Les simulations faites par l'Agence de l'Amo sont inquiétantes : Cnss et Cnops cumuleront un déficit de 720 MDH en 2012 puis 1,6 milliard de DH en 2013. Le déséquilibre proviendra de l'extension du régime aux soins ambulatoires. Surfacturations, dépassement d'honoraires, prescription de médicaments chersÂ..., beaucoup de choses à revoir. Moins de six mois après l'annonce officielle de l'extension à venir du régime d'assurance maladie obligatoire aux soins ambulatoires (prévue en octobre dernier déjà et reportée à février prochain), c'est le désenchantement : le système qui a démarré en août 2006 devrait connaître son premier déficit, au titre de la couverture des salariés du privé, à partir de 2011, et au titre de celles des fonctionnaires, un an après. Ce sont les conclusions d'une étude présentée par l'Agence nationale de l'assurance maladie (Anam) le 6 janvier courant à l'occasion de la première réunion de travail avec les médecins du privé au sujet de la révision des tarifs de base des actes médicaux. Stupeur. Car l'on se rappelle des déclarations rassurantes des gestionnaires du système quand il s'agissait de défendre le projet d'extension. En mars dernier, quand le débat battait son plein à ce sujet, les représentants de la CGEM avaient, on s'en rappelle, mis en garde contre le risque de déséquilibrer le régime et préconisé une période d'observation plus longue en vue de s'assurer de la pérennité du système. Aujourd'hui, malheureusement, il semble que ces craintes étaient fondées. Ainsi, selon les prévisions de l'Anam, le régime de l'assurance maladie obligatoire une fois élargi aux soins ambulatoires, comprenant les soins optiques et à l'exclusion des soins dentaires, comme prévu, accusera, en 2012, un déficit annuel de 719 MDH et qui atteindra 1,6 milliard de DH en 2013. Ces chiffres sont basés sur des prévisions à moyen terme pour les deux caisses qui gèrent l'Amo, à savoir la CNSS et la CNOPS. Pour la CNSS gérant l'Amo pour le compte des salariés du privé, la situation, selon l'Anam, est particulièrement inquiétante puisque le premier déficit apparaîtra en 2011 déjà et il sera de -145 MDH avant de se creuser davantage pour atteindre -757 MDH en 2012 et -1,56 milliard DH en 2013. Pour le cas de la Cnops, la situation est moins alarmante avec un premier déficit de 80 MDH prévu en 2013 qui passera à 207 MDH en 2014. CNSS : Pendant les trois premières années, des excédents record en raison d'un usage faible Pourtant, la Cnss a réalisé, depuis le démarrage de l'Amo, en août 2006, un excédent annuel moyen de 1,7 milliard de DH et ses réserves provenant du régime d'assurance maladie atteignaient 4,5 milliards de DH en janvier dernier. Mais ces performances sont à relativiser par la nature des soins alors couverts et la population éligible. Par exemple, le régime s'est caractérisé jusque-là par la faiblesse du taux de sinistralité qui s'est situé, au cours des trois premières années, à 4% contre un taux de 40% affiché par les compagnies d'assurance. Cette faiblesse de la sinistralité s'explique par la jeunesse de la population actuellement bénéficiaire de l'Amo, très peu exposée aux risques couverts par le panier de soins limité aux pathologies lourdes, à la chirurgie-hospitalisation et à la prise en charge des femmes enceintes et enfants de moins de 12 ans. A cela s'ajoute le fait que même parmi la population éligible au périmètre actuel, peu en ont bénéficié, sans doute par ignorance du système ou par méconnaissance des procédures. Au cours des trois premières années, sur les 2,6 millions de personnes qui y avait potentiellement droit, 75 000 seulement avaient déposé un dossier de maladie. Et pour cause, la demande porte plutôt sur les soins ambulatoires. En mars dernier, la CNSS avait, elle-même, établi des prévisions d'ailleurs en ligne avec celles de l'Anam, à l'époque. Ainsi, une extension de l'Amo aux soins ambulatoires à l'exception des soins dentaires et de l'optique devrait préserver les équilibres du régime qui restera, selon la CNSS, excédentaire jusqu'à 736 MDH par an. En revanche, l'incorporation du dentaire et de l'optique engendrera un déficit de l'ordre de 765 MDH à 1,4 milliard de DH. Les mêmes études de la CNSS avaient permis de conclure qu'une extension de l'ambulatoire, excluant soins dentaires mais incluant optique ne mettaient pas en cause l'équilibre du régime qui enregistrerait un excédent annuel moyen de 236 MDH. Or, aujourd'hui, il semble que l'on ait été trop optimiste… Pour ce qui est du cas de la CNOPS, l'Anam explique le déficit à venir par le fait que la caisse a dû s'aligner, conformément à ses engagements de départ, sur la tarification nationale de référence dès janvier 2010 et a procédé à la révision de plusieurs tarifs (amygdalectomie, cataracte, césarienne etc.). Du coup, les sommes remboursées par la CNOPS passeront de 2,9 milliards de DH en 2010 à 3,36 milliards en 2013. D'excédentaire, le régime deviendra alors déficitaire. L'alignement de la CNOPS sur la tarification nationale de référence sonnera le glas de l'équilibre Tout ceci est aggravé, à en croire l'Anam et les organismes gestionnaires, par le fait que les deux caisses ne maîtrisent pas la consommation médicale. Et ceci pour de multiples raisons dont le poids des affections de longue durée (ALD) qui représentent aujourd'hui 45% des dépenses de l'Amo, le non-respect des conventions signées avec les médecins et les cliniques (surfacturation et dépassement d'honoraires) et le prix des médicaments. Selon le bilan des trois premières années de l'application de l'Amo effectué par l'agence, la répartition des dépenses révèle que les médicaments représentent 45,2% des dépenses de la CNOPS et 30% pour la CNSS. Par ailleurs, un autre dysfonctionnement est signalé : le dépassement des honoraires qui est surtout le fait des prestataires privés de soins. Ce qui explique, selon la CNOPS, que depuis l'entrée en vigueur de l'Amo jusqu'au 1er janvier 2010, elle a payé aux producteurs de soins 6,6 milliards de DH dont 3,4 milliards au profit des prestataires relevant du secteur privé. Ainsi, la caisse avance que les paiements au profit de certaines cliniques ont triplé depuis le démarrage de l'Amo. Les conclusions de l'Anam confortent donc les craintes du patronat quant à l'équilibre financier de la couverture médicale. Tout en acceptant le principe, à la CGEM on pense que la couverture de l'ambulatoire doit être mise en veilleuse, le temps que le système soit rodé et que l'Etat mette en place un mécanisme de garantie en cas de déséquilibre financier et que le démarrage du Régime d'assistance médicale aux économiquement démunis (Ramed) soit effectif pour éviter que l'Amo ne soit détournée au profit d'une autre cible de personnes. Faut-il reporter l'extension à l'ambulatoire en attendant de mieux maîtriser les facteurs de coût Pour leur part, certains observateurs estiment que, pour éviter un déséquilibre du régime, les organismes gestionnaires doivent s'appuyer sur des actions précises pour mieux gérer le risque et assurer la pérennité financière du régime. Ainsi, les organismes gestionnaires devraient d'abord agir sur la maîtrise médicalisée des soins de santé par la promotion du médicament et particulièrement les génériques. Ceux-ci ne représentent que 26% des prescriptions contre 74% pour les princeps. A ce sujet, la Cnops recommande que préalablement à la révision des tarifs, les prix du médicament doivent être révisés conformément au rapport de la commission parlementaire, d'une part, et, d'autre part, à la promotion des génériques. Ensuite, l'adoption des protocoles thérapeutiques constitue une urgence pour maîtriser les dépenses de soins en évitant les consommations et les prescriptions abusives. La lutte contre la fraude est le troisième axe sur lequel devraient agir les organismes gestionnaires. Les surfacturations, les dépassements d'honoraires, les chèques de garantie sont autant de pratiques que les prestataires de soins devraient bannir. D'ailleurs, dans le bilan des trois années de l'Amo dressé par la Cnops, cette dernière indique qu'elle a transmis près de 130 dossiers de violations de la convention nationale à la Commission spécialisée des conventions nationales de l'Anam qui ne les a toujours pas examinés. La Cnops exige également le traitement de ces dossiers avant le démarrage des négociations des tarifs. Par ailleurs, les deux caisses tout comme l'Anam devraient s'investir dans la prévention, ce qui induira une maîtrise des dépenses de soins. Une augmentation des cotisations étant écartée, seule une meilleure maîtrise des risques permettra de sauver le régime de l'Amo d'une faillite annoncée. Car quand bien même des réserves ont été constituées, il suffira de cinq à six ans pour que les caisses n'aient plus les moyens de rembourser les dossiers médicaux. C'est une affaire impliquant aussi bien les organismes gestionnaires, l'Anam que le ministère de la santé qui, il y a quelques mois, mettait l'accent, pourtant, sur la bonne santé du nouveau système de couverture médicale.