A propos des théâtres que l'on construit à grands frais et que l'on n'ouvre pas, viendrait-il un jour où l'on se demanderait pourquoi ? Serait-il temps de se poser les questions de la responsabilité, de la compétence, des publics et de la politique culturelle d'une ville ? Aadel Essaadani, Acteur culturel, il a été à l'origine de nombreux événements et festivals. Maintenant que Gad Elmaleh en a parlé, nous allons le faire, nous aussi. Et ça, en soi, c'est déjà drôle. Je veux parler des grands théâtres que nous avons construits, et qui nous ont pris, en moyenne, plus de 10 ans à construire. Qui sont finis de construction depuis belle lurette et qui ne sont, cependant, toujours pas ouverts. Intentions qui durent L'intention, au départ, est bonne, comme presque toujours. Et les officiels ne s'économisent jamais à en faire l'éloge. Oui, nous sommes experts dans l'art de communiquer, pendant très longtemps, autour d'une intention, en large, en travers, à hue et à dia. Pourvoir notre pays en très grandes et belles infrastructures de spectacles vivants était, et est toujours, une bonne intention. De plus, certains de ces théâtres sont en plein centre-ville. Des théâtres dessinés par des grands noms internationaux de l'architecture mondiale, feu Zaha Hadid à Rabat, Christian de Porzamparc à Casablanca. Que du bon ! Là où ça devient un peu moins drôle, c'est quand on ne réfléchit pas sérieusement, et avec respect pour le public, à comment faire fonctionner ces théâtres une fois construits. Les maîtres d'œuvres (concepteurs et fabricants de projets), nous les connaissons. Nous faisons même la distinction entre les stars internationales de l'architecture qui les conçoivent et les architectes marocains qui exécutent les travaux. Nous connaissons aussi les maîtres d'ouvrage (propriétaires ou porteurs des projets), la commune, la région, l'Etat ou tout ça en même temps. Maîtrise d'usage Nous avons l'habitude des officiels qui font semblant que ces infrastructures aient été conçues pour appliquer une politique culturelle qu'ils ont pensée ! Alors que nous savons que ces théâtres n'ont jamais été la conclusion d'études de besoins ou de réflexion sur des politiques culturelles. Ils ne sont que le reflet d'une intention de communication, internationale de préférence. Celle de pouvoir dire que le Maroc a aussi ses grands théâtres, comme l'Australie, comme la France, comme la Grande-Bretagne... Un théâtre devrait être destiné: au public, à la population de Casablanca, de Rabat, de Tanger... du Maroc. Ce qui est encore moins drôle, c'est la troisième maîtrise qui n'existe que rarement chez nous: la maîtrise d'usage. Pour les non-architectes, la maîtrise d'usage est la troisième dimension de l'architecture, celle qui sert à inscrire pleinement l'utilisateur final dans la définition et le développement du projet. Ici, il s'agit du public, des habitants, des Marocains, des enfants, des artistes, des professionnels de la culture, des enseignants... Théâtre à la renverse Le grand théâtre de Casablanca dont la mairie PJD réclamait les clés pour, disait-elle, le faire fonctionner avec un adjoint à la culture au charisme d'une huître, a été confié, après, à une société de développement local : Casa Event et Animation (tout un programme !) dont le directeur n'est pas réputé pour être un passionné des planches. A ce stade, il n'y a même pas besoin de demander la reddition des comptes, il ne reste que la reddition. Et nous ne savons pas, non plus, si nous sommes à l'heure des comptes. Mais ce qui est certain, c'est qu'un théâtre fini et qui n'ouvre pas, voit forcément son équipement perdre sa garantie constructeur et devenir obsolète très vite, à la vitesse des avancées technologiques. Pendant ce temps, nous perdons notre crédibilité en démontrant que c'est toujours le mode opératoire que nous n'arrivons pas encore à acquérir. Mais nous ne perdons toujours pas espoir, peuple désespérément optimiste que nous sommes. La Culture est la solution.