La primauté de la «démocratie représentative» ne signifie pas que l'état doit tout faire et encore moins qu'il doit tout faire tout seul. Le Maroc est à la veille de la mise d'un Conseil économique et social. Une institution qui devrait conférer aux partenaires sociaux la responsabilité de promouvoir le dialogue social dans un nouvel environnement et sous de nouvelles conditions. Il est attendu de la future institution qu'elle constitue à la fois une clé pour une meilleure gouvernance et un moteur des réformes économiques et sociales. Son objectif ultime est d'apporter une contribution au traitement des questions du chômage et de l'emploi, de soutenir la réforme économique et la cohésion sociale. Cela souligne les défis auxquels sont confrontés les partenaires sociaux du fait de leur rôle et de leurs responsabilités dans la définition d'un modèle social. La conflictualité sociale dans notre pays est en train d'épouser de nouvelles formes : dispersées, plus autonomes, parfois plus violentes. Souvent sans perspectives. Elle se substitue à l'action syndicale traditionnelle, éclatée et en réelle perte de vitesse et d'influence. Une nouvelle culture de la négociation, du compromis, de la responsabilité est à construire. Cela suppose une véritable révolution des esprits. Ma conviction, c'est que chacun – Etat, syndicats, organisations patronales – soit désormais prêt à s'engager plus encore qu'aujourd'hui, à prendre ses responsabilités, à ne plus hésiter à se remettre en question. L'Etat reste encore trop souvent arc-bouté sur une conception abstraite de l'intérêt général. La primauté de la «démocratie représentative» si elle parvient à imprégner effectivement nos institutions ne signifie pas que l'Etat doit tout faire et encore moins qu'il doit tout faire tout seul. La légitimité de la recomposition politique ne justifie pas non plus les logiques de table rase, les à-coups systématiques dans les politiques. Elle ne justifie pas les changements incessants de législation, où l'effet d'annonce l'emporte trop souvent sur l'efficacité, voire sur la réalité de l'action. Les partenaires sociaux ont, eux aussi, à accélérer leurs évolutions. Aux syndicats de se libérer d'un archaïsme dans le discours et la méthode qui débouche trop souvent sur l'affrontement stérile et, au bout du compte, sur le conservatisme. Il faut rompre avec cette idée que toute révision d'une législation sociale serait, en quelque sorte, une régression et une remise en cause d'un acquis. Accepter la modernisation de certains droits, si c'est pour plus de progrès social, c'est normal. Mieux prendre en compte l'intérêt de toutes celles et de tous ceux qui ne sont pas toujours directement en lien avec les syndicats, mais qui aspirent à un marché du travail plus ouvert et plus dynamique, c'est important. Je pense aux jeunes, aux chômeurs, aux exclus, aux salariés précaires. Quant aux organisations patronales, elles ont raison de demander plus de reconnaissance du rôle de l'entrepreneur et de l'entreprise. Mais elles ont parfois aussi tendance à se complaire dans une vision trop étroite des intérêts de l'entreprise: comme si le dynamisme économique du pays pouvait s'accommoder de l'exclusion de catégories entières de personnes du marché du travail. Comme si la juste augmentation des salaires était un frein à la croissance. Pour accélérer ces évolutions, il nous faut aujourd'hui changer les règles du jeu, et construire une nouvelle architecture de la responsabilité…. C'est en étant une force motrice de la modernisation de l'économie et du modèle social que le dialogue social affirmera sa place centrale et originale dans une gouvernance démocratique à inventer. Il est nécessaire de renforcer l'implication active des partenaires sociaux locaux et sectoriels dans la mise en œuvre et le suivi. C'est par cette voie que le dialogue social pourrait être porteur de valeurs fortes de participation et de responsabilité s'appuyant sur une lecture critique des modes de «régulation sociale» héritée du passé et offrant un cadre adéquat pour une modernisation maîtrisée. Pour assumer pleinement ce rôle, il doit cependant enrichir sa pratique, diversifier ses moyens d'action et occuper efficacement l'espace contractuel. Dans ce processus, la légitimité et l'efficacité de la consultation des partenaires sociaux reposent fondamentalement sur leur représentativité. Car le rôle du dialogue social se fonde sur sa nature originale et irremplaçable : les partenaires sociaux représentent directement les intérêts et les problématiques liés au monde du travail, depuis les conditions de travail jusqu'au développement de la formation, en passant par la définition des normes salariales. Toute la question est de savoir s'ils ont la capacité de respecter et d'engager les «bases» dans la consultation portant sur l'ensemble de ces enjeux. Les partenaires sociaux doivent être eux-mêmes présents à tous les niveaux où se mettent en œuvre les politiques, depuis les entreprises jusqu'au plan national, ainsi que dans les branches et les territoires. C'est ce qui en fera, là encore, des acteurs irremplaçables et spécifiques. C'est à cette condition, que le dialogue social pourrait constituer un moteur des réformes économiques et sociales.