. En effet et dans un revirement spectaculaire, le magistrat en charge du dossier a estimé que la dette était avérée, prouvée et justifiée par le relevé de compte… qu'il avait lui-même estimé non réglementaire quelques lignes plus tôt ! Il argumentera dans ses attendus que le fait d'avoir refusé le paiement des frais d'expertise, équivalait pour le citoyen à reconnaître l'existence d'une dette, ce qui est farfelu pour l'ensemble des juristes interrogés. Notre citoyen a donc relevé appel de ce jugement et il semblerait que les conseillers de la Cour d'appel privilégient une autre approche bien plus légaliste que leur collègue de première instance. Il convient de relever qu'en ce domaine particulier, les incompréhensions entre justiciables et magistrats sont nombreuses et fréquentes. Au point d'ailleurs de susciter maints écrits et recherches sur le sujet épineux de la force probante des relevés de compte devant la justice (*). Tous les tribunaux du Royaume sont concernés par ces litiges, et la jurisprudence abonde en la matière. Mais on constate en l'étudiant qu'il y a peu d'uniformité dans les jugements: tel tribunal privilégiant les thèses de la banque, là où tel autre prête une oreille attentive aux doléances des clients. Le fait est que la plupart des citoyens ignorent certains de leurs droits, que des juristes méconnaissent parfois quelques textes de loi, et que des magistrats insuffisamment informés peinent à suivre des jurisprudences, dont ils ne seront que tardivement informés. L'une des solutions envisageables consisterait à organiser régulièrement des séances d'information et de formation pour tous les intervenants concernés, afin d'unifier le travail judiciaire, garantissant ainsi une meilleure application des textes et lois en vigueur. (*) Entre autres, l'ouvrage «Des relevés de compte en matière de preuve» ; de Mohamed Al Ouasbi (2005)