Le tutoiement apporte immédiatement plus de proximité, plus d'intimité et moins de formalité dans les contacts. Dans certains médias, la recherche ou encore l'informatique, le «vous» semble avoir pratiquement disparu. Dans une relation client/fournissseur, mieux vaut opter pour le vouvoiement. L'usage du tutoiement est de plus en plus répandu, notamment parmi les jeunes générations. On attribue généralement cette évolution à l'inspiration du monde anglo-saxon où les barrières hiérarchiques sont souvent estompées. Explication avec Mouhsine Benzakour, enseignant chercheur en psychologie sociale. Quelle interprétation donnez-vous au vouvoiement et au tutoiement ? Le «tu» et le «vous» sont des outils linguistiques qui permettent de gérer la proximité et la distance entre les individus. Le vouvoiement permet de montrer son respect à la personne à qui l'on s'adresse. Le passage du «vous» au «tu» est un rituel courant qui marque l'évolution d'une relation. Il apporte immédiatement plus de proximité, plus d'intimité et moins de formalités dans les contacts. Mais les deux pronoms n'ont de sens que par rapport à des normes culturelles. Or, celles-ci évoluent. La nouvelle génération a bousculé les codes. Aujourd'hui, la plupart des jeunes gens du même âge se tutoient dès qu'ils se rencontrent, à l'intérieur d'une entreprise, dans la rue ou sur un terrain de sport. Grâce à ce tutoiement, une communication directe et franche s'installe, ne s'embarrassant d'aucun préjulgé. Comment analysez-vous la déformalisation des relations professionnelles en entreprise ? C'est un mode de management d'entreprise inspiré du monde anglo-saxon, on y vante la proximité, le challenge collectif. Tous les salariés sont mis sur le même niveau d'implication. Dans l'imaginaire, tous sont censés devenir autonomes et responsables. Bien que les différences sont dues aux cahiers des charges, aux compétences et aux salaires. Y a-t-il des secteurs ou des milieux où le tutoiement est plus généralisé que dans d'autres ? Oui. Dans les petites entreprises où le patron lui-même remplit souvent les mêmes tâches que ses employés, le tutoiement vient facilement pour marquer la proximité. Dans les médias, la recherche, ou encore l'informatique, le «vous» semble avoir pratiquement disparu. Toutefois, ce ne sont là que quelques exceptions. Il n'est pas certain que le tutoiement soit ainsi systématique, au moins entre les différents échelons hiérarchiques, dans tous les secteurs d'activité. Le tutoiement en entreprise peut-il conduire à des situations délicates? Dans l'entreprise, les règles du «tutoiement-vouvoiement» correspondent aux relations hiérarchiques parfois, et, très souvent, à des codes non écrits. La règle est de toujours vouvoyer une personne s'il s'agit d'une première rencontre, une personne plus âgée que soi ou encore un supérieur hiérarchique. Toute la difficulté consiste à découvrir les codes identitaires de l'entreprise. La façon de s'adresser à ses collègues et à ses supérieurs fait partie des usages qu'il vaut mieux maîtriser très rapidement quand on est nouveau. Aujourd'hui, le salarié a besoin d'un kit de survie. Quand la hiérarchie pense que cette soi-disant proximité n'est qu'imaginaire car elle tend à annihiler la distance qui permet le respect et que le tutoiement tend à mélanger la sphère professionnelle et la vie privée, le vouvoiement est vivement recommandé. La situation est plus complexe quand il peut y avoir des pièges. Par exemple des patrons pervers qui vont essayer de copiner en donnant l'impression d'être proches. La seule manière honorable de s'en sortir est de refuser et d'invoquer le trop grand respect que vous avez à l'égard de ce dernier. Le fait de ne pas tutoyer quelqu'un est-il un signe de manque de confiance en soi? Tout au long de notre vie nous rencontrons des gens qui nous bousculent, qui tentent de nous manipuler, de tirer profit de nos connaissances ou simplement de nous envahir physiquement et psychologiquement, ce qui fait que la majorité d'entre nous a peur de dire non. Pourquoi ? Les psychologues attribuent ce réflexe à la peur du rejet. Ne pas tutoyer signifie sans doute que nous avons accumulé en nous une dose toxique de ressentiment. Nous avons certainement l'impression que nous allons être exploités, nous avons l'impression d'être «la personne à qui on demande tout parce qu'elle dit toujours oui». Se mettre à la place de l'interlocuteur en essayant de comprendre ses raisons, ses émotions, est une étape essentielle de l'affirmation de soi pour s'en sortir. Cela nécessite un peu d'entraînement surtout dans les situations dans lesquelles nous sommes critiqués ou bien dans lesquelles nous nous sentons agressés. L'analyse de la position de l'autre permet de prendre du recul par rapport à la situation et donc de ne pas se faire d'idées fausses, entraînant des réactions mal adaptées et de mettre au point le contenu et la forme du message, en fonction de l'aptitude de l'autre à le recevoir. Existe-t-il des types d'interlocuteurs qu'il vaut mieux ne jamais tutoyer ? Il en existe. Dans une relation client/fournisseur par exemple, à moins d'être devenus proches au fil du temps, passer du «vous» au «tu» risque de conférer à la relation une dimension affective qui pourrait devenir problématique. A l'inverse, certains secteurs sont réputés pour le tutoiement par automatisme, à l'instar des métiers créatifs -publicité, spectacle, mode…- ou des start-up. Aussi, se renseigner au préalable vous évitera de passer pour un novice. Y a-t-il d'autres postures qui permettent de marquer la proximité ou la distance ? Bien évidemment ! la communication non-verbale, à savoir le regard, les gestes, l'intonation de la voix, permet aussi de marquer la proximité ou la distance selon les degrés. Je pense aussi notamment à la relation patron/syndicat. Souvent, le vouvoiement s'impose car chaque partie cherche généralement à garder le respect.