Etape incontournable aussi bien que déterminante dans le processus de relance du développement, la justice demeure un passage obligé, pour le règlement des litiges d'ordre financier entre autres. Promotrices de croissance économique, les institutions bancaires ont besoin, par la nature même de leur mission, d'une souplesse juridique à même de faciliter leur tâche. Les textes juridiques suivent-ils cette évolution ? Nos juristes bénéficient-ils de la formation adéquate pour statuer dans les affaires d'ordre financier ? Et les rouages labyrinthiques de la justice ne risquent-ils pas de freiner la relance des investissements au nom de la rigueur administrative ? Au cœur du quatrième séminaire sur la pratique judiciaire et bancaire, qui s'est tenu, les 17 et 18 mai dernier, dans l'enceinte de l'Institut des études nationales judiciaires (INEJ), ces questions ont constitué les différentes facettes d'une même problématique, celle de l'accompagnement par la justice marocaine du développement économique. S'inscrivant dans cette optique, les orientations de S.M. le Roi Mohammed VI, depuis la lettre royale du 9 janvier jusqu'au discours du 1er mars dernier devant le Conseil supérieur de la magistrature, recommandent la mise à niveau de la justice avec, pour corollaire, le renforcement des compétences des tribunaux de commerce. Les dernières percées enregistrées, avec la création des tribunaux de commerce en 1997 (8 tribunaux depuis fin 2001 avec 3 cours d'appel de Casablanca, Fès et Marrakech), celle du Conseil de réforme judiciaire, associant juristes et banquiers, et l'élaboration du nouveau code de commerce et des lois sur les sociétés, dénotent explicitement la nouvelle dynamique de réglementation des investissements dans leur version régionalisée. Mais, face à la complexité du travail de la magistrature commerciale, mais aussi à la modicité des moyens mis à leur disposition, cette aspiration reste sans réel impact dans la réalité. En effet, la carence d'effectifs (le tribunal de commerce de Rabat, à lui seul, traite 40.000 dossiers avec 15 magistrats uniquement) et le manque de formation appropriée rendent “moins efficace” le travail de la justice. Cependant, tranchant avec la traditionnelle lenteur de la pratique judiciaire, les arrêts de la jurisprudence marocaine en matière commerciale marquent une nouvelle ère dans l'évolution de la justice. Les interventions se sont principalement accentuées sur des problématiques considérables, telles que les épineuses questions de la cessation de paiement ou des garanties bancaires. En effet, le rôle joué par les banques dans la promotion du tissu économique, qui se traduit concrètement par l'octroi de crédits aux organismes privés, notamment les PME, nécessite un traitement spécial des dossiers soumis à la justice et ce, afin d'alléger la procédure judiciaire. Face au laconisme de la législation marocaine sur la question, c'est-à-dire en l'absence de définition explicite de la situation de cessation de paiement, les magistrats des tribunaux de commerce ont un pouvoir quasi discrétionnaire, avec une marge de manœuvre plus ou moins étendue en matière d'appréciation et d'interprétation. A cet égard, les jugements des tribunaux de commerce sont définitifs et non passibles de recours en cassation, ce qui démontre la place prépondérante de ces magistrats, mais traduit également le souci d'accélération de la procédure judiciaire en matière commerciale. Calqués sur le modèle français, les textes de loi marocains, depuis le Dahir du 12 août 1915 jusqu'au nouveau code de commerce du 1er août 1996, ne déterminent pas la nature de la cessation de paiement. Toutefois, au-delà de la conception traditionnelle, qui limitait la cessation de paiement à l'insolvabilité de l'entreprise, la nouvelle optique juridique est centrée sur la situation financière de l'entreprise débitrice (déséquilibre irréversible de la situation financière.) C'est dans ce cadre que la loi française du 25 janvier 1985, en rupture avec l'ancien système, lie la cessation de paiement à la situation financière de l'entreprise. De ce fait, le redressement judiciaire est applicable à toute entreprise dont l'actif ne couvre plus le passif. Dans le même esprit, le législateur marocain, en faisant de la cessation de paiement une condition nécessaire de l'ouverture de la procédure de redressement, à travers l'article 560 du code de commerce, la détermine par l'impossibilité pour l'actif disponible de couvrir le passif exigible. Toutefois, en substituant le terme “impossibilité de paiement” par “qui n'est pas en mesure”, il a élargi le champ d'application de la procédure, ou du moins l'a rendu ambiguë, conférant ainsi aux magistrats des tribunaux de commerce un large pouvoir d'interprétation de la loi. Ayant établi des conditions de fond (incapacité de l'entreprise à honorer ses engagements financiers) et de forme (les parties pouvant solliciter la procédure de cessation de paiement : le chef de l'entreprise dans un délai de 15 jours suivant la cessation, le créancier, le parquet ou le tribunal de manière spontanée), le législateur marocain a donné deux critères (juridique et comptable) de délimitation de la situation de paiement. Et il a confié aux juges les moyens appropriés pour déterminer la situation de la cessation de paiement, par le biais de l'expertise comptable et de syndics nommés par le tribunal. Toutefois, l'impartialité de l'enquête n'est pas toujours assurée. S'adaptant au nouveau concept économique et donc, tenant compte des difficultés financières de l'entreprise, le redressement judiciaire a pour condition obligatoire la cessation de paiement. L'ouverture de la procédure de cessation de paiement relève de la seule appréciation des magistrats. Ce pouvoir discrétionnaire d'interprétation confère à ceux-ci une autorité qui, si elle pare aux éventuels dérapages des entreprises insolvables, peut entraîner certains abus. Directeur des affaires juridiques de la BCP, Said Berbale a appelé la justice marocaine à assister ces bailleurs de fonds pour parer aux difficultés auxquelles ils font face, comme la lenteur des procédures judiciaires en matière d'impayés. Et, bien que la jurisprudence commerciale marocaine ait réalisé des percées considérables, notamment sur l'hypothèque et la saisie, c'est au niveau des applications que les difficultés émergent. C'est dans ce cadre que le législateur a doté les magistrats de pouvoirs étendus pour prévenir d'éventuels impayés et des pièces les justifiant, comme les relevés de compte. Etablis par les établissements de crédit selon les modalités arrêtées par le gouverneur de Bank Al Maghrib, tel que le stipule la circulaire du 5 mars 1998, les relevés bancaires constituent le listing chronologique de l'ensemble des opérations financières, bancaires ou autres. Mais, une question demeure : la mise à niveau au sein de l'INEJ, les séminaires réguliers, les stages à l'étranger et la coopération régulière avec les organismes financiers suffisent-ils pour doter les magistrats des tribunaux de commerce de la formation adéquate dans le traitement des dossiers commerciaux, notamment banquiers ?