Il y a 20 ans, 80% des Marocains étaient inquiets pour l'avenir. Le Maroc change mais le déficit de communication entretient la confusion. L'Etat et le citoyen assument encore mal la liberté. Où va le Maroc? Sous une forme ou une autre, la question est, ces derniers temps, sur beaucoup de lèvres. Qu'il s'agisse de la sphère privée ou publique, les Marocains nous ont semblé manifester les mêmes appréhensions. Ils sont dans le flou. Un sondage (Argos Marketing pour La Vie éco) entrepris auprès d'une population de diverses catégories socioprofessionnelles démontre que près de 80% des sondés sont inquiets pour l'avenir du pays. Leurs sources d'inquiétude ? La pauvreté, le chômage, le développement économique et social… Bref, des problèmes terre-à-terre de tous les jours.
Plus de liberté, plus d'inquiétude C'est pour essayer d'en savoir plus sur les raisons de cette inquiétude et tenter d'apporter une réponse à la question de savoir où va le Maroc que nous avons réalisé ce dossier. Une première constatation s'impose. Nous avons une fâcheuse tendance à l'autoflagellation. Nourri par le vent de liberté qui a gagné en force ces dernières années, le pessimisme est relayé, amplifié, parfois déformé, par la société civile et les partis politiques. Il trouve également un écho auprès du citoyen par le biais de la presse, qui ne voit que «les trains qui arrivent en retard». Mais il est vrai que beaucoup de nos trains n'arrivent pas à l'heure. Paradoxalement donc la liberté a provoqué l'inquiétude. Inquiétude, parce que le questionnement est plus fréquent. Inquiétude également, parce que les réponses sont souvent maladroites, quand elles existent. Le gouvernement ne communique pas assez, alors que les chantiers ouverts sont nombreux et que leur rythme de progression inciterait à l'optimisme. Les partis, prétextant un hold-up technocratique, se sont murés depuis les élections dans un silence assourdissant. Seules la société civile et la presse animent le champ du débat. Mais cette inquiétude-là est salutaire, nous dit-on. Elle prouve que le citoyen est de plus en plus lucide. Sous l'ancien règne, la question «Où va le Maroc?», qui n'est pas nouvelle, renvoyait le plus souvent à l'incertitude sur l'après-Hassan II. Aujourd'hui, elle s'abreuve à la source du chômage, de la pauvreté, de l'insécurité, de l'absence de repères… En d'autres termes, si auparavant nous disions «qu'adviendra-t-il de nous, sujets?», aujourd'hui nous disons quelle issue à nos problèmes et à ceux de notre société, à nous, citoyens ?». Une transition que nous avons encore du mal à assumer et qui participe à la confusion ambiante par la voix des nostalgiques de l'ère ancienne.
Une évolution imperceptible Cela dit, si les problèmes sont réels, l'évolution ne l'est pas moins. Le Maroc change, et pas seulement en matière de libertés. La stabilité politique et institutionnelle est plus grande qu'auparavant, les problèmes économiques, quoique encore handicapants, sont résolus petit à petit et les véritables générateurs de problèmes sociaux sont mieux cernés. La démocratie, elle, avance à pas mesurés. Aussi mesurés que ceux du citoyen qui a commencé par jouir des droits de l'Homme et qui a toujours de la peine à admettre qu'il y a aussi les Obligations de l'Homme. Bien entendu, ces changements ne se font pas sans heurts. Les dérapages, comme dans le cas de l'affaire des rockers sataniques, sont fréquents et, là encore, la communication fait défaut. Où va le Maroc donc ? Dans ce dossier, qui ne prétend pas à l'exhaustivité, nous avons donné la parole à des intellectuels qui évaluent le chemin parcouru ces dernières années et tentent de faire des projections sur l'avenir : facteurs handicapant la démocratie; rapports avec la religion; déficit de communication; changements profonds; évolution du makhzen; train de vie de l'Etat; programme du gouvernement; chômage; avancées sociales…, et pour finir, points de vue de la société civile et d'hommes politiques.