Sites officiels, forums, réseaux sociaux, blogs : une bataille quotidienne entreprise aussi bien par les citoyens ordinaires que par les officiels. Objectif : convaincre l'opinion internationale. 17 000 membres sur des groupes anti-Aminatou Haïdar dans Facebook. 20 000 blogs et une vingtaine de sites gérés par le Corcas. Mobilisé sur le tard, le Maroc met les bouchées doubles pour rattraper le temps perdu. Jeudi 17 décembre, Aminatou Haïdar atterrit à l'aéroport de Laâyoune, présente son passeport marocain à la douane, se conforme aux normes internationales en vigueur à la frontière et entre sur le territoire national, sans tambour ni trompette. Un mois après que la militante séparatiste a entamé sa grève de la faim à l'aéroport espagnol de Lanzarote, l'incident est-il enfin clos ? Pas sur le Net en tout cas. Une simple recherche sur le site communautaire Facebook suffit pour s'en assurer. Ces derniers jours, pas moins d'une quarantaine de groupes s'y sont formés autour de cette affaire. Parmi ces derniers, certains soutiennent la militante séparatiste, dont «Free Aminatou Haïdar» (Libérez Aminatou Haïdar) qui comprend 6 400 membres. Ses détracteurs sont toutefois nettement plus nombreux : à eux deux, «Anti-Aminatou Haidar Propaganda !» et «Tous contre Aminatou Haidar» cumulent plus de 17000 membres. Dans ces groupes, les internautes critiquent sévèrement la militante séparatiste, mais aussi les autorités marocaines auxquelles ils reprochent le fait de l'avoir laissée retourner sur le territoire national ainsi que leur gestion de l'affaire en général. Facebook, champ de bataille Fait intéressant, une poignée d'internautes espagnols s'est même jointe aux critiques, allant à l'encontre de la tendance générale de l'opinion publique de notre voisin du nord. Leurs groupes se caractérisent par des effectifs modestes mais des messages significatifs comme « Yo también creo ke Aminatou Haidar llamaba a Telepizza y comía a escondidas» (Moi aussi, je pense que Aminatou Haidar commandait chez Telepizza et mangeait en cachette) -55 fans- ou «La huelga de hambre de Aminatou Haidar ya cansa» (Ras le bol de la grève de la faim de Aminatou Haidar) -192 fans. Dans ce dernier, le fondateur explique que son groupe n'est pas pro-marocain mais qu'il entend bien protester contre la publicité excessive qui a été faite autour de cette affaire. Toujours sur Facebook, une nouvelle recherche fait surgir d'autres groupes. Arborant également un portrait de la séparatiste, le groupe «Sahara libre», nouveau slogan séparatiste, comprend 6 800 membres. Un autre, baptisé tout simplement «Sahara» 285 membres et visiblement créé de l'autre côté de la frontière, présente aux internautes des photos des villes des provinces du sud visiblement puisées dans des sites officiels marocains ainsi que des montages photos qui cherchent à comparer le Maroc à rien moins qu'un régime nazi. Cependant, encore une fois, malgré leur virulence, les effectifs de ces deux groupes restent très inférieurs aux anti-séparatistes. Ainsi, à l'heure où nous mettions sous presse mercredi 23 décembre, près de 43 000 internautes avaient adhéré, via l'application «Causes», à l'appel «Un million de signatures contre l'exclusion du Sahara marocain de la carte» de Facebook. Il faut dire qu'avec un million de Marocains sur Facebook, nous avons l'avantage du nombre. Mais les débats autour de l'affaire Haïdar, et, plus généralement, la question du Sahara, ne se limitent toutefois pas à Facebook : Twitter, Youtube, Dailymotion, Myspace, Presse-Maroc, Collectif Bellaciao…, au-delà des sites officiels marocains, séparatistes et algériens, les points de vue, messages de propagande et escarmouches virtuelles sont légion sur la toile. Objectif : 48 sites et 100 000 blogs pour le Corcas Pourtant, contrairement aux apparences, les citoyens ordinaires ne sont pas les seuls protagonistes en place. Quelques clics, et c'est une toute autre scène qui s'offre à l'internaute. Sur www.corcas.com, Khalihenna Ould Errachid, président du Conseil royal consultatif des affaires sahariennes, invite sans ambages Mohamed Abdelaziz, secrétaire général du Polisario, à venir se frotter à la gestion locale dans les provinces du sud… dans le cadre de l'autonomie telle que proposée par le Maroc. L'extrait, et bien d'autres encore, est diffusé à partir du sous-sol d'une villa du quartier Souissi, à Rabat, tout comme www.sahara-online.net, www.sahara-culture.com, www.sahara-villes.com, www.saharadeveloppement.com, www.sahara-social.com et une série d'autres noms de domaines comportant le mot «Corcas». Dans ce «bouquet Internet» comme on l'appelle ici, les internautes ont accès à une série de documents destinés à présenter le Corcas, le plan d'autonomie marocain, mais aussi donner un aperçu des provinces du sud sur les plans économique, culturel, social, etc. C'est une véritable petite encyclopédie que l'on retrouve ainsi, dont l'offre va des recettes de cuisine à des balades aériennes au-dessus des villes en passant par des enregistrement de «madih», le tout géré par une vingtaine de personnes et traduit dans les 8 langues les plus utilisées du Net : arabe, espagnol, français, anglais, allemand, russe, portugais et italien (le chinois, deuxième langue en termes de contenu sur le net, sera bientôt ajouté à la liste). «Nous avons des journalistes spécialisés qui travaillent sur cela au quotidien. Par ailleurs, ces sites sont interactifs, ils sont traduits, changés et renouvelés quotidiennement. Nous avons également mis en place un système de surveillance pour savoir quel autre site ou bouquet est suivi. Tout cela a contribué à amener beaucoup de monde à appuyer la position marocaine», se réjouit M. Ould Errachid. Il faut dire que ces sites, qui diffusent également les radios hertziennes de Dakhla et de Laâyoune ainsi que les chaînes nationales et TV Laâyoune, en plus d'une web TV, attirent entre 30 000 et 50 000 visiteurs par jour. Par ailleurs, leurs versions arabophones sont les premiers sites sur le Sahara à être visités dans le monde arabe. En parallèle, le Conseil gère en interne la bagatelle de 20000 blogs, et il ne compte pas s'arrêter en si bon chemin : pour fin 2010, il vise les 100 000 blogs, y prévient-on. A noter que le site du Corcas et ses dérivés est hébergé à l'étranger. Curieux ? Non, tout simplement pratique pour permettre une vitesse de connexion plus rapide. L'une des armes du Net c'est aussi la rapidité de l'accès à l'information ; sans oublier l'impact, forcément positif, sur le classement dans les moteurs de recherche. Le Corcas n'est cependant pas la seule structure étatique marocaine à s'être lancée sur la toile, bien loin de là. «Au ministère des affaires étrangères, nous sommes conscients que la guerre du Net existe et que nous y sommes confrontés. Nous avons pris les choses au sérieux: désormais, nous veillons à lire plus ou moins tout ce qui s'écrit sur le Maroc», indique-t-on au sein du département de Taïeb Fassi Fihri. Au ministère des affaires étrangères, une dizaine de personnes se relaient ainsi 20h/24 pour assurer, week-ends et jours fériés inclus, une veille informationnelle qui comprend de plus en plus Internet, avec l'affaire du Sahara en tête des thématiques surveillées. Ce n'est pas une surprise : cela fait des années qu'au ministère l'on a coutume de surveiller tout ce qui se publie dans la presse internationale à propos du Royaume. Aujourd'hui, toutefois, en s'étendant sur le Net, la veille inclut désormais aussi des sites électroniques à l'instar d'un www.hespress.com ou d'un www.backchich.info, des réseaux sociaux et même des blogs, sans compter les sites qui véhiculent la propagande séparatiste ! Un réveil officiel récent Visiblement, sur la toile, notre pays est en train de mettre les petits plats dans les grands. Pourtant, hier encore, Internet était territoire séparatiste. «Lorsque Internet avait été créé dans les années 90, et ce jusqu'en 2006, date à laquelle le Corcas a été mis en place, le Polisario dominait la toile, tandis que le Maroc n'y avait aucune présence, et pas seulement en relation avec l'affaire du Sahara. Le Polisario en était même arrivé à influencer l'opinion marocaine via Internet, où, avec l'aide de ses supporters, il avait créé un réseau mondial de blogs, forums et sites influencés par la vision algéro-polisarienne de l'affaire», rapporte Khalihenna Ould Errachid. Une version que l'on confirme du côté du département de Taïeb Fassi Fihri. «Internet est apparu vers 1993, mais dès 1997, le camp adverse y était déjà virulent. En 1998, il avait bien compris l'intérêt qu'il y aurait à y investir. Au Maroc, nous travaillions sur plusieurs fronts, classiques : la presse, la télévision, les ambassades, les consulats. Au début, l'on a cru que tout cela était suffisant, mais avec le temps, on a réalisé que ce n'était pas le cas», explique ce cadre du ministère des affaires étrangères. «Aujourd'hui, il existe un lectorat important qui ne lit pas les journaux mais puise directement ses informations sur Internet. Or, sur le Net, on ne retrouve pas forcément la rigueur de la presse écrite». Ce n'est qu'entre 2002 et 2003 que l'on assistera à une véritable prise de conscience chez les officiels marocains. Le Corcas sera de la contre-attaque. «Avant 2006, les sites pro-Polisario faisaient la pluie et le beau temps sur Internet. Nous avons tout de suite compris les raisons de l'absence des thèses marocaines à propos du conflit du Sahara sur Internet : il fallait publier sur Internet plusieurs sites complémentaires qui mettraient en exergue les réalités politique, socio-économique et culturelle du Sahara et ce en plusieurs langues», y explique-t-on. Cela passe également par la mise en place de sites au contenu similaire mais sous différentes extensions, comme www.corcas.es,www.corcas.be ou www.corcas.tv pour la diffusion de la web TV sur internet. La bataille pour Wikipédia Une stratégie qu'il aura fallu mettre en place dans un champ de bataille en constante mutation. Du web-conflit au sens classique du terme – par sites électroniques interposés -, les batailles ont très vite migré vers de nouveaux terrains. Plus besoin de tanks ni d'avions de chasse : les nouvelles cibles s'appellent moteurs de recherche, réseaux sociaux, forums, chat-rooms et… blogs. La cible ? L'internaute, résidant souvent dans les pays occidentaux, est étudiant, membre de la société civile, chercheur. Il a recours à la toile pour se renseigner sur le conflit du Sahara. L'arme ? L'information. «La communication via les sites web permet de corriger quelques informations inexactes véhiculées sur Internet jusqu'alors sur l'histoire du conflit, la cartographie de la région, l'identité sahraouie en tant que composante de l'identité marocaine, les actualités politiques et socio-économiques de la région», explique-t-on. En investissant le terrain de l'électronique, de l'Internet, l'on constitue un fonds documentaire virtuel. Le simple fait d'être là, d'apparaître dans les moteurs de recherche un millier de fois fait de ce fonds une référence. Dans le cas des blogs, forums ou autres, cette stratégie a mené à des résultats significatifs, mais elle a tout de même ses limites: si un blog indépendant peut être amené à changer de position par une information adéquate, un blog téléguidé par le camp séparatiste campera sur ses positions hostiles. Qu'à cela ne tienne, c'est ainsi que le Maroc a gagné du terrain, notamment au niveau de GlobalVoicesOnline, le site des journalistes et bloggeurs des pays en voie de développement, ou encore sur Wikipédia. En effet, l'encyclopédie online, qui avait connu une véritable bataille des définitions dans la page consacrée à l'affaire du Sahara, présente aujourd'hui des articles nettement plus équilibrés qu'il y a quelques mois, malgré la persistance de quelques différences entre une version française neutre, une version hispanophone encore influencée par la version séparatiste des faits, et une version anglophone quelque part entre les deux. Aujourd'hui, dans sa version francophone, on parle davantage du plan d'autonomie tandis que dans la version hispanophone l'on insiste davantage sur l'échec du deuxième plan Baker. Mots clés et noms de domaines Toutefois, qui dit informations à rechercher sur le Net, dit aussi mots clés. Pour se positionner au mieux dans les résultats des moteurs de recherche, l'on n'hésite plus à puiser ses mots clés dans le vocabulaire de l'ennemi. C'est ainsi que, désormais, rechercher le terme «Sahara Occidental» sur Internet ne mène plus automatiquement à des sites pro-séparatistes. Après tout, pour un étudiant européen habitué à voir sur la carte du monde «Sahara occidental», il paraît en effet logique d'avoir recours à cette appellation au moment d'effectuer une recherche sur le net, explique cette source proche du dossier : «Si on cherche "Sahara occidental" et que votre site s'appelle «provinces du sud», il n'apparaîtra jamais dans le moteur de recherche. En revanche, si vous l'appelez www.sahara-online.net, il apparaîtra en troisième ou en quatrième position après les sites du camp séparatiste. A ce moment-là, vous aurez gagné car il sera devenu une référence, avec un contenu qui est à vous». Une logique, poussée un cran au-dessus, avec des noms de domaines comme www.droits-humains.org, www.droit-au-retour.org, www.lavage-de-cerveau.com, www.endoctrinement.com, tous sites anti-séparatistes, mais dont on ignore l'identité des gestionnaires. Enfin, les mots clés ne sont pas la seule surprise de l'arène du Net. En effet, jusqu'il y a peu, il est arrivé aux lecteurs de la presse algérienne de trouver dans la même page web un article favorable à la thèse séparatiste et une bannière publicitaire renvoyant vers… le plan d'autonomie marocain. «La publicité sur Internet a fait partie de notre politique de communication dès le départ. Nous avons été les premiers à communiquer sur les liens commerciaux de Google. Nous avons ensuite communiqué sur 120 000 sites web sous la bannière de Google. Nos sites web se sont même retrouvés sur les pages d'accueil des sites web de journaux bien connus en Algérie et ailleurs dans le monde», indique-t-on chez le Corcas où l'on souligne que plusieurs sites web algériens ont dû changer leur charte graphique pour éviter de se retrouver avec des publicités pro-marocaines en page d'accueil…Une chose est sûre, le Maroc officiel a su rattraper son retard sur la toile, saura-t-il convertir ses progrès en avancées concrètes auprès des opinions publiques internationales ? Il lui faudra sans doute encore du temps, beaucoup de temps, pour y parvenir. Toutefois, le Marocain lambda aura également un rôle à jouer dans cette affaire.